Le 14 avril 1931, deux jours après des élections municipales qui ont donné la majorité à une coalition antimonarchiste, l'Espagne inaugure une Deuxième République, la première ayant duré sans éclat de 1873 à 1876. Celle-là va finir quelques années plus tard dans une épouvantable guerre civile.
L'année précédente, le général Miguel Primo de Rivera, désavoué par les commandants des régions militaires, s'est retiré et a quitté le pays. Privée de chef, l'Espagne a été dans le même temps touchée comme le reste du monde par le krach de Wall Street.
Le 17 août 1930, des antimonarchistes de tout poil, des syndicalistes, des autonomistes catalans ainsi que des socialistes signent le pacte de San-Sebastián en vue de la constitution d'une république. Cette alliance disparate remporte les élections municipales du 12 avril 1931 dans 41 capitales de province sur 50.
Le scrutin se déroule dans une atmosphère de grande violence. Dans les campagnes, les débordements populaires font de nombreuses victimes, en particulier dans le clergé catholique.
Le roi Alphonse XIII est pris de panique à la vue de ces masses hirsutes et anticléricales. Il se considère désavoué par le scrutin et, deux jours plus tard, quitte le pays. Mais il n'abdique pas pour autant.
Le commandant de la garde civile, le général José Sanjurjo (59 ans), « héros du Rif », invite les dirigeants républicains à proclamer la République. De cette façon incongrue est mis fin à la Constitution de 1876.
Avec l'avènement de la Deuxième République, les haines et les rivalités ne font que s'exacerber.
À droite se rencontrent les royalistes, les carlistes (partisans d'une autre branche dynastique) et les catholiques traditionnalistes, ainsi que les nostalgiques de la dictature de Primo de Rivera.
À gauche figurent des républicains, des socialistes, des communistes staliniens et des anarchistes (note).
Les élections législatives de juin 1931 confirment le succès des républicains. Elles amènent une majorité de gauche à l'assemblée nationale des Cortes.
Un universitaire de gauche, Manuel Azaña (51 ans), devient président du Conseil (ou chef du gouvernement). Il réforme l'armée et prépare la séparation des Églises et de l'État en profitant de la bienveillance du pape Pie XI, ouvert aux questions sociales. Mais il ne s'en tient pas là et prend aussi des mesures anticléricales malvenues comme la suppression précipitée de l'enseignement catholique (sans avoir les moyens en personnel de le remplacer). Il nationalise aussi les églises et les édifices religieux.
Pour caractériser sa politique, Azaña a un mot imprudent propre à déchaîner les passions : « L'Espagne a cessé d'être catholique ».
Ses mesures s'accompagnent dans plusieurs régions, notamment la Catalogne, de débordements sanglants. Des prêtres sont assassinés. Des couvents et des églises brûlés. Ces drames, qui divisent le pays, ne sont pas isolés. À la même époque, en URSS, Staline lance la « décennie sans Dieu ». Au Mexique, également, les croyants et les prêtres sont persécutés par le gouvernement.
Résolument à gauche, voire révolutionnaire, la Deuxième République étend le suffrage universel aux soldats et aux femmes. Elle accorde un statut d'autonomie à la Catalogne. C'est l'aboutissement des privilèges (en espagnol fueros) accordés aux Catalans ainsi qu'aux Basques au XIXe siècle. Elle lance aussi une grande réforme agraire le 15 septembre 1932 en vue d'exproprier les immenses propriétés mal cultivées d'Andalousie (les latifundias).
Mais les réformes tardent à entrer en application faute de moyens et du fait de l'opposition d'une partie croissante de la population, y compris des catholiques libéraux, heurtés par l'anticléricalisme sanglant des anarchistes et autres républicains.
Le général Sanjurjo, qui avait congédié le roi en 1931, prend parti contre le gouvernement socialiste. Il tente de soulever la garnison de Séville le 10 août 1932 mais échoue. Condamné à mort, grâcié et réfugié au Portugal, il sera invité en 1936 à prendre le commandement du soulèvement militaire mais n'atteindra pas l'Espagne et mourra dans le crash de son avion.
La droite parlementaire s'organise au sein d'une coalition électorale, la CEDA (Confederación Española de Derechas Autónomas), sous l'égide de José Maria Gil Robles.
En 1933, par ailleurs, le fils de l'ancien dictateur Primo de Rivera crée un parti nationaliste sur le modèle fasciste italien, la Falange española.
Un autre mouvement de type fasciste (anticapitaliste, antimarxiste, antilibéral) se développe en parallèle sous l'étiquette de JONS (Juntes d'Opposition Nationale-Syndicaliste). Il a été fondé à Valladolid en 1931 par Onésimo Redondo.
Le gouvernement d'Azaña se déconsidère par sa timidité dans l'application des réformes et va jusqu'à massacrer des ouvriers agricoles d'Andalousie en révolte contre les grands propriétaires. Aussi est-il renversé suite à la victoire d'une coalition centriste conduite par la CEDA aux élections législatives de novembre 1933. Mais le président de la République ne se résigne pas à appeler le chef de la CEDA, Gil Robles, à la tête du gouvernement.
Au lieu de cela s'ensuit une succession de gouvernements dirigés par Alejandro Lerroux García (69 ans). Celui-ci met un terme à la vague de réformes mais ternit son image du fait de la corruption ambiante. Le surnom de straperlo (« roulette truquée ») est resté à cette période.
Les élections législatives suivantes, le dimanche 16 février 1936, ramènent la gauche au pouvoir avec la victoire du Front Populaire (Frente Popular), une coalition des partis de gauche. Mais cette victoire est quelque peu ambigüe puisqu'avec 49,5% des suffrages exprimés, le Frente Popular rafle 5/6e des sièges de députés. Elle va déboucher sur des malentendus en cascade et la guerre civile.
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Banti maguy (14-06-2006 16:06:27)
En accord avec l'ensemble de l'article. Je pensais qu' A. Lerroux Garcia était seulement un réactionnaire et non un straperlo" !