La Grande Guerre débute avec l'invasion de la Belgique et du Luxembourg par l'armée allemande le 3 août 1914.
Deux mois plus tard, après s'être emparée d'Anvers, la IVe armée allemande se heurte le 16 octobre 1914 aux débris de l'armée belge commandés par le roi Albert Ier en personne. Le roi des Belges va, par un baroud d'honneur et une résistance héroïque, éviter l'occupation complète de son malheureux royaume.
Héroïsme belge
Usant de sa prérogative constitutionnelle, Albert Ier (39 ans), bien qu'il n'ait rien d'un foudre de guerre, a exigé de prendre le commandement de ses armées sitôt après l'invasion du 3 août.
« Un pays qui se défend s'impose au respect de tous ; ce pays ne périt pas », déclare-t-il le lendemain, 4 août, devant le Parlement... « Je ne sais pas si je ferai de grandes choses : j'empêcherai seulement qu'on en fasse de mauvaises », ajoutera-t-il plus tard (note) !
Sous son commandement, la petite armée offre une résistance inattendue aux Allemands, lesquels s'attendaient à être accueillis par une haie d'honneur !
Bien que pilonnée et décimée, l'armée résiste crânement sur la Gette pendant plusieurs jours. Elle immobilise 150 000 soldats allemands devant les forts de Liège avant de se replier à la fin août sur la place fortifiée d'Anvers.
Enfin, Albert Ier se résout à ordonner l'évacuation du port pour éviter un encerclement qui lui serait fatal. Pour retarder l'avance allemande, les Belges détruisent leurs voies ferrées en lançant leurs trains les uns contre les autres !
Cette résistance héroïque et inattendue des Belges et de leur roi va puissamment contribuer à l'échec du plan Schlieffen par lequel les Allemands espéraient vaincre la France en quelques semaines.
En septembre 1914, grâce à la contre-offensive de la Marne, la progression allemande est stoppée aux portes de Paris. Les Allemands et les alliés franco-britanniques entament alors la « course à la mer » : c'est à qui arrivera à déborder l'autre par l'ouest.
Le roi des Belges se voit alors intimer par le général Joffre l'ordre d'évacuer complètement la Belgique et de se replier sur Lille. Mais il s'y refuse catégoriquement et obtient de ses alliés le droit de résister sur l'Yser.
Le 13 octobre, dans une proclamation solennelle à ses troupes, celui qu'on va surnommer le « roi-chevalier » leur demande de défendre coûte que coûte ce petit fleuve côtier qui prend sa source près de Saint-Omer (France) et se jette à Nieuport (Nieuwpoort), à la pointe nord-ouest de la Belgique, à vingt kilomètres au nord de Dunkerque (France). Il entend de cette façon maintenir un morceau du territoire hors des griffes de l'envahisseur.
Les soldats allemands, rendus nerveux par la crainte exagérée d'être pris pour cible par des francs-tireurs (on dit aujourd'hui « snipers »), se livrent à toutes les abjections possibles. On compte 218 morts à Ethe, 262 à Andenne, 384 à Tamines… À Dinant, 674 habitants sont exécutés. Dans tout le royaume, plus de 15 000 maisons ou bâtiments sont incendiés dont la bibliothèque universitaire de Louvain, où près de 300 000 ouvrages partent en fumée.
Ces exactions, dont le bilan se chiffre à 5 000 victimes, suscitent une vive indignation à l’étranger, notamment aux États-Unis, et participeront au discrédit de l’Allemagne. Leur souvenir poussera les Belges et beaucoup de Français sur les routes de l'exode quand l'invasion se renouvellera en mai 1940.
Les 75 000 soldats belges sont renforcés par environ 6 000 Français de la Brigade des fusiliers marins, un corps créé en 1856 pour le combat d'infanterie sur mer comme sur terre, sans compter quelques centaines de tirailleurs sénégalais. Ces troupes offrent une résistance héroïque à l'agresseur devant Dixmude (Diksmuide en flamand). Mais les Allemands, au nombre de 140 000, arrivent à franchir l'Yser dans la nuit du 21 au 22 octobre. Ils occupent Dixmude, Merkem, Bikschote, Poelkapelle et Beselare.
Habilement, Albert Ier riposte en donnant l'ordre, le 27 octobre, d'ouvrir les écluses de l'Yser à Nieuport, obligeant l'envahisseur à se replier (cette tactique de la « terre inondée » a été plusieurs fois pratiquée dans le passé, par exemple lorsque Louis XIV tenta d'envahir les Pays-Bas).
C'est Henri Geeraert, modeste éclusier de son état, qui lui en aurait suggéré l'idée. Il est allé lui-même récupérer nuitamment des manivelles dans une auberge et ouvrir lesdites écluses, sous bonne escorte. Cela lui a valu de figurer au verso des anciens billets de 1000 francs belges, avec le roi au recto.
Trois jours plus tard, le général allemand Beseler tente de reprendre l'offensive avec des troupes fraîches mais dès le lendemain, menacé par la montée des eaux, il doit évacuer ses positions. Un immense étang de plusieurs kilomètres de large et d’un mètre de profondeur s’étend entre l’Yser et la voie ferrée. Les Allemands reportent dès lors leur effort au sud-est, à Ypres (Ieper en flamand), bien au-delà de la boucle de l'Yser.
Les Belges et Albert Ier peuvent ainsi s'honorer d'avoir remporté la bataille de l'Yser et conservé hors de portée de l'ennemi un bout de leur pays, une quarantaine de villages sur cinquante kilomètres carrés de dunes et de prairies.
Pendant quatre longues années, soucieux de préserver envers et contre tout la souveraineté belge, Albert Ier va tenir tête avec trente-cinq mille soldats à l'armée allemande, sur un front d'une quarantaine de kilomètres, tout en refusant de diluer ses troupes dans l'Entente franco-britannique.
Le couple royal loge dans une villa en briques rouges, sans luxe ni confort, dans la station balnéaire de La Panne, sur la mer du Nord. Albert Ier s'en échappe à maintes reprises pour tenter de négocier une paix de compromis et hâter la fin du conflit.
Le « roi-chevalier » connaîtra la consécration en faisant son entrée à Bruxelles avec sa famille, le 22 novembre 1918.
Pendant que le roi, à la tête de ses armées, résiste coûte que coûte à l'invasion, le gouvernement belge choisit de s’exiler en France en octobre 1914. Il opte pour la station balnéaire de Sainte-Adresse, dans la région du Havre, qui n’est pas très éloignée de la ligne de front et permet des liaisons faciles avec l'Angleterre.
La ville normande demeurera jusqu’à la fin de la guerre la capitale administrative de la Belgique, avec sa poste, son école, son hôpital et son usine d'armement. Dans cette ville aujourd’hui peuplée de 7 000 habitants, Albert Ier a une place et un boulevard à son nom. Une statue monumentale a également été érigée à la gloire du souverain.
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de gussem liliane (22-10-2014 20:22:01)
ce que j'aime chez Hérode c'est que j'apprend des choses sur mon plat pays qui est le mien
Faliph (20-10-2014 17:21:22)
Bonjour, Dixmude qui était tenue par les fusiliers-marins du contr'amiral Ronarc'h a été évacué dans la nuit du 10 au 11 novembre. Les combats ont été si violents que mon grand-père et un de ... Lire la suite
vanos (16-10-2014 21:13:54)
je cite "Nieuport (Nieuwpoort), Ã la pointe sud-ouest de la Belgique", non, Ã la pointe NORD-ouest de la Belgique.
Anonyme (16-10-2014 16:24:05)
Oui,un roi exemplaire et non un roi de pacotille.Un roi qui défend son territoire et ses sujets.Bravo a la Belgique et a
son roi.
Jean-Pierre Saels (16-10-2014 07:38:29)
Bon article. Il faut par contre éviter d'utiliser le pronom possessif par ex. "son royaume" . Le Roi est roi des Belges et pas de Belgique. En France, on associe encore toujours l'idée d'... Lire la suite
thierry.godet (17-07-2014 10:35:31)
Excellent article comme toujours. Un petit correctif cependant : Hendrick Geeraert figurait sur le verso du billet de 1.000 francs avec le roi Albert au recto.Cela représentait une somme rondelette ... Lire la suite
faonta (22-01-2014 16:21:21)
Comme déjà dit par Margo Delage : quelle belle tranche d'histoire et quelle leçon de dignité pour les générations futures. En sont elles conscientes ?