Devant le Sénat américain, le 8 janvier 1918, le président Thomas Woodrow Wilson reprend et développe un discours prononcé un an plus tôt, le 22 janvier 1917, devant la même assemblée.
Dans ce premier discours, le président, représentant de la première puissance économique du monde, alors neutre, avait souhaité s'entremettre entre les belligérants de la guerre européenne. Viscéralement idéaliste et pacifiste en bon fils de pasteur qu'il était, il avait préconisé a peace without victory (« une paix sans victoire »), au grand scandale des uns et des autres. Ainsi n'avait-il pas envisagé la restitution de l'Alsace-Lorraine à la France.
Mais les États-Unis avaient été ensuite contraints de s'engager dans le conflit, au côté de l'Entente franco-britannique. Il fallait dès lors penser à une paix victorieuse mais dans le respect du droit. C'est tout l'objet de ce nouveau discours.
Utopies dangereuses
Pas découragé, le président démocrate énonce donc un programme en Quatorze Points pour mettre fin à la Grande Guerre.
– Les cinq premiers points, de portée générale, préconisent la fin de la diplomatie secrète, la liberté des mers, le libre-échange, la réduction des armements et le droit des peuples colonisés à disposer d'eux-mêmes.
_ Le sixième point, le plus long, se rapporte à la Russie bolchévique et lui promet indulgence et assistance.
– Les points suivants se rapportent au règlement du conflit : retour à la neutralité de la Belgique, restitution de l'Alsace-Lorraine à la France, création d'un État polonais indépendant au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes...
– Le président envisage le maintien de l'Autriche-Hongrie avec une large autonomie de tous ses peuples (il changera d'avis après avoir constaté la complexité du sujet).
– Le président suggère de réserver à la future Pologne un accès à la mer. La revendication hitlérienne sur ce fameux couloir de Dantzig sera à l'origine immédiate de la Seconde Guerre mondiale !
– Le dernier point, reflétant l'idéalisme du président, annonce la création d'une Société des Nations.
Certains Anglais trouvent à redire à la liberté des mers. Les Italiens déplorent qu'on ne leur reconnaisse pas des droits sur la côté dalmate.
Les Français se réjouissent de ce que le Président valide la restitution de l'Alsace-Lorraine (même s'il emploie à ce propos un should équivoque au lieu d'un must inconditionnel comme en ce qui concerne la libération de la Belgique). Certains Français auraient par ailleurs aimé se réserver la possibilité d'annexer la rive gauche du Rhin.
Quant aux Allemands, ils dénoncent un texte vu comme hostile ! Ces récriminations prévisibles mises à part, le programme est plutôt bien accueilli. Wilson réussira à en faire passer une partie dans le traité de Versailles. Il ne sera cependant pas suivi par le peuple américain.
Craignant un engrenage fatal et des tensions internes entre les différentes communautés du pays, l'opinion publique et les parlementaires américains se placent en retrait par rapport aux velléités interventionnistes du président.
Le Congrès des États-Unis refuse de signer le traité de Versailles ainsi que d'entrer dans la Société des Nations (il y est encouragé par les élus d'origine irlandaise, qui font ainsi payer à Wilson son refus de soutenir la cause indépendantiste du Sinn Fein irlandais). C'est un échec cuisant pour la diplomatie américaine et plus encore pour la paix future.
Les Quatorze Points conservent le souvenir d'un bel idéal tout en officialisant un principe qui va se révéler pernicieux, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : il va exacerber les nationalismes et conduire à des échanges forcés de population.
Après la Grande Guerre, qu'eux-mêmes appellent European War (« Guerre européenne »), les Américains vont souhaiter s'isoler du reste du monde, trop effrayant à leurs yeux. Il s'ensuit la montée de l'isolationnisme, un courant politique qui se traduit dès 1919 par les premières restrictions réglementaires à l'immigration (celles-ci perdureront jusqu'en 1965). En 1924 est introduite l'obligation du visa.
Les Européens ne tardent pas à s'effrayer quant à eux de ce monde nouveau dont les deux millions de Sammies présents sur leur sol leur ont donné un aperçu. C'est la naissance de l'antiaméricanisme. La première manifestation en est littéraire avec la publication par Georges Duhamel de Scènes de la vie future, un recueil de nouvelles qui dépeint les États-Unis sous un jour inhumain et ultra-violent (abattoirs de Chicago...).
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GP (11-01-2023 09:45:57)
Dans le Mythe de la Grande Guerre [The Myth of the Great War publié en 001 par HarperCollins Publishers Inc] de John Mosier, il est rappelé la probabilité que Wilson signe une paix séparée avec l'Allemagne acceptant ses 14 points. Ce qui fut clairement exprimé à Clémenceau par le Colonel House (chargé de représenter Wilson à Paris)
cm (15-01-2022 22:44:24)
«Le libre droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» fut, si mon prof d'histoire de 1ère est crédible, une formule inventée et prônée par Louis-Napoléon Bonaparte dans ses théories sociales. Devenu empereur, il s'en souvînt dans l'aide apportée par les armées françaises aux populations italiennes lors de l'unification des différents états (sauf ceux du pape!) transalpins et qui suscita les batailles de reconquête des provinces sous domination autrichienne.
Jean BLIN (12-11-2020 15:55:43)
C'est par les exigences de W. Wilson et le Congrès US à son retour aux USA que le traité de Versailles traitant de la future sécurité en Europe devient inutile et même néfaste : Wilson, le congrès US (et l'anglais Lloyd George) refuse les garanties de sécurité automatiques entre son pays et la France (le pacte d'alliance tripartite FR-GB-USA et le système de garantie de la SDN). Et cela au bénéfice de l'Allemagne que protège W. Wilson : son refus des revendications territoriales françaises sur la Sarre , de la Belgique sur son nord-est à part Eupen et Malmédy (ses revendications de 1831), de la France sur des référendum pour l'indépendance de la Bavière et de la Rhénanie (afin d'affaiblir l'Allemagne). Ajoutons l'idée de Wilson (réalisée) d'un accès à la mer pour la Pologne (Dantzig, qui sera prétexte à l'agression allemande de 1939).
Et aussi le mode de calcul complexe que les USA imposent dans le traité du paiement des réparations qui encourageront l'Allemagne à déclarer son insolvabilité pour ne pas les payer.
Et enfin, lorsque France et Belgique entrent militairement en Ruhr pour prendre le charbon allemand en échange du non-paiement de ces réparations, les USA puis la GB à travers leur presse déclenchent une incroyable campagne de dénigrement et calomnies contre cette occupation par leurs alliés.
Les buts de paix initiaux visés par le traité préparé par les négociateurs quadripartites et signé ensuite à Versailles du 28/6/1919 ont été largement dévoyés par les USA avec parfois la passivité complice de la Grande Bretagne.
Rejeté à deux reprises par leur Congrès, les USA ne signeront pas le traité de Versailles et signeront avec l'Allemagne un traité de paix séparé le 25 août 1921 qui ne retiendra de celui de Versailles que les clauses et avantages financiers à l'exclusion des garanties de sécurité.
Jean LOIGNON (07-01-2018 21:07:50)
Je me réfère au 8ème point de Wilson :
"Le territoire français tout entier devra être libéré et les régions envahies devront être restaurées ; le préjudice causé à la France par la Prusse en 1871 en ce qui concerne l'Alsace-Lorraine, préjudice qui a troublé la paix du monde durant près de cinquante ans, devra être réparé afin que la paix puisse de nouveau être assurée dans l'intérêt de tous."
Il n'est donc pas question de plébiscite sur le choix qu'on proposerait aux Alsaciens-Lorrains d'appartenir à l'Allemagne ou à la France. Pour Wilson, la présence allemande dans ces deux régions était un préjudice à réparer en faveur de la France, doublé d'une menace pour la paix future. Tout comme Foch ou Joffre, Wilson ne se démarque pas de l'opinion commune sur les relations franco-allemandes entre 1871 et 1914.
Dominique Delorme (12-11-2006 00:47:52)
Dans les "quatorze points" de Wilson ne figurait pas la "restitution" de l'Alsace-Lorraine à la France mais l'organisation d'un PLEBISCITE dans ce territoire. Ce plébiscite ne fut jamais organisé mais à l'entrée solemnelle des troupes françaises dans Strasbourg, le général Foch (ou Joffre?) s'écria devant l'enthousiasme (bien organisé, lui) : "Le plébiscite est fait !"