Ce mercredi 19 février 1919, alors que Georges Clemenceau quitte son domicile pour le ministère de la Guerre, un jeune anarchiste de 23 ans tire neuf balles sur sa voiture. L'une d'elles atteint le président du Conseil entre les poumons. Non mortelle, elle ne sera jamais extraite.
Le tireur, un ouvrier du nom d'Émile Cottin, est condamné à mort un mois plus tard. Mais le même mois, avant que sa peine soit commuée, Raoul Villain, l'assassin de Jean Jaurès, est, lui, acquitté ! Ces deux jugements, l'un et l'autre excessifs, vont provoquer une rupture de l'Union sacrée qui avait uni la droite et la gauche pendant la Grande Guerre...
Ce texte puise ses sources dans l'excellent ouvrage que l'historien Jean-Yves Le Naour a consacré à l'attentat et au procès d'Émile Cottin : L'Assassinat de Clemenceau (Perrin, février 2019, 168 pages, 17 euros).
L'auteur expose en particulier le contexte de ces semaines troubles et les embarras de la presse et des partis politiques face à la personnalité du tueur isolé comme de celle son alter ego Raoul Villain. Son récit se lit comme un roman policier..
Une popularité au zénith
Trois mois après l'armistice qui a mis fin à la Première Guerre mondiale, Clemenceau demeure aux commandes du pays comme président du Conseil (l'équivalent de Premier ministre) et ministre de la Guerre. Tous les matins,, il quitte son appartement du 8, rue Franklin et monte dans sa limousine.
Ce 19 février 1919, personne ne fait attention à un jeune homme pâle. Il court derrière la voiture, sort un revolver et tire plusieurs coups. Les policiers et quelques badauds et voisins ont vite fait de le neutraliser.
Clemenceau va se remettre sur pied en une semaine. Et comme il ne perd pas son humour pour si peu, il glisse à un visiteur : « Je ne savais pas que la chasse au tigre était ouverte à Paris ! ».
L'enquête de police confirme l'acte d'un tueur isolé.Le procès s'ouvre devant le Conseil de guerre, le 14 mars 1919. Émile Cottin fait pâle figure. « Quel petit homme pour un si grand crime ! » écrit L'Homme libre, le journal de Clemenceau.
Le verdict est sans surprise. C'est la mort. Et voilà que s'ouvre dix jours plus tard, le 24 mars 1919, le procès de Raoul Villain, qui a tué le tribun socialiste Jean Jaurès cinq ans plus tôt en raison de son opposition à la guerre !
De dix ans plus âgé que Cottin, l'assassin est aussi médiocre, inculte et introverti. Les jurés, ne voulant en aucune façon désavouer le sacrifice d'un million et demi de soldats, vont donc acquitter l'assassin qui a cru agir pour la défense de la patrie. Villain est acquitté et la veuve de Jaurès condamnée à payer les frais de justice !
Ce jugement s'ajoutant au précédent va fracturer l'échiquier politique. Depuis août 1914, tous les partis avaient remisé leurs querelles au placard au nom de l'« Union sacrée ». Mais là, c'en est trop pour la gauche et les modérés. Les mineurs de Carmaux, fief de Jaurès, se mettent en grève et cent mille personnes participent à Paris à une manifestation « commémorative ».
Clemenceau se hâte de réagir. La peine de mort d'Émile Cottin est commuée en dix ans de détention. En mai 1924, la victoire du Cartel des gauches aux élections législatives va conduire à la panthéonisation de Jean Jaurès mais aussi à la liberté d'Émile Cottin, érigé en martyr de la gauche !
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