Le 28 juin 1919, un traité entre l'Allemagne et les Alliés règle le conflit qui débuta à Sarajevo 5 ans plus tôt, jour pour jour, et se termina par l'armistice de Rethondes.
Neuf à dix millions de morts (dont 1 400 000 pour la France) témoignent de l'horreur exceptionnelle de cette guerre sans précédent dans un continent qui avait réuni au XIXe siècle tous les atouts de la prospérité, de la grandeur et de l'harmonie.
Un bouleversement sans précédent
Les négociations de paix s'ouvrent à Paris, le 18 janvier 1919, réunissant pas moins de 27 délégations des puissances victorieuses (le Royaume-Uni s'exprime qui plus est au nom du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l'Afrique du Sud et de l'Inde). Les délégués officiels sont assistés de très nombreux experts et diplomates, sans compter les représentants de minorités de toutes sortes venus plaider leur cause.
Jusqu'à leur clôture, le 10 août 1920, les délégations mettent au point des traités de paix avec chacun des pays vaincus. Mais c'est en l'absence des représentants de ceux-ci, un précédent fâcheux.
Les traités de paix sont successivement signés dans les châteaux de la région parisienne avec chacun des vaincus, à commencer par l'Allemagne. La carte du continent européen en sort complètement transformée avec la disparition de quatre empires, l'allemand, l'austro-hongrois, le russe et l'ottoman, au profit de petits États nationalistes, souvent hétérogènes, revendicatifs... et impuissants.
Une cérémonie à la froideur calculée
Le premier des traités de paix et le plus important est signé avec l'Allemagne dans la galerie des Glaces du château de Versailles, sur les lieux mêmes où fut fondé l'empire allemand le 18 janvier 1871. En rupture avec les traditions diplomatiques de l'ancienne Europe, les plénipotentiaires allemands sont reçus de la plus mauvaise manière qui soit...
La délégation allemande est composée de Hermann Müller, ministre allemand des Affaires étrangères (arrivé deux jours plus tôt en remplacement de son prédécesseur démissionnaire qui refusait de signer) et du docteur Bell, ministre des transports. Elle a été logée en bordure du domaine, à l’hôtel des Réservoirs. Ce 28 juin, à 14h40, les deux hommes sortent de leur résidence et sont conduits au château.
Müller et Bell entrent dans la galerie des Glaces par le salon de la Paix, après avoir longtemps attendu à l'extérieur qu'on leur en donne l'autorisation. Ils sont accueillis dans un silence de mort.
Pour l’occasion, le sol de la galerie a été recouvert de vingt‐quatre tapis de la manufacture de la Savonnerie datant de Louis XIV. Les journalistes se tiennent à l’extrémité nord et les invités côté sud. Au centre, 27 délégations prennent place dos aux miroirs, derrière une longue table couverte de velours. Elles représentent 32 pays alliés et associés. En face, sous la voûte décorée de la composition de Le Brun Le roi gouverne par lui‐même, un bureau de l’ébéniste Charles Cressent (XVIIIe siècle) présente le document qui doit être paraphé.
Pour mieux humilier et culpabiliser les deux Allemands, le président du Conseil Georges Clemenceau a fait installer cinq « gueules cassées » (des soldats français mutilés de la face) derrière leurs sièges, face à la table du traité. Lui-même va immédiatement saluer les mutilés sans égard pour le reste de l'assistance !
La séance dure cinquante minutes. Ni décorum, ni musique. Clemenceau, debout, invite les Allemands à signer les premiers le traité. À leur suite, chaque délégation s’approche du bureau pour signer. Au lieu de s’asseoir, Clemenceau signe le traité de paix debout. Wilson n’utilise pas le porte‐plume mis à sa disposition mais son propre stylo tout comme les Allemands. À l’issue de la cérémonie, ces derniers repartent discrètement en voiture vers leur hôtel et quittent immédiatement la France, tandis que les représentants des nations alliées se rendent dans le parc, où la foule les acclame longuement...
Le château du Roi-Soleil a été délaissé pendant plus d'un demi-siècle et même transformé en hôpital de campagne pendant la Grande Guerre. La conférence de paix le ramène à la lumière ainsi que le rappelle la vidéo ci-dessous, une réalisation conjointe du musée de Versailles et du musée des Beaux-Arts d'Arras...
Des négociateurs divisés
Le traité de Versailles a été pour l'essentiel arbitré par quatre personnes : le Français Georges Clemenceau, le Britannique David Lloyd George, l'Américain Thomas Woodrow Wilson sans oublier l'Italien Vittorio Orlando.
Ce sont des hommes du centre gauche, méfiants à l'égard de l'Église et des catholiques autrichiens, hostiles d'autre part aux communistes qui tiennent la Russie sous leur botte et sèment la Révolution en Europe centrale.
Le président Wilson est un idéaliste qui veut imposer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes conformément à ses Quatorze Points de janvier 1918, au risque de créer des États-croupions non viables en Europe centrale, sur les ruines de l'Autriche-Hongrie. Extrêmement populaire dans son pays comme à l'étranger, Wilson se présente en véritable leader du monde civilisé. Il bénéficie, il est vrai, d'atouts conséquents : à la différence des pays européens, les États-Unis ont en effet accru leur puissance économique du fait même de la guerre et des ventes d'armement aux Alliés franco-anglais. Qui plus est, les États-Unis, qui se sont engagés tardivement dans la guerre, n'ont pas moins envoyé deux millions de soldats sur le sol européen. Et, à la veille de l'armistice, deux autres millions se tenaient prêts à les rejoindre !
Le Premier ministre britannique Lloyd George lorgne sur les colonies allemandes et le marché intérieur des vaincus. Dans le souci de maintenir un certain équilibre entre les puissances européennes et aussi pour complaire au président Wilson, il voudrait éviter de trop écraser les puissances d'Europe centrale mais son souhait est contrecarré par Georges Clemenceau.
Le « Tigre » veut punir l'Allemagne comme il convient. Il y est poussé par les militaires comme le général Foch et surtout par son opinion publique, qui a le sentiment justifié d'avoir donné son sang plus qu'aucun autre dans la Grande Guerre. Elle entend bien être payée de son sacrifice et réclame vengeance.
La récupération de l'Alsace-Lorraine, annexée en 1871 par l'Allemagne, est pour les Français non-négociable et ne saurait être subordonnée à la tenue d'un référendum, d'autant que le résultat de celui-ci n'est pas garanti : après un demi-siècle d'administration prussienne, les Alsaciens-Lorrains ont eu le loisir d'en apprécier l'efficacité et ne sont pas tous disposés à y renoncer...
Les réparations de guerre vont également de soi. Bismarck lui-même n'a-t-il pas imposé à la France en 1871 un colossal tribut de 5 milliards de francs-or que les Français se sont faits un devoir de régler rubis sur l'ongle, en avance sur les échéances ?
Le quatrième négociateur est le Premier ministre italien Vittorio Orlando. Plein de faconde, il ne souhaite rien d'autre que des annexions autour de la mer Adriatique, au détriment de l'Autriche-Hongrie, et quitte provisoirement la table des négociations en mai 1919 pour appuyer ses revendications (parmi ses secrétaires figure un jeune homme de 21 ans qui deviendra un grand écrivain italien, Curzio Malaparte).
Les quatre principaux négociateurs alliés du traité de paix posent devant le château de Versailles :
David Lloyd George (Royaume-Uni), Vittorio Orlando (Italie), Georges Clemenceau (France) et Thomas W. Wilson (Etats-Unis).
Des conditions de paix sévères
Les plénipotentiaires allemands ont été tenus à l'écart de la préparation du traité. Selon les termes de celui-ci, leur nation est en premier lieu amputée du huitième de son territoire et du dixième de sa population. Elle est par ailleurs soumise à des limitations de souveraineté jugées humiliantes.
• L'Allemagne perd l'Alsace et la Lorraine du nord (Metz), annexées en 1871. Le territoire est restitué à la France sans référendum mais conserve ses particularités de l'époque impériale. À la différence du reste de la République française, les trois départements demeurent ainsi soumis au Concordat de 1801 qui régit les rapports entre l'État et l'Église catholique.
• L'Allemagne perd aussi les villes d'Eupen et Malmédy au profit de la Belgique et surtout une grande partie de ses provinces de l'Est à l'exception de la Prusse orientale (Koenigsberg) au profit d'une Pologne ressuscitée.
• L'Allemagne est dépouillée de ses colonies africaines au profit de la France, de la Belgique, de la Grande-Bretagne et de l'Union sud-africaine ; elle cède aussi la province chinoise du Chan-tong au Japon (ce qui provoque les protestations de la Chine, qui quitte la conférence en mai 1919).
• Aux marches orientales de la nouvelle Allemagne, le traité ressuscite une Pologne hétérogène (avec une forte minorité germanophone) dont le seul accès à la mer passe par les territoires allemands. C'est le corridor de Dantzig qu'elle se montrera inapte à défendre.
• Les royaumes et les principautés qui composaient l'Empire allemand et pouvaient servir de contrepoids à l'autoritarisme prussien sont dissous. Il est vrai que leurs souverains avaient abdiqué avant même l'armistice du 11 novembre 1918. À la place de l'Allemagne impériale s'installe un État démocratique et républicain, ce dont se réjouissent les Français. Mais cette « République de Weimar », du nom de la ville où se réunit l'assemblée constituante, aura bien des difficultés à résister aux pressions de la rue.
• L'armée allemande est réduite à 100 000 soldats de métier et la marine de guerre à 16 000 hommes. Les forces armées sont interdites d'artillerie lourde, de cuirassés et d'avions. Il ne leur est pas permis de faire appel à des conscrits.
• Les Alliés prévoient d'occuper militairement pendant 15 ans la rive gauche du Rhin ainsi que trois têtes de pont sur le Rhin (Mayence, Cologne, Coblence). Il est prévu également une zone démilitarisée de 50 km de large sur la rive droite du Rhin.
• Le gouvernement allemand doit reconnaître sa responsabilité dans le déclenchement de la guerre (il est vrai que c'est lui qui a déclaré la guerre à la France le 3 août 1914 et non l'inverse). On lui demande qui plus est de livrer l'ex-empereur Guillaume II (alors en exil) pour le juger comme criminel de guerre ainsi que quelques autres hauts responsables.
• Enfin, en vertu de l'article 231 qui la juge responsable du déclenchement de la guerre, l'Allemagne est astreinte à d'importantes sanctions matérielles et financières en réparation des dommages monstrueux causés en Belgique et principalement en France. Le montant final de ces « réparations » (c'est le terme officiel) sera fixé après la signature du traité de Versailles, en 1921, à 269 milliards de mark-or. C'est plus qu'une année du revenu national de l'Allemagne. L'économiste britannique John Maynard Keynes, qui recommandait de ne pas aller au-delà de 70 à 80 milliards pour ne pas compromettre la reconstruction de l'économie allemande et les échanges internationaux, démissionne de sa fonction d'expert à la conférence le 9 juin 1919, suivi de peu par son ami, le délégué allemand Carl Melchior.
« L'Allemagne paiera ! » répondra plus tard Clemenceau à qui l'interpellera sur les difficultés de la reconstruction de la France. Dans les faits, la mauvaise volonté de l'Allemagne à payer les réparations et la dévaluation délibérée du mark en 1923 seront à l'origine de graves crises financières et politiques dans l'ensemble de l'Europe.
• Le traité de Versailles prévoit par ailleurs la création d'une Société des Nations pour le règlement des conflits à venir, selon les généreux principes du président américain.
Accrédité par l'armée anglaise, le peintre britannique sir William Orpen montre ici les plénipotentiaires allemands Müller et Bell de dos, foudroyés par le regard dominateur de Lloyd George, Wilson, Clemenceau et Orlando. Le peintre ne se prive pas pour autant d'une critique aigre-douce des conditions de la paix en montrant les vainqueurs eux-mêmes comme écrasés par la magnificence de la galerie des Glaces. Au-dessus d'eux se lit la formule Le Roy gouverne ; derrière eux transparaît un grand vide dans les miroirs : autant d'indices d'une paix volée aux peuples par des gouvernants isolés.
Une opinion allemande indignée
Les plénipotentiaires allemands prennent connaissance du texte final du traité le 7 mai 1919 (sept semaines avant la séance de signature) sans qu'ils aient pu négocier quoi que ce soit. C'est une première dans les annales de la diplomatie européenne. Ils proposent des modifications le 29 mai 1919 mais elles sont toutes rejetées sauf l'une d'elles concernant la Silésie.
En Allemagne, c'est l'indignation. L'opinion publique qualifie le traité de Diktat. Plus tard, les extrémistes auront beau jeu de se prévaloir de cette infraction aux règles diplomatiques pour en contester les dispositions.
Le comte de Brockdorff-Rantzau, ministre allemand des Affaires étrangères, lit une longue protestation et démissionne le jour même, refusant de signer le traité. Sa protestation est inscrite dans le préambule du traité :
« Nous ne méconnaissons pas la grandeur de notre impuissance et l'étendue de notre défaite ; nous savons que la puissance des armes allemandes est brisée, nous connaissons la puissance de la haine que nous rencontrons ici. Nous avons entendu la demande pleine de passion que les vainqueurs nous feront payer comme vaincus et comme coupables. On nous demande de nous reconnaître seuls coupables de la guerre : une telle affirmation serait dans ma bouche un mensonge. Loin de moi la pensée de décliner notre responsabilité dans la guerre mondiale ni dans la manière dont elle fut faite.
L'attitude de l'ancien Gouvernement allemand au Congrès de La Haye, ses actions, ses omissions dans les journées tragiques de juillet, ont contribué au malheur, mais nous contestons fermement que l'Allemagne, dont le peuple avait à se défendre, soit seule chargée de cette culpabilité. Personne de vous ne voudra prétendre que le malheur n'a commencé que quand l'Autriche-Hongrie fut victime d'une main assassine.
Dans les dernières cinquante années d'impérialisme, tous les États européens ont empoisonné la situation internationale. C'est la politique de la revanche, la politique de l'expansion et la négligence du droit des peuples qui ont contribué à la maladie de l'Europe, laquelle a eu sa crise dans la guerre. La mobilisation russe enleva aux hommes politiques le moyen d'éviter que la solution du conflit ne fût livrée aux militaires. L'opinion publique se plaint dans tous les pays ennemis des atrocités que l'Allemagne a commises au cours de la guerre. Nous sommes prêts à avouer le tort que nous avons fait. Nous ne sommes pas venus ici pour amoindrir les responsabilités des hommes qui ont fait la guerre politiquement et économiquement, ni pour nier les crimes commis contre les droits des peuples. Nous répétons la déclaration faite au commencement de la guerre au Reichstag allemand : On a fait tort à la Belgique et nous voulons le réparer... »
L'assemblée réunie à Weimar se résigne à approuver le traité le 22 juin 1919, avant sa signature dans la galerie des Glaces de Versailles.
La majorité des Français jugent pour leur part le traité encore trop indulgent à l'égard de l'Allemagne, au regard de ce qu'eux-mêmes ont dû encaisser cinquante ans plus tôt avec le traité de Francfort qui a conclu la guerre franco-prussienne. Ils en tiendront rigueur à Clemenceau si bien que celui-ci sera empêché d'être élu à la présidence de la République l'année suivante !
Quant aux Américains, soucieux de concorde, ils s'indignent à l'égal des Allemands de la trop grande sévérité du traité. Le 19 mars 1920, le Sénat s'offre même le luxe de ne pas ratifier le texte signé par le président américain. En le rejetant, il refuse par la même occasion l'entrée des États-Unis à la SDN, compromettant la mise en oeuvre du traité et le succès de la nouvelle organisation ! Cette défaillance américaine sera lourde de conséquences dans les décennies suivantes.
Au cours des discussions qui ont précédé le traité de Versailles du 28 juin 1919 mettant fin au conflit entre l'Allemagne et les Alliés, Georges Clemenceau s'est plu à étaler sa connaissance de la langue anglaise devant ses alliés, le Britannique Lloyd George et l'Américain Wilson.
Le président du Conseil français avait longtemps séjourné aux États-Unis et épousé une habitante de ce pays. Lorsque les Anglo-Saxons lui suggérèrent d'adopter l'anglais comme langue de travail aux côtés du français, il n'y fit pas opposition. Il ne s'opposa pas davantage à ce que le traité fût lui-même rédigé en français et en anglais, les deux versions faisant également autorité.
C'est ainsi qu'avec l'approbation de la France victorieuse, le français n'a plus été, pour la première fois depuis le traité de Rastatt de 1714, la langue officielle de la diplomatie occidentale.
Les traités secondaires
Dans les mois et les années qui suivent, plusieurs traités font suite à celui de Versailles. Ils définissent les conditions de paix avec les autres vaincus de la Grande Guerre : l'ancienne Autriche-Hongrie signera à Saint-Germain-en-Laye (Autriche) et au château de Trianon, dans le parc de Versailles (Hongrie), la Bulgarie à Neuilly, la Turquie à Sèvres puis à Lausanne.
• Sur les débris de l'Autriche-Hongrie, les traités de Saint-Germain-en-Laye et Trianon créent une Tchécoslovaquie à la merci de ses minorités et une Autriche réduite à presque rien et incapable d'une autre ambition que de fusionner un jour avec l'Allemagne.
• Les Italiens veulent annexer différents territoires autour de la mer Adriatique au nom de l'« égoïsme sacré » de la Nation. Mais le président Wilson s'y oppose au nom du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes », car ces territoires sont en majorité peuplés de Slovènes et de Croates.
C'est ainsi que les Italiens se voient refuser par les autres Alliés le droit d'annexer le port de Fiume, l'Istrie (Slovénie actuelle) et la Dalmatie (Croatie actuelle). Leur déception sera exploitée par maints agitateurs, au premier rang desquels le futur dictateur Benito Mussolini.
Cette carte montre l'Europe après les traités qui ont fait éclater les quatre empires de 1914. On note la multiplication de petits pays inaptes à se défendre et le couloir de Dantzig qui partage en deux le territoire allemand.
Bibliographie
Avec l'armistice du 11 novembre 1918, les opinions européennes ont cru que la guerre qui prenait fin serait « la der des der » (la dernière des guerres). Les illusions se dissiperont dès la signature des traités.
Dans son essai intitulé Les conséquences économiques de la paix et publié à la fin 1919, John Maynard Keynes, qui a claqué la porte de la conférence de paix, sème le trouble en dénonçant les réparations imposées au vaincu, trop lourdes selon lui pour être effectivement appliquées.
En éminent représentant de la haute société de Cambridge, qui a trop écouté les banquiers allemands, l'économiste britannique sous-évalue grossièrement les pertes matérielles subies par la France et exagère les conséquences que pourraient avoir les réparations sur les équilibres géopolitiques à venir. Ainsi donne-t-il des arguments aux sénateurs américains pour rejeter le traité dès mars 1920 (note).
Jacques Bainville lui donne la réplique dans un petit essai prophétique : Les conséquences politiques de la paix (1920). L'historien français se garde de tout ramener à des considérations économiques comme Keynes. Il démontre avec brio que les clauses politiques du traité de Versailles contiennent les germes d'un autre conflit. Suite au remodelage de l'Europe centrale, « il reste l'Allemagne, seule concentrée, seule homogène, suffisamment organisée encore, et dont le poids, suspendu sur le vide de l'Europe orientale, risque de faire basculer un jour le continent tout entier », écrit-il, rappelons-le, dès 1920. Il résume la paix de Versailles dans une formule cinglante : « Une paix trop douce pour ce qu'elle a de dur et trop dure pour ce qu'elle a de doux ».
Son analyse est reprise par l'historien René Grousset dans Bilan de l'Histoire (1946) : « La seconde Guerre de Trente Ans était commencée. La plupart des contemporains ne s'en rendirent pas compte, parce que le Traité de Versailles leur parut achever la ruine de l'impérialisme allemand. Par quelle aberration fallut-il que nos alliés anglo-saxons, consacrant au contraire à Versailles l'oeuvre de Bismarck, maintinssent intacte l'unité allemande ou plutôt qu'ils prissent soin de la renforcer encore, car la suppression des autonomies provinciales ne pouvait avoir d'autre résultat ? Et devant cette Allemagne plus unifiée que ne l'avait jamais été celle du Chancelier de fer, ils servirent, morcelés à souhait, des États danubiens sans lien fédéral, auxquels s'attaquait déjà la propagande de l'Anschluss. La grande voix du maréchal Foch s'éleva vainement contre ces erreurs, génératrices de tant de prochains massacres ».
Plus près de nous, Margaret MacMillan, historienne canadienne, nous offre un point de vue plus distancié mais tout aussi passionnant sur les traités de paix avec : Les artisans de la Paix (2006).
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Voir les 17 commentaires sur cet article
Patrice (26-06-2024 15:57:07)
Un détail a été oublié dans cet article : depuis le début de 1914, les Britanniques encourageaient les Italiens à rester neutre au cas ou une guerre éclaterait (et que ce soit un des membres de... Lire la suite
Christian (01-07-2022 05:45:54)
Les Allemands furent indiscutablement humiliés et culpabilisés par le traité de Versailles en 1919 et par l'occupation de la Ruhr en 1923, mais cela ne saurait justifier les agressions nazies de 19... Lire la suite
Jacques Groleau (29-06-2022 14:04:54)
Hélas, ces traités humiliants, trop "laïques", ont fait le lit de la 2ème guerre mondiale - j'espère, pas de la prochaine, encore que...