Le 13 décembre 1937, remontant de Shanghai, l'armée japonaise entre dans la ville de Nankin (ou Nanjing) après un pilonnage de trois jours. Aussitôt commencent des massacres à grande échelle, d'une ampleur sans précédent depuis les Mongol ! Exécutions à la baïonnette, au sabre ou à la mitrailleuse. Viols et mutilations.
Au total, sans doute plus de 100 000 victimes (les autorités chinoises affichent un chiffre d'au moins 300 000 morts, beaucoup de victimes étant décédées plus tard de leurs blessures ou n'ayant pas été signalées).
Le « viol de Nankin » figure en bonne place parmi les crimes contre l'humanité commis au XXe siècle même si le gouvernement japonais persiste à en nier l'importance. Comme le massacre de Guernica, commis quelques mois plus tôt par les Allemands, il annonce les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.
La diplomatie mise à mal
Tout a commencé en 1931, quand des généraux nationalistes forcent la main du gouvernement japonais en occupant la Mandchourie, province périphérique de la Chine. Ils en font un État à leur dévotion, le Mandchoukouo et placent à sa tête le dernier empereur de Chine, Pu Yi. Forts de ce premier succès, ils entreprennent ensuite de grignoter la Chine du nord avec l'accord de l'empereur Showa (Hiro Hito). C'est le début d'une guerre de Quinze Ans.
Les Occidentaux, qui croient encore à l'avenir de la paix et de la démocratie, se tiennent cois devant l'agression japonaise. Ils invitent simplement Tchang Kaï-chek à temporiser et négocier avec les agresseurs. Cet attentisme ouvre un boulevard à Hitler, arrivé au pouvoir en Allemagne en 1933. Le Führer voit tout l'intérêt d'une alliance avec les nationalistes nippons qui, comme lui, sont isolés sur la scène internationale.
À l'initiative du ministre allemand des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop, Berlin et Tokyo signent le 25 novembre 1936 un pacte anti-Komintern orienté contre les Soviétiques et leur chef, Staline.
Profitant de ce que les Chinois sont en train de se battre pour le pouvoir, avec d'un côté les nationalistes du Guomindang, sous l'autorité de Tchang Kaï-chek, de l'autre les communistes, sous celle de Mao Zedong, les Japonais prennent prétexte d'un incident sur le pont Marco Polo, près de Pékin, pour se lancer brutalement à la conquête de toute la Chine le 7 juillet 1937.
L'incident du « triple 7 » est ainsi nommé parce qu'il s'est déroulé le 7-7-1937 ! Il aurait mis aux prises une poignée de soldats chinois et des troupes japonaises en manoeuvre près du pont Marco Polo, aussi appelé pont de Lugou, à 15 kilomètres de Pékin (il s'agit d'un superbe pont de pierre sculpté, construit en 1189-1192 et décrit par le voyageur vénitien un siècle plus tard).
Prétextant qu'un de leurs soldats aurait été enlevé par les Chinois (il s'était en fait attardé dans un bordel), les Japonais se lancent dès le lendemain à la conquête de la Chine. En quelques mois, ils occupent près d'un million de kilomètres carrés peuplés de 60 millions d'habitants et mettent en oeuvre une politique de terreur systématique pour tenter d'abattre la résistance intérieure. Mais celle-ci se fait de plus en plus âpre.
Terreur sur la ville
Les massacres, devenus la règle, vont atteindre leur maximum avec la prise de Nankin, ancienne capitale de la Chine et siège éphémère du gouvernement de Tchang Kaï-chek. Le 10 décembre, les Japonais, qui occupent déjà Shanghai, à l'embouchure du Yangzijiang, envoient un ultimatum aux troupes qui défendent la métropole de la Chine centrale, sur le cours inférieur du fleuve.
Tchang Kaï-chek, les chefs de son parti, le Guomindang, et les officiers abandonnent illico la ville. La panique s'installe dans la population et chez les soldats livrés à eux-mêmes. Beaucoup tentent de s'enfuir en traversant le Yangzi, qui ressemble à cet endroit à une véritable mer intérieure. La flotille japonaise postée sur le fleuve s'en donne à coeur joie et tire sur les fuyards, causant quelques milliers de morts.
Enfin, les Japonais entrent dans la ville. Confiants, les soldats chinois se laissent désarmer et se rendent par unités entières. Ceux qui ne se rendent pas spontanément sont traqués. Craignant d'avoir affaire à des franc-tireurs, les Japonais arrêtent dans la rue tous les hommes en âge de combattre et suspects d'avoir porté une arme ou un casque.
Le commandement nippon craint alors d'être submergé par la grande masse des prisonniers dans une ville a priori hostile. Il ordonne le massacre des prisonniers, contre toutes les lois de la guerre. Celui-ci s'opère froidement, à la baïonnette, au sabre ou plus souvent encore à la mitrailleuse, sur des malheureux liés entre eux par groupes d'une douzaine. On évalue entre 30 000 et 60 000 le nombre de soldats tués de la sorte dans les premiers jours.
Ensuite vient le massacre des fonctionnaires, suspectés de collusion avec le parti nationaliste chinois de Tchang Kaï-chek, le Guomindang. Dans les semaines qui suivent, la terreur devient endémique. Elle frappe indistinctement les habitants de la ville, au nombre d'environ 200 000, qui ont l'heur de déplaire aux vainqueurs.
Les soldats, par petits groupes, enlèvent les femmes de tous âges et se livrent à des viols collectifs. C'est à cette occasion, à Nankin, que les Japonais mettent en place le système des « femmes de réconfort », séquestrant des femmes de toutes conditions dans des bordels de campagne. Ces exactions, encouragées par l'état-major, renforcent l'esprit de corps chez les soldats japonais. Elles les consolent aussi de la résistance inattendue opposée par les Chinois.
Les Occidentaux s'inquiètent pour la sécurité de leurs ressortissants et de leurs navires mais sans plus, la paix en Europe commençant elle-même à être gravement menacée par Hitler !
Tchang Kaï-chek dirige la lutte contre l'envahisseur à partir des provinces du sud. Il se voit obligé de conclure une alliance avec ses rivaux communistes contre l'ennemi commun mais Mao Zedong se gardera bien de l'aider et laissera les nationalistes s'user dans la résistance à l'envahisseur.
En Europe, où l'on se préoccupe surtout de la guerre d'Espagne (Guernica, Teruel), l'agression japonaise laisse l'opinion de marbre. Près de deux semaines après la prise de Nankin et le début des massacres, ceux-ci font l'objet d'entrefilets et leur ampleur est sous-évaluée dans un rapport de 100 à 1 !
Les journaux français, comme ici Le Populaire, journal de Léon Blum et des socialistes - alors au gouvernement -, insistent surtout sur les dommages subis par les Occidentaux de la ville (source : BNF, Retronews).
Plus fort encore, dans L'Humanité du 16 décembre 1937 : « Une nouvelle note des États-Unis au Japon exige la garantie que le massacre de Nankin ne se reproduira pas ». En fait de massacre, il s'agit de la mort de deux marins lors du bombardement malencontreux d'un bateau américain sur le Jangze...
À la veille de l'entrée des Japonais dans la ville de Nankin, Karl Günther (1903-1985), un jeune industriel allemand né en Chine, se voit confier la protection de l'usine de ciment de Jiangnan, propriété d'un consortium germano-danois.
Il quitte précipitamment la ville de Tangshan, dans le Hebei, et rejoint à Nankin son homologue danois Bernhard Arp Sindberg.
Tous les deux accueillent dans l'enceinte de l'usine plus de quinze mille réfugiés chinois. Quand les Japonais arrivent, les deux jeunes gens leur barrent l'entrée de l'usine en arborant le drapeau danois et surtout le drapeau de l'Allemagne hitlérienne, alliée théorique du Japon. Ainsi seront épargnés les réfugiés.
Après leurs premiers succès, les Japonais piétinent. Pour soumettre l'ensemble de la Chine, ils éprouvent la nécessité de s'emparer de l'Asie du Sud-Est, riche en matières premières et en pétrole. Mais celle-ci est colonisée par la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
Lorsque l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste agressent ces trois puissances, le Japon se range à leurs côtés en signant un pacte tripartite, le 27 septembre 1940.
Les États-Unis, à leur tour, entrent dans le jeu. En riposte aux attaques du Japon contre l'Indochine française, le président Franklin Roosevelt fait geler le 26 juillet 1941 les avoirs japonais aux États-Unis et décrète un embargo sur les matières premières.
Le Japon choisit la fuite en avant et entreprend la conquête de l'Asie du Sud-Est... malgré l'opposition de l'amiral de la flotte impériale, Isoroku Yamamoto. Celui-ci connaît les États-Unis de l'intérieur et mesure l'extraordinaire disproportion des forces en faveur des Américains. Il déconseille une entrée en guerre contre eux.
L'empereur et son gouvernement sont déterminés à poursuivre leurs plans de conquête en vue de constituer en Asie du Sud-Est une « sphère de coprospérité » à leur dévotion.
Yamamoto se résigne et met sur pied le « Plan Z », rien moins que la destruction préalable de la flotte américaine du Pacifique. Ce sera l'attaque de Pearl Harbor et la mondialisation du conflit.
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Voir les 5 commentaires sur cet article
MICHEL (12-08-2020 14:58:38)
Je suis surpris que vous ne parliez pas de l'Unité 731 créée sur l'ordre de l'empereur Hiro-ito en 1932 et qui a été un exemple des monstruosités faites par l'homme, notamment pour Hitler. Cett... Lire la suite
Edgard Thouy (14-12-2017 17:17:23)
J'aime cette liberté de ton, quitte à écorner l'image de la neutralité et la mesure de l'historien. Ce site est vivant plus qu'académique. Souvent synthétique, il donne un point de vue, et non u... Lire la suite
ALBERT (11-12-2017 16:03:54)
Bonjour Herodote:attention. Des appréciations du genre "le lamentable Pu YI","l'accord de Hiro Hito", "attardé dans un bordel",ce n'est pas un langage d'historien mais des appréciations à p... Lire la suite