À l'occasion de la Journée des femmes, le 8 mars 1917 (23 février dans le calendrier julien), des travailleurs défilent paisiblement à Petrograd.
La manifestation se dégrade très vite. Elle entraîne en quelques jours l'effondrement du régime tsariste. Une semaine plus tard, Nicolas II abdique et laisse la place à une République démocratique. Celle-ci s'effondrera à son tour neuf mois plus tard, laissant le pouvoir aux bolchéviques.
La capitale impériale, fondée par Pierre le Grand sous le nom de Sankt Petersburg (la « ville de saint Pierre » en allemand), a russifié son nom en Petrograd lorsque le pays est entré en guerre contre l'Allemagne en 1914.
Un effondrement brutal
Deux ans après le début de la Grande Guerre, l'empire russe est épuisé. Le tsar Nicolas II a malencontreusement choisi de commander en personne les opérations militaires, loin de sa capitale. À Petrograd, la tsarine Alexandra le représente tant bien que mal.
Les difficultés d'approvisionnement liées au froid et à la guerre sur le front austro-allemand conduisent le gouverneur militaire de la ville à annoncer des mesures de rationnement. Les ouvrières, à bout, veulent profiter de la Journée des femmes pour protester et réclamer des exemptions pour les familles des soldats.
Elles partent des faubourgs industriels et traversent le pont Alexandre III qui les sépare des quartiers résidentiels. Là, après un parcours de six kilomètres, elles se mêlent à un défilé de « suffragettes » au milieu de Cosaques bienveillants.
Le lendemain, un grand nombre d'ouvriers des usines Poutilov, les plus importantes de la ville, décident de faire grève à leur tour. Ne pouvant emprunter le pont qui les sépare du centre, ils passent sur la Neva gelée et défilent en réclamant du pain, la paix et... la République ! Ils chantent la Marseillaise. Des cris fusent : « À bas l'autocratie ». Les jours suivants, les manifestations se succèdent et s'amplifient.
Le dimanche 11 mars, sur la perspective Nevski, l'armée fait face à 200 000 manifestants. Les officiers obligent alors les soldats à « viser au coeur ». Les soldats hésitent. Ce sont pour beaucoup des Cosaques qui, si brutaux qu'ils soient, ont des principes : on ne tire pas sur des femmes ! D'exaspération, les officiers se saisissent eux-mêmes des fusils et des mitrailleuses et tirent dans la foule. On relève 40 morts.
Le lendemain 12 mars, dans les casernes, les soldats mettent leur casquette à l'envers pour manifester leur indignation. Des officiers sont molestés et l'on assiste enfin à des scènes de fraternisation entre soldats et ouvriers. Ils créent ensemble le Soviet (ou conseil) des ouvriers et soldats de Petrograd et s'installent dans le palais de Tauride, qui fut dix ans plus tôt le siège de la première Douma (l'assemblée législative).
Dominé par les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, le nouveau Soviet se montre d'une violence impitoyable. Ainsi ordonne-t-il de liquider les dizaines d'officielrs et leurs familles réfugiés à l'hôtel Astoria.
Emmenés par le populaire avocat Alexandre Kerenski, les députés socialistes de la Douma se rallient au Soviet de Petrograd.
Le 15 mars, ils confient le gouvernement à un noble libéral, le prince Lvov. Deux émissaires se rendent au-devant du tsar, au quartier général des armées du nord, à Pskov.
Nicolas II est inconscient de l'ampleur de la tourmente. Il ne se préoccupe que de ses filles aînées Olga et Anastasia qui ont la rougerole ! Dans le train qui le ramène vers elles, à Tsarkoïe Selo, il cède enfin aux injonctions de son état-major.
Soulagé d'être délivré d'un pouvoir qui lui pesait et désireux de l'épargner à son jeune fils, il abdique dans la soirée même en faveur de son frère. Mais le grand-duc Michel n'a aucune soif de martyre et renonce à son tour au trône. C'en est fini de l'Empire et de la dynastie des Romanov.
Au terme de ces Cinq Jours, au prix d'un nombre limité de victimes - un peu plus de mille -, la Révolution a vaincu.
Malgré la poursuite de la guerre, la Russie va vivre dans les mois suivants dans une très grande euphorie démocratique, mais celle-ci sera rapidement minée par les agissements des bolchéviques, les partisans de Lénine.
Le poids de la guerre et le choc bolchévique
Le nouveau régime est accueilli avec chaleur par les alliés anglais et français, qui peuvent ainsi plus clairement afficher l'union des démocraties contre les Empires centraux (Allemagne, Autriche) et la Turquie. Mais la guerre ne permet pas d'organiser de nouvelles élections ni d'élire une assemblée constituante. En attendant des jours meilleurs, le gouvernement provisoire doit composer avec le Soviet de Petrograd, assemblée auto-proclamée et foyer d'agitation travaillé par les mouvements révolutionnaires de tout poil, socialistes-révolutionnaires, mencheviks, bolcheviks...
Le Soviet réclame d'emblée une paix immédiate et sans annexions ainsi que la distribution des terres aux paysans, des slogans plutôt bien accueillis dans les armées et les campagnes. Par l'ordre du jour N°1 du 27 mars 1917, le Soviet demande la constitution dans toutes les unités combattantes de conseils composés de représentants élus par les soldats. Cette mesure a pour effet de briser la discipline dans les armées. C'est une aubaine pour les Allemands qui leur font face.
Le même jour, le gouvernement allemand prête son concours à Lénine, alors en exil en Suisse. Il affrète un train blindé et assure son transit et celui de deux cents compagnons d'exil vers la Russie avec l'espoir que les bolchéviques déstabiliseront le gouvernement républicain. Ses espoirs se réaliseront au-delà de toute mesure...
Le gouvernement provisoire, sous la pression, multiplie les avancées démocratiques. Le 1er avril, il promet l'autonomie à la Finlande ; le 6 avril, il fixe la journée de travail à huit heures (une première mondiale !) et abolit la peine de mort ; le 14 avril, il annonce une réforme agraire ; le 15 avril, il donne aux femmes le droit de voter et de se faire élire...
Las, le 16 avril 1917, les révolutionnaires de Petrograd accueillent avec chaleur à la gare de Finlande le bolchevik Lénine et son rival menchevik Martov, de retour d'exil. Lénine a conscience de la faiblesse numérique de son parti, à peine 24 000 adhérents dont 2000 à Petrograd et 600 à Moscou. En cas d'élection démocratique, il n'a aucune chance de victoire face aux socialistes-révolutionnaires et aux mencheviks socio-démocrates, beaucoup plus présents chez les ouvriers et les soldats.
Mais ses militants sont des « professionnels » déterminés, prêts à prendre le pouvoir de quelque façon que ce soit. Le lendemain de son retour, Lénine leur expose sa vision des choses. Il dénonce le gouvernement provisoire mais aussi les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires du Soviet, accusant les uns et les autres d'être complice de la bourgeoisie impérialiste étrangère ! Il se présente comme le seul champion crédible de la révolution. Ses Thèses d'Avril sont qualifiées de « délire » par le vieux marxiste Plekhanov.
Il n'empêche que Lénine va séduire très vite une bonne partie des masses analphabètes du pays en reprenant plus fort que jamais les slogans simplistes du Soviet de Petrograd : « Tout le pouvoir aux Soviets ! Paix immédiate ! La terre aux paysans ! ».
Le 1er mai 1917, après que le gouvernement eut promis solennellement de renoncer à toute conquête, le ministre des Affaires étrangères Milioukov rassure les alliés de la Russie en leur affirmant que ses buts de guerre n'ont pas changé. Devant le tollé, il doit démissionner. Le 18 mai, le prince Lvov forme un nouveau gouvernement avec Alexandre Kerenski au ministre de la Guerre. Sur le front, l'indiscipline entraîne des reculs humiliants.
Les 16 et 17 juillet, des manifestations violentes d'ouvriers et de soldats téléguidées par Lénine réclament : « Tout le pouvoir aux Soviets ! Mais au dernier moment, le chef bolchevik se ravise et renonce à l'insurrection. Le gouvernement lance des mandats d'arrêt contre les meneurs des manifestations. Abandonnant ses partisans, Lénine s'enfuit sous un déguisement en Finlande.
Le 20 juillet, le socialiste Alexandre Kerenski remplace le prince Lvov à la tête du gouvernement tandis que le pays se délite. L'Ukraine proclame son indépendance et les Allemands occupent Riga le 3 septembre 1917.
Le nouveau commandant en chef, le populaire général Lavr Kornilov, s'inquiète d'une catastrophe imminente et réclame les pleins pouvoirs. Devant le refus de Kerenski, il fait marcher ses troupes sur Petrograd.
Dans l'affolement, le chef du gouvernement ne trouve rien de mieux que d'appeler à l'aide le Soviet de Petrograd. De sa retraite de Finlande, Lénine enjoint ses partisans de soutenir le gouvernement contre le général putschiste. Les bolcheviks rejoignent les soldats de Kornilov dans la banlieue de Petrograd et les convainquent de rallier la révolution. Kornilov lui-même est arrêté.
Le parti de Lénine voit du coup sa popularité grimper en flèche. Le 13 septembre 1917, le Soviet de Petrograd se rallie à lui. Le lendemain, Kerenski proclame la République, ce qu'on avait jusque-là négligé de faire en l'absence d'assemblée constituante. Le chef du gouvernement croit pouvoir compter sur ses nouveaux alliés pour assurer la stabilité du régime. Six semaines plus tard, il devra leur céder la place à la suite du coup d'État du 6 novembre 1917.
La première Révolution russe est dite de Février parce qu'elle s'est déroulée en février selon le calendrier julien, qui avait alors treize jours de décalage sur le calendrier grégorien moderne et est resté en vigueur en Russie jusqu'en 1918 ; la seconde, qui va déboucher sur la dictature du parti bolchévique, est dite d'Octobre.
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Hugo (08-03-2019 11:49:43)
Bonjour, Vous avez mille fois raison de souligner la scandaleuse orthographe "Saint PeterSbourg" utilisée par ici pour désigner la ville de Санкт-Пет... Lire la suite
dinardais.penards (07-03-2011 06:31:24)
Ainsi commencent les révolutions : difficultés alimentaires dont l'Etat ne peut être que responsable, manifestation "pacifique" sitôt exploitée par les "politiques",débouchant sur une démocrati... Lire la suite