Deux séries télévisées ont contribué à faire connaître le massacre de Tulsa dans le monde entier : Watchmen en 2019 et Lovecraft Country en 2020. Elles relatent un événement réel survenu le 31 mai 1921 dans l’Oklahoma.
Ce jour-là, les Américains rendent hommage à leurs soldats morts au combat : c’est le « Memorial Day ». Un cireur de chaussures de 19 ans, Dick Rowland, se rend aux toilettes réservées aux personnes noires. Alors qu’il se trouve dans l’ascenseur, il écrase sans faire exprès le pied d’une jeune fille blanche de 17 ans, Sarah Page. Celle-ci affirme que le jeune homme a tenté de l’agresser ; Dick Rowland est aussitôt arrêté et mis en prison. Ce sera le point de départ d’un lynchage d'une violence sans précédent…
En 1921, l’égalité est loin de régner aux États-Unis. Les lois Jim Crow, mises en place en 1877, sont toujours en vigueur. Elles restreignent les droits civiques des Afro-Américains en les obligeant à se rendre dans des emplacements réservés dans de nombreux lieux publics et culturels, tels que les théâtres, les restaurants, les hôpitaux, mais aussi les toilettes ou les transports en commun. Les personnes de couleur n’ont pas le droit de voter.
Le président américain aux commandes depuis 1913, Woodrow Wilson, né en Virginie, maintient la ségrégation dans le pays. Il écarte les personnes de couleur noire de son gouvernement. Dans une revue militante, la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), il déclare : « Segregation is not a humiliation but a benefit, and ought to be so regarded by you gentlemen ».
Wilson qui, par ailleurs, plaide auprès des Européens pour une « paix sans victoire » et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, soutient les actions d’une société secrète suprémaciste blanche, le Ku Klux Klan (dico). En 1915, au mois de février, il projette à la Maison-Blanche le film Naissance d'une Nation. Celui-ci contribue énormément à remettre le KKK en selle...
Après la Grande Guerre, les soldats de retour au pays, blancs comme noirs, bataillent pour trouver un emploi. Ils s'opposent violemment dans le Midwest durant l’« Eté rouge ». Parallèlement, les cinq millions de membres du KKK sèment la terreur en lynchant, noyant et intimidant les Afro-Américains. Pour se protéger, ceux-ci se regroupent au sein de quartiers, formant de solides communautés : ce sont les « colored districts ».
C’est le cas dans le quartier de Greenwood, à Tulsa, que les habitants appellent familièrement « Black Wall Street ». Plusieurs entreprises gérées par des personnes noires s’y sont installées, ainsi que des cabinets, des avocats, des journaux… On y trouve aussi plusieurs églises. Une classe moyenne se développe rapidement ; elle suscite de la jalousie de la part des blancs de Tulsa.
Le 31 mai 1921 voit la montée de la haine raciste atteindre son paroxysme. Suite à l’accusation d’agression portée par Sarah Page contre Dick Rowland, le jeune homme est arrêté sans preuve. Prévoyant un désir de vengeance des habitants blancs de la ville, des hommes noirs armés se rendent au Palais de Justice. Ils se retrouvent face à face. Mais les premiers sont trop nombreux ; après plusieurs morts, les seconds se réfugient donc à Greenwood. Peine perdue : le lendemain, des incendies criminels sont déclarés dans le quartier. 1250 maisons et 131 entreprises prennent feu, ainsi qu’un hôpital et des églises. Des Afro-Américains sont tués dans la rue. Il se trouve même un avion pour bombarder le quartier. Certains spécialistes y voient le premier bombardement aérien de populations civiles.
Au total, ce sont entre 100 et 300 personnes qui périssent ; leurs corps sont jetés dans une fosse commune et dans la rivière Arkansas. 8000 perdent leur maison. Le comble : la police prétend que les noirs seraient les fauteurs de troubles. Plusieurs d’entre eux sont arrêtés, tandis que les véritables criminels continuent de se promener librement. Le 2 juin, la Garde nationale arrive à Tulsa pour mettre fin au lynchage. Elle interne 6000 Afro-Américains dans des camps.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Afro-Américains vont se battre sans relâche pour la pleine réalisation de leurs droits civiques. Suite à l’assassinat de Martin Luther King et de Malcom X, le président Lyndon B. Johnson fait voter plusieurs lois : le Civil Rights Act (1964 et 1968) et le Voting Rights Act (1965) qui répriment sévèrement toute forme de ségrégation.
Tout citoyen américain, quelle que soit sa couleur de peau, peut s’inscrire sur les listes électorales, se rendre dans un établissement public, accéder à l’emploi et adhérer au syndicat de son choix. Une forme de discrimination positive mise en place : des emplois sont réservés aux femmes et aux personnes de couleur grâce à un décret signé le 24 septembre 1965 par Lyndon B. Johnson.
Le massacre de Tulsa a trouvé son épilogue le 2 juin 2021 avec l'inauguration du Greenwood Rising. Ce musée-mémorial rend hommage aux victimes du massacre en retraçant l’histoire du quartier de Greenwood, de sa prospérité au massacre en passant par ses figures emblématiques. Une partie de l’exposition est consacrée à la reconstruction du quartier et à l’élaboration de la paix entre les habitants.
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