Le 6 mai 1931, s'ouvre à l'Est de Paris, dans le bois de Vincennes, une Exposition coloniale. C'est la deuxième du genre à Paris, spécifiquement consacrée aux colonies, après celle de 1907. Marseille a aussi accueilli des expositions coloniales en 1906 et 1922.
Les dirigeants de la IIIe République veulent avec ces manifestations festives convaincre l'opinion publique du bien-fondé des conquêtes coloniales. La grande majorité des visiteurs sont de fait séduits par les animations de tous ordres mais sans pour autant se rallier aux thèses colonistes...
C'est à Bordeaux, en 1854, dans une exposition de produits régionaux, que sont présentés pour la première fois des produits coloniaux. Il s'agit simplement de promouvoir la vente de ces produits auprès du public. En 1889, à l'Exposition universelle de Paris, s'opère un tournant avec une large part faite aux colonies, ainsi que l'apparition d'un « village nègre » et d'un « village annamite ». Ce sont les premiers exemples de villages ethnographiques. Il s'agit d'attractions clé en main proposées par des entrepreneurs privés aux organisateurs d'expositions. Les villages annamites seront très vite abandonnés parce que trop peu spectaculaires et festifs...
Certains journaux expriment de la gêne face aux villages nègres, même si d'aucuns les justifient par le fait qu'ils mettent l'accent sur les mœurs et contribuent à les faire mieux connaître. Soulignons qu'on ne parle nulle part de « zoos humains ». Cette expression désobligeante est un anachronisme contemporain apparu au début du XXIe siècle avec la publication du livre éponyme sous la direction de Pascal Blanchard.
Les Français indifférents au projet colonial
En 1936, à l'apogée de l'Empire colonial, l'immense Afrique Occidentale Française (AOF) ne comptait en tout et pour tout que 14 000 Français (sur 40 millions) face à 15 millions d'indigènes. À peine 1 pour mille ! Autant dire que les Français avaient avec l'Afrique et les colonies dans leur ensemble une relation très ténue. Ils les connaissaient et les fréquentaient bien moins que l'Afrique noire aujourd'hui, au XXIe siècle...
Les choses avaient un peu évolué entre les deux guerres mondiales sous l'effet d'une propagande insatiable.
Ainsi les instituteurs n'eurent-ils de cesse, dans les écoles de la République, d'exalter l'Empire dont la teinte rose recouvrait une bonne partie du planisphère : 100 millions d'habitants, y compris 40 millions de citoyens français, et près de 10 millions de km2, dont la plus grande partie dans la zone saharienne et subsaharienne...
Cliquez pour agrandir
Cette carte illustre l'incroyable expansion de l'Europe au début du XXe siècle. Les grands États du Vieux continent dominent la plus grande partie de la planète, soit directement, à travers le système colonial, soit indirectement, par des pressions financières et militaires sur les gouvernements (Chine, Turquie...).
La République coloniale à l'honneur
L'Exposition coloniale de 1931 marque l'aboutissement de la propagande coloniste. Elle intervient paradoxalement à un moment où déjà est contestée dans le monde, y compris en Occident, la « mission civilisatrice » de l'homme blanc. En Angleterre, cette année-là, on débat de l'opportunité de conférer un statut de dominion (soit une quasi-indépendance) aux Indes, la plus grande colonie qui soit !
Qu'à cela ne tienne. La République française se montre plus que jamais attachée à son empire colonial et à sa mission civilisatrice. L'exposition en montrera les bienfaits. Albert Sarraut, député radical-socialiste et fervent coloniste, qui a longtemps été ministre des Colonies, déclare avec emphase : « L’exposition doit constituer la vivante apothéose de l’expansion extérieure de la France sous la IIIe République et de l’effort colonial des nations civilisées, éprises d’un même idéal de progrès et d’humanité. » (cité par Charles-Robert Ageron, 2005).
C'est donc en fanfare que le ministre des Colonies Paul Reynaud inaugure l'Exposition coloniale en compagnie du président de la République Gaston Doumergue et du commissaire général de l'exposition, l'illustre maréchal Hubert Lyautey (cinq ans plus tôt, ils inauguraient la Grande Mosquée de Paris, en hommage aux musulmans morts à Verdun).
Cet événement marque l'apothéose de la IIIe République et de l'oeuvre dont elle a été la plus fière : la colonisation ou la mise sous protectorat d'une bonne partie de l'Afrique noire et de Madagascar, de l'Afrique du Nord, de l'Indochine ainsi que de la Syrie et du Liban.
L'Exposition coloniale internationale s'installe dans le bois de Vincennes, à l'est de Paris.
Pour l'occasion est construit un musée permanent des colonies à la Porte dorée et une pagode bouddhiste. On aménage aussi un parc zoologique. On reconstitue à l'échelle 1 un temple cambodgien d'Angkor Vat et la mosquée de Djenné (Niger).
L'inauguration se déroule en présence de milliers de figurants : danseuses annamites, familles d'artisans africains dans un village reconstitué, cavaliers arabes...
Chaque jour des spectacles différents et plus exotiques les uns que les autres accueillent les visiteurs (jusqu'à 300 000 par jour). Le succès populaire et l'attrait du public pour les exhibitions exotiques rassurent les promoteurs de la colonisation.
De mai à novembre, l'Exposition accueille un total de huit millions de visiteurs dont la moitié de Parisiens et 15% d'étrangers. Au total sont vendus 33 millions de tickets (les visiteurs se déplaçant à plusieurs reprises). C'est la plus grande affluence qu'ait connue une manifestation parisienne depuis l'Exposition universelle de 1900 (50 millions de tickets vendus).
La seule opposition vient du Parti communiste, alors très minoritaire et en opposition systématique à la gauche socialiste et à la SFIO. Il tente d'organiser une contre-exposition coloniale dans le parc des Buttes-Chaumont, au nord-est de Paris, avec le soutien des intellectuels surréalistes. C'est un échec cinglant avec un total d'à peine cinq mille visiteurs.
De la grande Exposition du bois de Vincennes, les Parisiens ont conservé la pagode bouddhiste, le parc zoologique, reconstruit en plus grand, ainsi que le musée des Arts africains et océaniens de la Porte dorée. Ce dernier a disparu en 2003 (converti en un musée de l'immigration) de sorte qu'il n'existe plus guère en France de lieu de mémoire pour rappeler l'Histoire coloniale de la République, si l'on met à part les carrés musulmans des cimetières militaires, qui rappellent la contribution des indigènes aux deux guerres mondiales.
La diffusion de l'idée coloniale en France fait l'objet de nombreux travaux universitaires, idéologiquement orientés, parmi lesquels on peut citer :
• L'idée coloniale en France (1871-1962), par Raoul Girardet (332 pages, Table ronde, 1972),
• Empire colonial et capitalisme français, Histoire d'un divorce (Jacques Marseille, 452 pages, Albin Michel, 1984),
• La République coloniale, essai sur une utopie (Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, 174 pages, Albin Michel, 2003).
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Diart (21-05-2006 17:47:05)
La mairie du 12 ème arrt de Paris organise du 6 mai au 14 novembre un ensemble de manifestations ( conférences , projections , ... ) à l'occasion du 75 ème anniversaire de l'exposition coloniale qui s'est tenue autour du lac Daumesnil. C'est une remarquable et unique occasion de faire oeuvre de mémoire et d'histoire autour de la commémoration de cet évènement.
Un habitant de la porte dorée .
Alain Diart