26 avril 1937

Guernica ou le massacre des innocents

Le lundi 26 avril 1937, pendant un jour de marché, la petite ville basque de Guernica est bombardée par des avions allemands et italiens.

C'est la première fois dans l'Histoire moderne qu'une population urbaine est sciemment massacrée. Ce massacre a été voulu par Hitler, allié du général Franco dans la guerre civile espagnole, pour terroriser la population civile.

André Larané
Dans les ruines de Guernica (1937)

Terrain d'essais militaires

Dès le début de la guerre civile, Hitler a utilisé l'Espagne comme un banc d'essai pour des armes nouvelles et un terrain d'entraînement pour ses aviateurs. En octobre 1936 a été créée une unité aérienne spéciale, la Légion Condor, sous le commandement du général Hugo Speerle. Il est assisté du lieutenant-colonel baron Wolfram von Richthofen, cousin du« Baron rouge », un autre aviateur, héros de la Grande Guerre.

Forte de 6500 hommes, la Légion Condor comprend quatre escadrilles de 12 avions de chasse et de bombardement, trois escadrilles de six avions de reconnaissance, une escadrille de six hydravions et un groupe de 48 blindés. Cette unité offre aux pilotes de guerre allemands des stages d'entraînement intensif en situation de guerre réelle. C'est une manière pour eux de contourner le traité de Versailles de 1919 qui leur interdit de développer leur aviation de guerre.

Lorsque les franquistes dirigent leurs attaques sur le pays basque et les Asturies, au nord-ouest de l'Espagne, la Légion Condor va s'acquérir une sinistre notoriété en bombardant Guernica.

Un symbole des libertés basques

Cette ville était connue pour son chêne sacré au pied duquel se réunissaient depuis le Moyen Âge les représentants du peuple basque.

Calle Andra Maria, Gernika, Biscaye, Communauté autonome basque, Espagne.Tous les deux ans, du règne d'Isabelle de Castille à 1876, les représentants de la couronne espagnole avaient coutume de renouveler à cet endroit leur serment de respecter les libertés basques. Le président de la Deuxième République avait renouvelé la tradition en prêtant serment devant le chêne, le 7 octobre 1936, de respecter la très large autonomie accordée au pays basque par son gouvernement. Ce fait avait sans doute nourri le ressentiment des franquistes à l'égard de la ville.

Mais Guernica était aussi devenue au XXe siècle une cité industrielle de 7 000 âmes, pourvue de plusieurs usines d'armement.

La veille du drame, elle est traversée par les combattants républicains basques, les gudaris. Ils fuient l'avance des franquistes et tentent de gagner Bilbao, au nord, en vue d'y organiser une nouvelle ligne de défense. Le baron von Richthofen propose à ses alliés espagnols de couper la route aux fuyards en détruisant le pont de Rentería, au nord de Guernica. Il n'est pas officiellement question d'attaquer la ville proprement dite.

Une tragique première

Dans les faits, les 33 bombardiers de la Légion Condor emportent dans leurs soutes non seulement des explosifs brisants et des bombes antipersonnelles utiles pour cette mission mais aussi 2 500 bombes incendiaires.

Ces ogives bourrées d'aluminium et d'oxyde de fer sont capables d'élever la température environnante à 2700°C. Rien à voir avec la simple destruction d'un pont !

Accompagnés de plusieurs chasseurs et d'avions italiens, les bombardiers attaquent la ville en plusieurs vagues, au moment où se tient le marché, de 16h30 à 18h. Les deux tiers des maisons, la plupart en bois, sont détruites et incendiées.

À la faveur du bombardement, les nazis mettent au point une stratégie de terreur qu'ils auront l'occasion de réemployer pendant la Seconde Guerre mondiale, avec par exemple le sinistre sifflement des Stukas en piqué.

L'attaque aurait fait 800 à 1 000 morts selon des estimations  plausibles (Bartolomé Bennassar, La guerre d'Espagne et ses lendemains, Perrin, 2004). Une étude plus récente par Jesús Salas Larrazábal (Guernica: el bombardeo. la historia frente al mito, 2012) s'en tient à 126 victimes...

Il est possible que le général Franco n'ait pas été informé au préalable du bombardement... ce qui ne veut pas dire que, dans le cas contraire, il s'y serait opposé.

Dans un premier temps, le mardi, les nationalistes répandent la rumeur que l'attaque aurait été le fait des républicains eux-mêmes qui auraient dynamité la ville. Ils sèment aussi le doute sur le nombre de victimes... Faute d'être crus, ils assurent que le bombardement était un acte de guerre justifié par la présence sur place de troupes et d'usines d'armement. Mais ces dernières n'ont pas été affectées par l'attaque, tout comme d'ailleurs le chêne sacré et le Parlement voisin, ainsi que le fameux pont de Rentería.

Trois jours plus tard, le 29 avril, c'est par ce même pont que les franquistes font leur entrée dans la ville dévastée. Le général Emilio Mola, qui n'a rien d'un tendre, est lui-même choqué par le spectacle de désolation. À l'étranger, les révélations sur le bombardement entraînent beaucoup de démocrates à retirer leur soutien au général Franco et au camp nationaliste...

La ville de Guernica après le bombardement du 26 avril 1937

Indignation picturale

Pablo Picasso, peintre espagnol résidant à Paris, découvre dans les journaux toute l'horreur de la tragédie. L'artiste, qui a reçu du gouvernement espagnol une commande pour l'Exposition internationale des arts et techniques qui doit se tenir à Paris en ce mois de mai 1937, décide sur le champ d'illustrer Guernica. 

Comme il est à cette époque inspiré par le thème de la corrida, il compose une toile de proportions grandioses, en noir et blanc, où la souffrance est évoquée par des hommes mais aussi des chevaux et des taureaux déchiquetés et hurlant de douleur. Présentée à l'Exposition internationale, Guernica est l'oeuvre à la tonalité la plus dramatique de la longue carrière de Picasso.

Guernica, par Pablo Ruiz Picasso (349x767cm, 1937, musée de la reine Sophie, Madrid)

L'Espagne réconciliée avec elle-même expose aujourd'hui la toile au Musée de la reine Sophie, à Madrid, non loin de la gare d'Atocha... Cette gare a été frappée le 11 mars 2004 victime d'une autre forme de folie liée aux tragédies moyen-orientales.

Publié ou mis à jour le : 2023-06-05 16:19:50
Jalopi (26-04-2023 15:26:38)

"C'est une manière pour eux de contourner le traité de Versailles de 1919 qui leur interdit de développer leur aviation de guerre." C'est inexact, la Luftwaffe a été créée en 1935. Le traité de Versailles était donc déjà caduc.
Et si, il s'agissait de détruire le pont de Renteria; pas de tuer des habitants. L'incapacité des Allemands à le détruire vient du manque de précision des bombardements. Les Alliés feront de même, tuant des milliers de civils.

DREVON (27-04-2022 20:29:32)

"C'est la première fois dans l'Histoire moderne qu'une population urbaine est sciemment massacrée"

Vous avez raison de préciser "dans l'histoire moderne"...

Parce que dans l'histoire tout court, on en a maints exemples.

neves Ottavio (11-12-2017 15:00:25)

Une chose ne justifie bien entendu pas les autres, mais compte tenu des horreurs infligées aux populations civiles allemandes par les bombardements anglo-américains, Guernica signifie vraiment très peu de chose. Hélas...

jean luc (04-07-2008 23:23:14)

Dans un dossier du Monde publié voici quelques années, l'historien Alexandre Adler développait une explication totalement différente, que je n'ai vu reprise nulle part.
Les Basques s'étaient alliés (2 provinces sur 4) aux républicains et voulaient conserver leur récente autonomie. Celà avait d'ailleurs provoqué des tiraillements dans cette société très catholique, certains refusant de s'allier aux "rouges bruleurs d'églises".
En avril 1937, voyant bien que le camp franquiste allait l'emporter, ils avaient négocié secrètement une paix séparée avec Mussolini, par l'entremise du comte Ciano pour :
-faire une paix séparée immédiate (ce qui supprimait le front du Nord),
-en contrepartie, créer un royaume basque indépendant, avec mise sur le trône d'un membre de la famille de Piémont Sardaigne. Inutile de dire que cet Etat n'aurait pas été farouchement démocratique...
Franco ayant eu vent du projet, et tenant à l'unité de l'Espagne comme à la prunelle de ses yeux, ne pouvait s'opposer drectement à Mussolini qui lui apportait une aide militaire conséquente. Pour faire cesser ses transactions, il ordonna le bombardement d'une ville, à titre d'avertissement au gouvernement basque : ce fut Guernica.
Cette thèse, que j'ignorais totalement n'est pas apparue dans un reportage sur Guernica diffusé sur Arte voici quelques mois, ni dans que le livre de Mathieu Elgohyen (*).
La tragédie est bien là, mais ainsi expliquée,celà procure une certaine "gêne"... Que pensez vous de cette thèse ?

(*) pour l'attitude des basques pendant la guerre civile, je vous conseille ce livre(éditions Elkar, 2007) : Gernika-La guerre civile d'Espagne au pays basque.

Herodote.net répond :
Nous ne connaissons pas plus que vous cette thèse et, notons-le, Alexandre Adler n'est pas connu pour être un historien spécialiste de la guerre d'Espagne ou du pays basque...
La thèse en question est tirée par les cheveux : on imagine mal, dans la confusion des années 1936-1937, que des Basques représentatifs de leur peuple puissent négocier quoi que ce soit avec Mussolini ; au demeurant, la victoire franquiste n'était pas le moins du monde acquise au début 1937.
En conclusion, soyons toujours méfiants à l'égard des reconstructions a posteriori de l'Histoire par des pseudo-historiens en mal de sensationnel...

chartier Dominique (17-07-2006 19:52:48)

Où est la vérité. Voici ce que l'on peut lire dans l'excellent article paru dans NRH de juillet-août 2006, :" Le nombre maximum de morts s'éleva à 126. La version légendaire fut imaginé par plusieurs journalistes britanniques, ceci afin de convaincre l'opinion publique
que le principal danger pour le Royaume-Uni provenait de l'Allemagne";
Bien sur l'histoire ne se résume pas à faire l'inventaire des morts. La tragédie est bien présente. Mais on peut se poser la question. N'a t'on pas voulu faire de Guenica une sorte de mythe ?

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