25 juin 1928

Poincaré exécute le franc Germinal

Le 25 juin 1928, le gouvernement français dévalue le franc des 4/5e de sa valeur. La monnaie nationale ne vaut plus que le cinquième de la contrepartie en or du franc d'avant 1914, le franc Germinal, créé par Napoléon Bonaparte un siècle plus tôt.

Cette dévaluation massive met un terme à la crise financière qui agite l'État. Elle est le résultat d'une politique courageuse menée envers et contre tous par le président du Conseil Raymond Poincaré, un conservateur austère et sans charisme de 67 ans, qui a déjà eu l'écrasante responsabilité de présider la République française tout au long de la Grande Guerre.

André Larané

Retour raté

Ayant renoncé à briguer un deuxième mandat en février 1920, Poincaré est appelé à la présidence du Conseil (la direction du gouvernement) par le président Paul Deschanel en janvier 1922. Il se montre intransigeant sur les réparations de guerre dues par l'Allemagne et va jusqu'à occuper la Ruhr en janvier 1923. Cette affaire se solde par un fiasco total. Elle suscite la méfiance des marchés à l'égard de la monnaie française. D'octobre 1923 à mars 1924, le cours de la livre britannique s'élève de 76 à 123 francs. Poincaré engage un vigoureux programme d'économies budgétaires avec par exemple la suppression de 106 sous-préfectures ! À la fin mars 1924, le cours de la livre retombe à 78 francs au grand soulagement des épargnants.

Mais la crise a fait le jeu de l'opposition de gauche et permis à celle-ci, le « Cartel des gauches », de remporter les élections législatives du 11 mai 1924. Poincaré doit remettre son tablier le 1er juin 1924. Mais les nouveaux gouvernements vont réactiver la crise des finances publiques, à commencer par celui que dirige le maire de Lyon Édouard Herriot. Avant de remettre sa démission le 10 avril 1925, ce dernier, dans un discours célèbre, rejette sur un hypothétique « Mur de l'argent » (coalition des possédants) la responsabilité de ses échecs.

Fait original, cette crise est confinée aux finances publiques. La raison en est que les gouvernements s'accrochent à une monnaie surévaluée, dont la parité en or est toujours fixée à son cours d'avant-guerre. Ils doivent s'accommoder d'un important définit budgétaire et dépenser leurs réserves de change dans le soutien du cours de la monnaie.

La vie économique réelle a une toute autre allure. La production industrielle, sur la base 100 en 1913, est tombée à 55 en 1921 mais redécolle ensuite très vite pour atteindre 131 à l'automne 1926 et 144 à l'été 1930 (Histoire de la France au XXe siècle, Serge Bernstein et Pierre Milza, Perrin 1990). C'est dire que la France s'est remise plutôt vite des destructions et des pertes humaines de la Grande Guerre.

Retour réussi

Dans l'impasse, le 21 juillet 1926, avec une livre qui est remontée au cours record de 235 francs, le président Gaston Doumergue appelle Raymond Poincaré à former un cabinet d'union nationale, qui réunit les droites et le parti radical, grand parti charnière du centre, à l'exclusion des socialistes (SFIO) et des communistes.

Fort de son prestige, le nouveau chef du gouvernement constitue une équipe de choc avec seulement treize ministres, mais des recrues de choix, principalement d'anciens ou de futurs présidents du Conseil ! Barthou, Briand, Painlevé, Sarraut, Herriot, Tardieu, Queuille... Lui-même se réserve le ministère de l'économie en plus de la présidence du Conseil.

La confiance des milieux d'affaires et des épargnants revient aussitôt. La conjoncture internationale, il est vrai, est favorable : le monde occidental connaît une euphorie économique (les «Années folles») et la question des réparations allemandes est en voie de règlement avec le plan Dawes qui a été adopté le 1er septembre 1924.

En une seule journée, le 3 août 1926, Poincaré fait adopter par la Chambre des députés un important train de mesures fiscales : possibilité d'augmenter par décret les droits de douane, majoration des droits sur les boissons..., taxe sur le capital immobilier, impôt unifié sur le chiffre d'affaires et, pour « faire passer la pilule », réduction de 60 à 30% du taux de l'impôt général sur le revenu.

Là-dessus, réunissant solennellement les parlementaires à Versailles, le 10 août 1926, il crée une « Caisse d'amortissement des bons du Trésor ». Sa fonction est de collecter les recettes générées par certains impôts et taxes, ces recettes devant être affectées au remboursement de la dette de l'État. Les épargnants sont ainsi assurés de récupérer leur mise.

Les résultats, rapides, satisfont l'opinion : les rentrées fiscales augmentent cependant que les prix à la consommation tendent à baisser, en partie du fait de la revalorisation du franc.

Mais le chef du gouvernement a conscience que les mauvaises habitudes de laxisme budgétaire pourraient vite reprendre le dessus, ainsi que la tentation de rehausser le cours du franc à son niveau d'avant-guerre, pour des motifs essentiellement idéologiques (orgueil national, nostalgie de la « Belle Époque », effacement des séquelles de la Grande Guerre).

Une dévaluation de raison

Poincaré veut éviter à tout prix l'erreur de Churchill, chancelier de l'Échiquier, qui a restauré la livre sterling à son niveau de 1914 et porté de ce fait un coup sévère aux exportations britanniques. Il prend le temps de la réflexion ; après tout, le temps joue pour lui et en faveur de la dévaluation, rendant celle-ci de moins en moins évitable, quoiqu'en pense la droite conservatrice, porte-parole des épargnants.

Après les élections législatives du printemps 1928, Poincaré se décide à dévaluer le franc et à ramener son cours officiel au cours stabilisé de 1926. Il pèse désormais 65,5 milligrammes d'or au titre de 900 millièmes, contre 322,58 milligrammes d'or lors de sa création par Bonaparte par la loi du 7 germinal an XI (27 mars 1803). On a désormais environ une livre pour 125 francs et un dollar pour 25 francs.

La mesure permet de restaurer la convertibilité du franc en lui donnant une valeur réaliste. Les comptes publics et les échanges se redressent et l'année 1929 se présente sous les meilleurs auspices... 1929 ! Le 26 juillet, pour cause de prostate, Poincaré se retire avec les honneurs. Mais son gouvernement demeure en place sous la présidence d'Aristide Briand (l'homme de la séparation des Églises et de l'État ainsi que du rapprochement franco-allemand) puis d'André Tardieu.

Nuages à l'horizon

Le ministère des Finances est confié à Henri Chéron. Celui-ci, maladroitement, fait valoir l'existence d'une réserve de quelques milliards (une « cagnotte » comme dira plus tard le président Jacques Chirac). Aussitôt montent les convoitises autour de ces milliards disponibles...

Par un excès de confiance, André Tardieu, président du Conseil de novembre 1929 à décembre 1930, fait fi du krach de Wall Street, qui survient le 24 octobre 1929. Il pense, avec quelque raison, que la France est à l'abri de ses conséquences et proclame sa volonté de faire la « politique de la prospérité ». Usant sans frein de la « cagnotte » budgétaire, il rompt avec l'orthodoxie budgétaire de Poincaré.

C'est ainsi que son ministre de la Guerre André Maginot engage la construction de la ligne fortifiée qui porte son nom.

Tout aussi important, le gouvernement Tardieu institue le 30 avril 1930 un régime d'assurance vieillesse obligatoire pour tous les salariés modestes par la loi et, le 28 juin 1930 (anniversaire du traité de paix), la retraite du combattant. Ajoutons que sous un deuxième et bref gouvernement Tardieu, le ministre du Travail Pierre Laval promulgue la loi du 11 mars 1932 sur les assurances sociales, à l'origine de la Sécurité Sociale.

En dépit de ces libéralités, le franc Poincaré, allégé, permet à la France d'échapper jusqu'en 1932 aux retombées néfastes du krach...

Mais celles-ci vont redoubler d'intensité du fait de la dévaluation de la livre sterling en 1931, rendant inéluctable une nouvelle dévaluation du franc, en 1936, sous le Front Populaire, en dépit de la déflation Laval de l'année précédente.

Publié ou mis à jour le : 2022-06-23 13:37:32

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