Le 16 mars 1914, Henriette Caillaux tue Gaston Calmette, le directeur du Figaro, par crainte que le passé sentimental de son couple soit étalé sur la place publique.
Ce coup de revolver est le premier d'une série de trois qui entraîneront la France et l'Europe dans la plus grande tragédie de leur Histoire. Le deuxième visera l'archiduc Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin, et le troisième aura raison de Jean Jaurès à Paris, au café du Croissant, le 31 juillet de la même année.
Une campagne infamante
La femme élégante qui s'est présentée au Figaro et a demandé à voir le directeur est l'épouse de l'homme politique le plus en vue du moment, Joseph Caillaux.
Promoteur d'un projet de loi qui vise à instaurer un impôt général et progressif sur le revenu et farouche opposant à la loi Barthou du 19 juillet 1913, qui porte de deux à trois ans le service militaire obligatoire, il a été porté à la tête du parti radical à l'automne 1913 et a pris la direction du Bloc des gauches en s'alliant avec Jean Jaurès et les socialistes. Il est redevenu ministre des Finances le 9 décembre 1913 et tout indique qu'il accèdera à la tête du gouvernement à l'issue des élections législatives de mai 1914.
Mais Henriette Caillaux est déprimée par une campagne qui vise son mari dans la volonté évidente de détruire sa carrière.
[Extrait du coffret : Les procès de l'Histoire (une série de 6 films par Ghislain Vidal)]
Depuis trois mois en effet, le Figaro a pris la tête de l'opposition à l'impôt sur le revenu et le quotidien a déjà publié plus de cent dix articles qui l'accablent de tous les maux. La plupart sont signés de Gaston Calmette, qui accuse Caillaux d'avoir touché 400.000 francs du Comptoir national d'Escompte pour financer sa campagne ou encore d'être intervenu auprès d'un magistrat en faveur d'un escroc nommé Rochette.
[Extrait du coffret : Les procès de l'Histoire (une série de 6 films par Ghislain Vidal)]
Le 10 mars, Gaston Calmette franchit un pas décisif. Il annonce qu'il s'apprête à publier la correspondance privée de Joseph Caillaux photographiée par sa première femme. « C'est l'instant décisif où il ne faut reculer devant procédé, si pénible qu'il soit pour nos habitudes », se justifie-t-il.
Trois jours plus tard, il publie une première lettre dans laquelle affleure le cynisme de Caillaux : « J'ai écrasé l'impôt sur le revenu en ayant l'air de le défendre, je me suis fait acclamer par le centre et par la droite et je n'ai pas trop mécontenté la gauche... ».
Le Figaro annonce la publication d'une nouvelle lettre pour le 17 mars. Joseph Caillaux commence à perdre de son assurance. Henriette souffre pour son mari.
Par ailleurs, élevée dans les principes les plus stricts, elle s'est entendue dire par sa mère qu'il n'y avait pas de plus grand déshonneur que d'être la maîtresse d'un homme marié ! Or, elle-même a entamé sa relation intime avec Joseph Caillaux du temps où ils étaient l'un et l'autre mariés avec d'autres. Elle craint que soit révélé ce passé qu'elle juge particulièrement « déshonorant ».
Un crime malvenu
Le lundi 16 mars, Henriette reçoit son coiffeur et sa manucure, passe chez son dentiste puis va chercher son mari au ministère. Dans la voiture, celui-ci explose de rage contre Calmette. Sans rien lui en dire, Henriette décide alors de se rendre chez le directeur du Figaro pour tenter de le raisonner. Après le déjeuner, elle achète un revolver chez un armurier et rentre chez elle où elle laisse un mot à son mari : « Mon mari bien-aimé, (...) Tu m'as dit que tu voulais lui casser la gueule, je ne veux pas que tu te sacrifies, la France et la République ont besoin de toi, je le ferai pour toi ».
[Extrait du coffret : Les procès de l'Histoire (une série de 6 films par Ghislain Vidal)]
Il est 17h15 quand elle arrive au siège du Figaro, 26 rue Drouot. Elle demande à voir le directeur mais refuse de donner son nom. Elle laisse seulement sa carte dans une enveloppe cachetée. Gaston Calmette n'étant pas arrivé, on la fait attendre pendant une heure.
Enfin arrive le directeur en compagnie de son ami Paul Bourget. On lui remet la carte, il l'ouvre, manifeste sa surprise. Paul Bourget lui dit : « Vous n'allez pas la recevoir ! » Calmette répond : « Non, je ne peux pas. Je ne peux pas ne pas recevoir une femme ». Sitôt introduite dans son bureau, Henriette Caillaux tire les six balles du barillet. L'une d'elles sera mortelle.
Immédiatement interpellée, elle lance : « Je suis la femme du ministre des Finances » et ajoute « Je viens de faire justice ! Il n'y a plus de justice en France ! ».
Après l'arrestation de sa femme, son mari annonce son retrait provisoire de la politique, afin d'assurer sa défense jusqu'au terme de son procès. Il ne manque pas toutefois de se faire réélire député aux élections de mai.
Le procès s'ouvre le 20 juillet 1914 dans une atmosphère passionnée. Il fait la Une de tous les journaux, loin devant les affaires balkaniques !
[Extrait du coffret : Les procès de l'Histoire (une série de 6 films par Ghislain Vidal)]
Joseph Caillaux n'a rien négligé. Le garde des Sceaux ou ministre de la Justice est de ses amis, de même que le président du tribunal. Le procureur général est promu commandeur de la Légion d'Honneur quelques jours avant le procès.
Quant aux jurés tirés au sort... on s'aperçoit que l'urne contenant leurs noms a été malencontreusement descellée en tombant dans l'escalier. Nul ne s'en inquiète mais de fait, il ne se trouvera dans le jury aucun sympathisant de la droite nationaliste et belliciste qui a Caillaux en horreur.
Finalement, comme l'opinion publique se montre, avant 1914, extrêmement bienveillante à l'égard des femmes qui tuent par passion amoureuse, la criminelle est sans trop de surprise acquittée par le jury d'assises le 28 juillet 1914.
Joseph Caillaux peut envisager de reprendre la tête du gouvernement avant la fin de l'été, avec Jean Jaurès pour ministre des Affaire étrangères ! Las, trois jours après, la France décrète la mobilisation générale contre l'Allemagne.
Le geste fatal d'Henriette Caillaux a empêché son mari de revenir à la présidence du Conseil à un moment crucial. Ce faisant, il a annihilé l'espoir d'une alternative diplomatique à la tragédie majeure dans laquelle va sombrer l'Europe...
Vos réactions à cet article
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Schorderet (16-10-2014 12:32:05)
A-t-on changé ?
La passion ne tue pas qu'avec des balles!
"Merci pour ce moment "
Le broutteux (24-07-2014 16:16:44)
N'est-ce pas à cause de cet événement (et depuis cet événement) que la presse française, contrairement aux presses anglo-saxonne, a choisi de ne plus utiliser la vie privée des personnages poli... Lire la suite
christophe (13-03-2012 22:46:40)
Quelques historiens exposent le rôle indirect mais très volontaire joué par Poincaré dans cette affaire. Il aurait participé à la remise des courriers "compromettants" au Figaro. Leur ... Lire la suite