Quelques jours plus tôt, le 21 mars, les Allemands ont joué leur va-tout en donnant un vigoureux coup de boutoir sur le front occidental. Leur objectif est de remporter la victoire avant l'entrée en action des Américains.
Le commandant en chef des forces allemandes, le général Erich Ludendorff (53 ans), veut mettre à profit la paix inespérée avec la Russie bolchévique et la défection roumaine. Dès la signature de l'armistice du 15 décembre 1917 avec les Russes, il a commencé à transporter des divisions allemandes du front russe vers le front occidental, laissant à l'Est près d'un million d'hommes.
Il veut engager une offensive de la dernière chance et emporter la décision avant que les Américains n'arrivent sur le front. L'opération, baptisée Michaël, est prévue pour débuter le 21 mars 1918, au début du printemps, afin que les chevaux, encore très nombreux dans les services de transport, puissent être nourris sans problème.
Elle va engager 65 divisions d'infanterie sur les 192 que comptent les Allemands sur le front occidental (une division allemande compte près de quinze mille hommes).
Selon la tactique inaugurée à l'automne précédent, l'offensive débute au petit matin par un bombardement court mais très violent de trois heures, assorti d'obus à gaz. Du jamais vu encore en intensité, même à Verdun !
Ensuite vient un feu roulant avec bombes fumigènes derrière lequel progresse l'infanterie, équipée de masques à gaz !...
Ludendorff engage ses meilleures troupes dans la bataille, des troupes d'assaut ou Sturmtruppen spécialement entraînées, ainsi que l’Abteilung 1 composé de 5 tanks allemands A7V... et de 5 tanks Mark IV enlevés aux Britanniques.
Les Allemands arrivent qui plus est à bombarder Paris avec des avions et trois canons géants cachés dans la forêt de Saint-Gobain, à 140 km au nord de la capitale.
Pour la première fois en plus de trois ans de guerre, le front est percé. Dès le premier jour, la rupture est obtenue sur la ligne du canal Crozat, qui relie l'Oise à la Somme, face à la Ve Armée anglaise du général Gough, laquelle n'y peut rien faute d'avoir été renforcée par le commandant en chef Douglas Haig.
Celui-ci a bien été informé de l'imminence de l'offensive mais il en veut aux Français d'avoir dû étirer son front vers le sud, au niveau de la Ve Armée et ne veut pas faire plus.
Du fait de leur mauvaise coordination, les alliés vont très vite entrevoir le spectre de la défaite. Péronne tombe aux mains des Allemands. Noyon est menacée.
Le maréchal Douglas Haig doit en rabattre et supplier son homologue Pétain de lui envoyer des troupes en renfort pour pallier à l'insuffisance de la Ve Armée et maintenir la continuité de la ligne de front.
Lui-même, sous la poussée allemande, rabat ses troupes vers le nord, pour protéger avant tout ses liaisons avec les ports de la Manche, au risque d'ouvrir la brèche entre troupes britanniques et françaises.
Pétain ne peut faire autrement que d'accéder à ses demandes. Il comble les brèches laissées par les Anglais avec des troupes de réserve et des divisions venues de Champagne, au risque de fragiliser le front de la Marne. Mais il souhaite aussi protéger Paris, au sud.
Le 23 mars 1918, les deux alliés Pétain et Haig se rencontrent à Dury, près d'Amiens, pour tenter de concilier leurs exigences respectives. Mission impossible. Le même jour, la Kölnische Volkszeitung parle déjà de victoire : « La paix de l'Allemagne sera la paix de l'Europe ».
À Paris, en recevant le rapport de Pétain, le vieux Clemenceau, que l'on a connu solide comme un roc, en vient lui-même à douter : « Je ne ferai jamais la paix, mais je serai peut-être renversé... Alors un autre fera la paix ». Le président du Conseil se rend à l'Élysée et rencontre le président Poincaré. Tous les deux envisagent rien moins qu'une nouvelle évacuation de Paris, comme en 1870 et en 1914 ! Dans certains ministères, on commence de faire les paquets.
Un chef reste inébranlable. C'est le général Foch. Confiné dans une fonction de chef d'état-major général sans réelle autorité, il bouillonne et répète à qui veut l'entendre la nécessité de relancer les offensives. Son heure approche mais nul ne s'en doute encore.
Le 24 mars 1918, Pétain, las de combler les trous dans le dispositif anglais, envisage dans son ordre du jour de renoncer à garantir la continuité du front. Douglas Haig en est déjà à envisager la retraite ! À Londres, le Premier ministre David Lloyd George et son Secrétaire d'État à la Guerre lord Alfred Milner ne décolèrent pas contre le maréchal qui n'a pas su utiliser ses réserves. À Berlin, pendant ce temps, l'empereur Guillaume II plastronne : « Quand un parlementaire anglais viendra plaider en faveur de la paix, il devra d'abord s'incliner devant l'étendard impérial, parce que ce qui est en jeu, c'est une victoire de la monarchie sur la démocratie » (*).
Enfin, le lendemain matin, Georges Clemenceau se ressaisit. Il n'est plus question d'évacuation. Sensible aux propos de Foch rapportés par le ministre de l'Armement Louis Loucheur, il projette sans attendre une conférence interalliée pour mettre fin aux dissidences et aux tergiversations.
26 mars 2018 : le sauve-qui-peut allié
Clemenceau tient une réunion préparatoire à Compiègne le 25 mars et convoque tout son monde à Doullens, le lendemain à midi. Dans le même temps, Pétain, général en chef des armées françaises, lance un appel quasi-désespéré à celles-ci : « L'ennemi s'est rué sur nous dans un suprême effort. Il veut nous séparer des Anglais pour s'ouvrir la route de Paris. Coûte que coûte, il faut l'arrêter. Cramponnez-vous au terrain ! Tenez ferme ! Les camarades arrivent. Tous réunis, vous vous précipiterez sur l'envahisseur. C'est la bataille ! Soldats de la Marne, de l'Yser et de Verdun, je fais appel à vous : il s'agit du sort de la France ! »
À Doullens, Poincaré, Clemenceau, Foch et Pétain d'un côté, les généraux Wilson et Haig ainsi que l'émissaire de Lloyd George, Lord Milner, de l'autre, s'accordent sur la création d'un commandement unique qui réunirait Français, Britanniques et Belges.
C'est une première depuis le début de la guerre... et même depuis le remariage funeste d'Aliénor d'Aquitaine (1152) !
D'aucuns pensent à confier le poste au vainqueur de Verdun, le général Philippe Pétain. Mais Clemenceau n'en veut pas parce qu'il le considère à juste titre trop timoré et défaitiste, inapproprié à la situation. C'est finalement Foch qui est, par un délicat euphémisme, chargé de « coordonner l'action des armées alliées devant Amiens ».
Il sera un peu plus tard nommé généralissime des troupes franco-britanniques et il lui reviendra de faire face à l'ultime offensive allemande.
La riposte
À vrai dire, tandis que les Alliés se mettent enfin d'accord à Doullens, les Allemands sont quant à eux arrivés au bout de leurs possibilités.
Ludendorff a essuyé des pertes très importantes dès le premier jour de l'offensive, environ 40 000 tués et blessés, et les nouvelles troupes qu'il envoie au feu ne sont pas aussi aguerries que les Sturmtruppen.
D'autre part, le moral des soldats est mis à l'épreuve quand ils découvrent dans les tranchées alliées abondance de nourriture et de provisions alors qu'eux-mêmes, du fait du blocus maritime, souffrent de la faim et de carences diverses...
Le 8 avril 1918, Ludendorff lance une nouvelle offensive plus au nord, à Armentières, face aux Anglais, avec 36 divisions d'infanterie.
Son objectif est de couper les Anglais de leurs ports de ravitaillement. Mais ses troupes, de moindre valeur que les précédentes, commencent à ressentir la fatigue et elles n'arrivent qu'à s'emparer d'une position, le mont Kemmel.
Le 27 mai 1918, le commandement allemand tente une troisième offensive sur le Chemin des Dames, au nord de Craonne (Aisne), déjà tristement endeuillé par l'échec des offensives françaises, un an plus tôt.
Avec 30 divisions et plus de mille batteries d'artillerie, il bouscule les neuf divisions françaises et anglaises. Les assaillants atteignent la Marne à Dormans et Château-Thierry dès le 31 mai. À nouveau, les Alliés tressaillent et sentent le vent de la défaite. Mais une semaine plus tard, faute de réserves et face à la résistance ennemie, Ludendorff doit suspendre son offensive.
Au bilan, l'état-major allemand a montré sa capacité à créer la « rupture » mais n'a pas réussi à obtenir la « décision ». Certains officiers supérieurs songent à saisir cet atout pour négocier une paix de compromis et sauver ce qui peut l'être, en particulier quelques gains à l'Est, aux dépens de la Russie.
C'est aussi l'opinion du Secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Richard von Kühlmann. Le 24 juin 1918, il déclare devant le Reichstag : « On ne peut guère compter qu'une solution absolue soit obtenue par des décisions militaires seules, sans négociations diplomatiques » (*).
Hindenburg et Ludendorff, qui exercent une véritable dictature militaire, protestent aussitôt et exigent du chancelier von Bethmann Hollweg et de l'empereur le renvoi de Kühlmann. Le 8 juillet, Guillaume II cède à leur pression et exige la démission du Secrétaire d'État.
Pour quelques jours encore, l'Allemagne s'accroche à l'illusion d'une victoire totale, sous la pression de Ludendorff. La réponse viendra de Foch dix jours plus tard.
Le 18 juillet 1918, le généralissime passe à la contre-offensive avec les premières troupes américaines dans la région de Villers-Cotterêts. Pour la première fois sont utilisés à grande échelle les chars d'assaut. Les Allemands sont partout repoussés. Ils subissent leur plus grave défaite à Montdidier, le 8 août, et dès lors engagent une retraite générale. Déconfit, Ludendorff doit admettre devant l'empereur que la défaite est devenue inéluctable...