Le dimanche 5 juillet 1914, l'empereur allemand Guillaume II reçoit à Berlin l'émissaire du comte Berchtold, ministre austro-hongrois des Affaires étrangères.
Le gouvernement bicéphale de Vienne, tiraillé entre la partie autrichienne et la partie hongroise, s'apprête à punir les Serbes pour leur implication dans l'assassinat d'un archiduc à Sarajevo mais il souhaite obtenir au préalable l'aval de son allié allemand.
Hésitations et reculades
Après l'attentat, dont tout laissait penser qu'il avait été inspiré, sinon commandité par les Serbes, la plus grande partie des ministres autrichiens, ainsi que le maréchal Conrad von Hötzendorf, chef de l'état-major austro-hongrois, exigent une opération militaire punitive contre Belgrade (dans le style de ce qu'ont fait les États-Unis en Afghanistan en 2001).
Le gouverneur de Bosnie Oskar Potiorek est l'un des plus remontés. Il porte, il est vrai, une responsabilité dans la mort de l'archiduc, n'ayant pas pris des mesures de sécurité suffisantes.
Le comte Leopold Berchtold, ministre d'Empire en charge des Affaires étrangères, manifeste au début quelques réticences. Ami personnel de François-Ferdinand, il pense comme lui qu'une guerre extérieure, si limitée soit-elle, aurait raison de l'équilibre fragile entre les peuples de l'empire. Pourtant, lui aussi se rallie au principe d'une opération punitive.
Le 30 juin, partageant au palais de Schönbrunn l'émotion du vieil empereur François-Joseph Ier, il convient avec lui que l'Autriche est allée au bout de sa « politique de confiance ». Mais l'empereur exige qu'avant toute décision, on obtienne l'accord du Premier ministre hongrois, le comte Istvan Tisza, qui gouverne la Transleithanie, l'une des deux parties de la Double Monarchie austro-hongroise.
Ce dernier, en son for intérieur, n'est pas affecté par la mort du prince héritier, connu pour sa sympathie pour les minorités slaves de l'empire.
Et il est opposé à une opération punitive immédiate pour une raison très personnelle : il veut au préalable s'assurer de la neutralité de la Roumanie. Si elle décidait de soutenir la Serbie, il pourrait en résulter des troubles en Transylvanie, une province hongroise majoritairement peuplée de Roumains !
Tisza demande un délai pour permettre au gouvernement serbe de « prouver sa bonne volonté ». Berchtold agrée sa demande et, en attendant, presse les enquêteurs de mettre au jour les ramifications du complot qui ont mené à l'attentat.
Tous les ministres austro-hongrois conviennent par ailleurs de la nécessité de consulter au préalable leur allié allemand et de s'assurer de son soutien. Dans les années précédentes, pendant les guerres balkaniques, ce soutien s'est montré défaillant et Vienne n'a pu, comme elle le souhaitait, calmer les ardeurs serbes.
Un émissaire autrichien à Berlin
Le comte Ladislas Hoyos, chef de cabinet de Berchtold, prend le soir du samedi 4 juillet le train pour Berlin, nanti d'un message de François-Joseph pour Guillaume II.
Il le remet le lendemain à l'ambassadeur autrichien à Berlin, Szögyényi, puis va voir le sous-secrétaire d'État allemand aux Affaires étrangères, Arthur Zimmermann. Celui-ci est d'avis que l'Allemagne ne se défilera pas et soutiendra l'Autriche quoi qu'il arrive, mais il entrevoit aussi le risque d'une guerre européenne.
Pendant ce temps, le Kaiser reçoit l'ambassadeur au Neues Palais, à Potsdam. Zimmermann, le chancelier Theobald Bethmann-Hollweg et le général Erich von Falkenhayn, ministre de la Guerre de Prusse, retrouvent Guillaume II à 17 heures et examinent la lettre de François-Joseph.
Ils comprennent que l'Autriche est déterminée à agir et souhaitent que cela se fasse au plus vite, avant que les Russes ne soient en mesure de se mobiliser en faveur des Serbes.
Guillaume II, pour sa part, a quelque remords d'avoir dissuadé l'Autriche-Hongrie de punir la Serbie lors des guerres antérieures. Il ne veut pas cette fois refaire la même erreur et fait dire à l'empereur François-Joseph Ier qu'il « se tiendra en toutes circonstances fidèlement aux côtés de l'Autriche-Hongrie »...
Puis, pour bien montrer que le conflit ne doit pas déborder du cadre local austro-serbe, il part sans attendre pour une croisière de trois semaines le long des côtes norvégiennes sur son yacht Hohenzollern !
Le Kaiser ne croit pas à une intervention des Russes « puisque le tsar refuserait de se placer du côté des régicides », ainsi qu'il le dit à son secrétaire d'État à la marine avant de partir.
De plus, il est convaincu, comme son chancelier et la plupart des dirigeants européens, que les Russes ne sont pas encore prêts à soutenir une guerre européenne... mais qu'ils le seront dans un délai de trois ou quatre ans. Quel intérêt auraient-ils donc à précipiter l'échéance ?
Les Allemands notent que l'année précédente, pendant les guerres balkaniques, les Russes, qui menaçaient déjà d'intervenir, ont finalement reculé devant la détermination de l'Autriche-Hongrie. Et si, malgré tout, ils allaient cette fois au bout de leur menace, il vaudrait mieux pour les Allemands relever leur défi et briser tant qu'il en est encore temps la tenaille franco-russe.
Le lendemain, le chancelier reçoit l'ambassadeur austro-hongrois et le comte Hoyos pour leur transmettre la réponse du gouvernement allemand au gouvernement austro-hongrois. Les Autrichiens, rassurés, y voient un « chèque en blanc » qui leur donne toute liberté pour agir.
Bibliographie
Sur les origines de la Grande Guerre et les semaines fatidiques qui l'ont précédée, je recommande absolument Les Somnambules (Christopher Clark, 2013, Flammarion), assurément l'étude la plus fouillée sur le sujet.
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Cette carte montre l'Europe en 1914. On peut noter la très nette diminution du nombre d'États, en comparaison des siècles antérieurs (1648). Deux empires à dominante germanique et par ailleurs alliés: l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie occupent le coeur du continent. Ils seront l'âme du conflit à venir.
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Voir les 4 commentaires sur cet article
Gérard Chanteur (14-11-2016 13:05:18)
Nouvel ami d'Herodote, je commence l'exploration du site. Tout à fait d'accord, le livre de Christopher Clark est une somme remarquable. Les amateurs de la belle langue anglaise liront la version ... Lire la suite
Gérard Chanteur (13-11-2016 17:47:06)
Nouvel ami d'Herodote, je commence l'exploration du site. Tout à fait d'accord, le livre de Christopher Clark est une somme remarquable. Les amateurs de la belle langue anglaise liront la version ... Lire la suite
erodot (07-07-2014 11:06:31)
Merci pour la clarté donnée à un triste évènement (ou événement...) bien compliqué ! Vous écrivez : À la fin, les Serbes refusent l'immixion... Immixion ? Non... : immixtion ! Ce que j'igno... Lire la suite