29 janvier 1917

Charles Ier échoue à faire la paix

Le 29 janvier 1917, tandis que l'Europe s'épuise dans la Grande Guerre, l'empereur d'Autriche Charles Ier entame des négociations secrètes avec les puissances alliées. Il veut sortir au plus vite l'Autriche-Hongrie du conflit et épargner des vies humaines.

Ses généreuses intentions vont déboucher sur un fiasco. La guerre se poursuivra encore près de deux ans. Elle aboutira à l'effondrement de son empire (et à la chute de sa dynastie).

Maximilien Girard

Tentative de paix prématurée

Charles Ier de Habsbourg, empereur d'Autriche et roi de Hongrie du 22 novembre 1916 au 12 novembre 1918 ( (Persenbeug, 17 août 1887 ; Funchal, Madère, 1er avril 1922). Agrandissement : l'empereur Charles Ier, Theodor Mayerhofer, 1917.Deux mois plus tôt, le 21 novembre 1916, le jeune Charles de Habsbourg-Lorraine (29 ans) avait succédé à son grand-oncle François-Joseph Ier (86 ans) comme empereur d'Autriche et roi de Hongrie.

Déplorant l'enlisement de la guerre, le vieil empereur avait lui-même très tôt songé à une paix de compromis.

Le 9 octobre 1915, il avait délégué son petit-neveu et héritier, l'archiduc Charles, auprès du Kaiser allemand Guillaume II.

Mais François-Joseph avait réalisé à cette occasion que son puissant allié n'était pas prêt le moins du monde à arrêter les hostilités.

Un an plus tard, le vieil empereur étant mort, son successeur se montre plus que jamais désireux de sortir son pays du conflit...

Une succession périlleuse

Porté par une foi catholique intense, Charles Ier confie ses intentions au pape Benoît XV (30 décembre 1916).

L'impératrice Zita et le prince héritier Otto le jour du couronnementLe 26 janvier 1917, il se rend en Allemagne avec son ministre des Affaires étrangères, le comte Ottokar Czernin, afin de protester contre la guerre sous-marine à outrance qui vient d'être lancée par le Reich allemand. Mais cela ne fait pas avancer la cause de la paix.

L'empereur, en accord avec le roi des Belges Albert Ier, va dès lors recourir à la diplomatie secrète et user de la proximité entre la famille de sa femme, la duchesse Zita de Bourbon-Parme, et l'Entente (la France et l'Angleterre).

En effet, les deux frères de l'impératrice, Sixte et Xavier, servent dans l'armée belge. Ils se sont engagés sous les couleurs de la Belgique dès le début de la guerre après avoir été rejetés par les Français en raison de leurs liens familiaux avec l'ancienne dynastie des Bourbons !

Négociations secrètes

Sur instruction de l'empereur, Maria-Antonia, duchesse de Parme et mère de l'impératrice Zita, rencontre donc à Neuchâtel (Suisse) ses fils Sixte et Xavier. Elle leur délivre un message de l'empereur dans le but d'ouvrir des discussions secrètes avec la France, le Royaume-Uni et l'Italie par leur intermédiaire.

Un peu plus tard, le prince Sixte transmet à Charles Ier, par lettre, les quatre conditions pour que l'Entente accepte de négocier :
1) retour de l'Alsace-Lorraine à la France,
2) rétablissement de la Belgique,
3) rétablissement de la Serbie avec l'annexion de l'Albanie,
4) attribution de Constantinople aux Russes.

- février 1917 : la négociation achoppe sur la question serbe

Le 11 février 1917, Sixte rencontre à Paris Jules Cambon et William Martin. Le lendemain, il s'en retourne à Neuchâtel où le comte Tamas Erdödy est chargé de rendre la réponse de Charles : les points 1-2 et 4 sont acceptés mais celui concernant la Serbie est rejeté. Il est vrai que ce point-là peut surprendre compte tenu de la lourde responsabilité de la Serbie dans le déclenchement de la guerre.

Lorsque le Kaiser allemand se rend à Vienne le 13 février 1917, l'empereur lui confie qu'il a été en contact avec l'ennemi mais ne lui révèle pas la nature des pourparlers.

De retour à Neuchâtel, le 21 février, Erdödy confie à Sixte une note du comte Czernin affirmant que l'Autriche-Hongrie ne poursuit aucun but annexionniste et mène une guerre purement défensive. Mais il réaffirme le caractère indissoluble de l'alliance de l'Autriche avec l'Allemagne, la Bulgarie et l'Empire ottoman.

Sans en informer son ministre des Affaires étrangères,Charles adresse toutefois à son beau-frère une lettre personnelle dans laquelle il soutient le point de vue de la France, son ennemie, et envisage d'exercer des pressions sur l'Allemagne, son alliée, par tous les moyens possibles !

Raymond Poincaré, président de la République française, que Sixte rencontre le 5 mars 1917, est mis en confiance par ce retournement non officiel des alliances. Mais, trois jours plus tard, il fait répondre au frère de Zita que l'Autriche doit accepter les quatre points dans leur intégralité pour que les discussions soient lancées. C'est seulement à ce moment-là que Paris en informera l'Angleterre et le tsar, l'accord de Rome demeurant aléatoire.

- mars 1917 : l'empereur Charles relance la négociation avec générosité

Le 15 mars 1917, le chancelier allemand Bethmann-Hollweg apprend de Czernin l'ouverture de tractations secrètes avec la France.

Le 18, les deux frères de Zita se retrouvent à Genève et rencontrent une nouvelle fois Erdödy porteur d'un message de l'impératrice les suppliant de venir à Vienne. Elle le formule en ces termes à Sixte : « Pense à tous les malheureux qui doivent vivre dans l'enfer des tranchées, qui meurent par milliers tous les jours : viens » ( note).

Sixte et Xavier arrivent donc le 23 mars à Laxenbourg. Il s'agit d'une maison bourgeoise où vit l'empereur. Celui-ci a abandonné, par souci d'économie, de solidarité pour le peuple et pour l'effort de guerre, le faste de la Hofburg de Vienne et de Schönbrunn.

Charles persiste dans sa volonté de paix, peu importe le prix. Le lendemain, il rédige une missive destinée aux autorités françaises, par l'intermédiaire de Sixte. Il y écrit qu'il fera de son mieux afin que les souverainetés belge et serbe soient rétablies et que l'Alsace et la Lorraine soient rendues à la France.

Le courrier parvient à Poincaré le 31 mars 1917. En vue de donner un sens concret à ses propos, Charles rencontre encore Guillaume et lui offre de céder la Galicie autrichienne qui formerait un royaume polonais, sous dépendance allemande. En contrepartie, le Reich restituerait l'Alsace-Lorraine.

- avril 1917 : l'Italie dans le jeu ; le Kaiser menace Charles de représailles

Le 11 avril, David Lloyd George, Premier ministre anglais, et Alexandre Ribot, qui a succédé à Aristide Briand à la présidence du Conseil (le gouvernement français), concluent que le problème de paix doit aussi être examiné avec l'Italie (même si celle-ci s'est engagée tardivement dans la guerre et dans des termes peu honorables).

Le lendemain, Charles envoie au Kaiser un mémorandum dans lequel il rend compte de l'état de l'Autriche et de la Hongrie. Il souligne que les forces de l'empire s'amenuisent et que sa population est au désespoir. Il prédit également que la révolution emportera les Empires centraux si aucun terme n'est mis au conflit.

Guillaume II rétorque que la guerre doit continuer jusqu'à la victoire et que si l'Autriche ne suivait pas... Le Kaiser précisera plus tard ses menaces à l'ambassadeur autrichien, lui disant qu'il envisageait d'occuper Prague puis tout l'empire et d'interner les Habsbourg.

Malgré tout, une conférence est organisée en Savoie, à Saint-Jean-de-Maurienne, réunissant Ribot, Lloyd George et Sidney Sonnino, le ministre italien des Affaires étrangères. Ce dernier maintient ses revendications : annexion du Tyrol du Sud, du Trentin, de l'Istrie et de la Dalmatie, parties intégrantes de l'Autriche-Hongrie. Ainsi, dès le 22 avril, Ribot informe le prince Sixte du blocage de la situation. Celui-ci retourne à Vienne où il a plusieurs entretiens avec l'empereur et Czernin.

Le ministre des Affaires étrangères Czernin, outrepassant la volonté de l'empereur, affirme à qui veut l'entendre que l'Autriche-Hongrie exigera compensation de toute rectification de frontières. De plus, l'intégrité de la Double-Monarchie devra être garantie.

- mai 1917 : la négociation échoue définitivement devant l'intransigeance italienne

Charles demeure persuadé qu'une paix à l'amiable serait de toute façon la meilleure des solutions pour ses États, afin d'éviter toute annexion allemande. Il espère même qu'après la guerre, une alliance de l'empire avec la France permettra de contrebalancer la puissance de l'Allemagne. Le 9 mai 1917, il signe une deuxième lettre dans laquelle il se dit convaincu que la bonne entente de son pays avec la France et le Royaume-Uni permettra de surmonter les dernières difficultés. Cette lettre restera sans réponse.

Le 20 mai, Sixte rend compte de la situation à Poincaré et à Ribot, précisant qu'en cas de rupture de l'Autriche avec l'Allemagne, Charles Ier aura besoin du soutien de l'Entente. En Angleterre, où l'idée d'une paix séparée progresse, on lui promet une audience avec le roi George V et Lloyd George pour le 23 mai. En définitive, cette audience n'aura pas lieu, l'Angleterre hésitant à agir seule.

Finalement, en juin 1917, l'intransigeance du gouvernement italien et l'étroitesse des vues de Ribot font échouer les tentatives de Charles. C'est l'échec. Le 25 juin 1917, Sixte de Bourbon Parme rejoint son régiment.

Max et Alex de Bourbon-Parme, frères de l'impératrice Zita, respectivement capitaine et lieutenant dans l'armée belge (1916)

Ultimes tentatives de paix

Le Ier août 1917, le pape Benoît XV rédige un appel aux « chefs des peuples belligérants » énumérant quelques conditions pour l'établissement de la paix. Charles Ier y répond à la mi-septembre. Il est le seul en Europe à lui dire oui, alors que le Royaume-Uni demande des précisions, la France louvoie et l'Allemagne refuse tout net.

La situation de l'Autriche-Hongrie s'aggrave quand les États-Unis, qui ont déclaré la guerre à l'Allemagne le 6 avril 1917, lui lancent une déclaration de guerre le 7 décembre 1917. Néanmoins, les tentatives de Charles ne s'arrêtent pas là : à son initiative, de septembre 1917 au printemps 1918, le général sud-africain Smuts et le comte Mensdorff, ancien ambassadeur d'Autriche à Londres, poursuivent des négociations en Suisse.

Charles Ier passant en revue des troupes allemandes sur le front roumain, le 4 septembre 1917.

Un coup fatal est porté à l'empereur et à la dynastie des Habsbourg par le nouveau président du Conseil français, Georges Clemenceau. En avril 1918, pour couper court à des indiscrétions de Czernin, il fait publier dans la presse les lettres secrètes de l'année précédente. Il affaiblit du même coup Charles Ier qui n'a d'autre issue que de faire publiquement allégeance à Guillaume II et à l'Allemagne, ce qui rend plus improbable que jamais la survie de la Double-Monarchie.

Le 14 septembre 1918, le ministre austro-hongrois Burian dévoile une ultime proposition de paix de l'empereur demandant l'ouverture des négociations en pays neutre mais les Alliés, qui voient s'approcher le moment de la victoire, font la sourde oreille.

Les puissances centrales commencent à s'effondrer : le 25 septembre, la Bulgarie dépose les armes, le 4 octobre, les empires allemand, ottoman et austro-hongrois adressent une offre d'armistice au président américain Wilson. Celui-ci répond le 18 octobre en certifiant que les peuples slaves accèderont à leur indépendance.

Le 29 octobre 1918, l'armée autrichienne se rend aux Italiens. Charles de Habsbourg, empereur d'Autriche et roi apostolique de Hongrie, qui avait cherché à secouer la fatalité de la guerre, a définitivement échoué. Si la guerre avait pu s'arrêter un an plus tôt, sans doute l'empire austro-hongrois aurait-il survécu. Le prolongement du conflit en 1918 l'a entraîné dans une déliquescence irrémédiable.

En faisant allégeance à Guillaume II en février 1918, Charles Ier a scellé sa perte et découragé les Alliés de s'y opposer. Il est permis de rêver à ce qui serait peut-être advenu si les généreuses tentatives de Charles avaient abouti : des centaines de milliers de vies épargnées, un coup d'État communiste évité en Russie, et le maintien au centre de l'Europe d'un État multinational, préfiguration de l'Union européenne.

Doux rêveur, Charles Ier de Habsbourg tentera en dernier ressort, à l'automne 1918, de sauver l'empire en accordant une large autonomie à toutes ses nationalités. Trop tard.

L'empire éclate et le 12 novembre 1918, le jeune homme quitte le palais de la Hofburg pour la Suisse sans toutefois abdiquer formellement. Il tentera à deux reprises, en 1921 de rentrer à Budapest, capitale de la Hongrie, pour reprendre la couronne royale de saint Étienne mais il échouera devant l'opposition du « régent » Horthy et finalement mourra de la tuberculose en exil à Funchal (Madère), le 1er avril 1922, à 35 ans. Ses convictions lui ont valu d'être béatifié par le pape Jean-Paul II le 3 octobre 2004.

Publié ou mis à jour le : 2024-01-25 19:37:47

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