4 mai 1938

« Mourir pour Dantzig ? »

Marcel Déat (Guérigny, Nièvre, 7 mars 1894 - Piossasco, Piémont, 5 janvier 1955)Le 4 mai 1939, paraît à la Une du quotidien L'Oeuvre un violent éditorial intitulé : « Mourir pour Dantzig ? »

Son auteur est un député socialiste et pacifiste de 45 ans, Marcel Déat, normalien et agrégé de philosophie. Il plaide pour un soutien limité de la Pologne, que menace l'Allemagne hitlérienne.

Celle-ci, après avoir brutalement annexé la Bohême-Moravie en mars 1939, revendique le port de Dantzig, dont la population est très majoritairement allemande. Il s'agit d'une « ville libre » instituée par le traité de Versailles de 1919 pour ménager à la Pologne un accès portuaire sur la mer Baltique.

Cette ville coupe en deux le territoire du IIIe Reich : à l'est la Prusse orientale, à l'ouest, la province de Poméranie. Entre les deux, à côté de Dantzig, la Pologne bénéficie aussi d'un étroit « corridor » qui lui offre une ouverture directe sur la mer et à l'extrémité duquel elle a créé de toutes pièces le port de Gdynia.

Le corridor et la « ville libre », une idée du président Wilson, sont insupportables aux nationalistes allemands et à leur Führer. Ils vont entraîner l'Allemagne dans la guerre contre la Pologne et, par le jeu des alliances, conduire à la Seconde Guerre mondiale.

Le corridor de Dantzig créé en 1920

Du pacifisme de gauche à la Collaboration

Pour l'heure, Hitler ne bénéficie en Europe que du soutien de Mussolini, que l'affaire d'Éthiopie a jeté dans ses bras. Staline, l'autre grand dictateur du continent, lui est encore virtuellement hostile. C'est pourquoi Marcel Déat ose espérer que le Führer n'ira pas plus loin que de revendiquer Dantzig. 

C'est dans ces conditions qu'il publie son fameux article dans L'Oeuvre, un journal marqué à gauche. Il note que Dantzig est d'ores et déjà noyautée par les nazis et ironise sur la prétention des Polonais à résister aux Allemands :
« Il ne s'agit pas du tout de fléchir devant les fantaisies conquérantes de M. Hitler, mais je le dis tout net : flanquer la guerre en Europe à cause de Dantzig, c'est y aller un peu fort, et les paysans français n'ont aucune envie de « mourir pour les Poldèves ».
J'entends que nos amis Polonais sont remplis d'optimisme. A les en croire, la résistance allemande est à bout dans le domaine économique et psychologique. Le Führer ne sait plus à quel diable se vouer. La puissance militaire germanique est surfaite, les divisions blindées et motorisées ne sont plus tellement redoutables. Bref, pour un peu les Polonais se chargeraient à eux seuls de l'Allemagne, nous laissant le soin de régler éventuellement son compte à l'Italie, si elle se permettait de bouger (...).
Les cavaliers polonais sont pleins d'allant et ils conduisent leurs montures avec une habileté déconcertante. Mais les lances de ces brillants soldats arrêteront-ils les tanks, même si le lubrifiant fait défaut dans les rouages ? (...)
Et où en sont les relations avec la Russie ? Depuis quand les Polonais sont-ils résignés à ouvrir passage aux régiments rouges ? Depuis quand Staline est-il résolu à exporter ses soldats ? (...) 
Surtout, il n'est pas possible d'admettre, sous le méridien de Paris, que la question de Dantzig soit posée et réglée à l'Est de l'Europe, uniquement par la volonté de quelques hommes d'État polonais et allemands, avec la certitude que les automatismes diplomatiques et guerriers joueront, et que nous ne serons entraînés dans la catastrophe sans avoir pu dire notre sentiment (...).
Combattre aux côtés de nos amis Polonais pour la défense commune de nos territoires, de nos biens, de nos libertés, c'est une perspective qu'on peut courageusement envisager, si elle doit contribuer au maintien de la paix. Mais mourir pour Dantzig, non !   »

Le titre de l'éditorial fait écho à un autre article intitulé Mourir pour les Sudètes et publié dans l'hebdomadaire de droite Gringoire en septembre 1938, quand Hitler se disposait à annexer la région germanophone des Sudètes (Tchécoslovaquie). Mais tandis que le plaidoyer pacifiste du romancier et Prix Goncourt Henri Béraud allait recueillir l'assentiment de l'opinion publique, celui de Marcel Déat se heurte à une opinion désormais résignée à la guerre.

Quand celle-ci surviendra et après que la Wehrmacht aura envahi la Pologne puis la France, le député va très vite évoluer vers la Collaboration comme d'autres intellectuels pacifistes de gauche, y compris Henri Béraud. Ministre du Travail dans l'un des derniers gouvernements du Maréchal Pétain, il s'enfuira à Singmaringen puis s'exilera en Italie pour échapper à la peine de mort.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2024-03-23 17:19:11

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