Le 9 décembre 1905, le député socialiste Aristide Briand (43 ans) fait voter la loi concernant la séparation des Églises et de l'État. C'est le début de la fin dans le conflit virulent qui oppose les gouvernements de la IIIe République à l'Église catholique.
La loi clôture 25 ans de violentes tensions entre le pouvoir républicain et l'Église catholique, l'un et l'autre se disputant le magistère moral sur la société.
Dans les faits, la séparation s'applique aux quatre confessions alors représentées en France : le catholicisme, la confession d'Augsbourg (les protestants luthériens), les réformés (les protestants calvinistes) et les israélites. Elle devrait aussi s'appliquer à l'islam, ainsi qu'en décident les parlementaires ; mais pour éviter les complications, le gouvernement suspend son application en Algérie, où sont concentrés la plupart des musulmans français. Cette suspension perdurera jusqu'à l'indépendance de l'Algérie.
L'Alsace-Moselle, au moment de la loi de séparation, faisait partie de l'Empire allemand. Après son retour à la France, en 1918, elle a obtenu de rester sous le régime du Concordat de 1801-1802. De ce fait, les ministres des cultes des trois départements de l'Est (curés, pasteurs et rabbins) jouissent encore à ce jour d'un traitement et d'un statut de fonctionnaire. Les évêques sont eux-mêmes nommés par le ministre de l'Intérieur qui est aussi en France le ministre des cultes...
Par ailleurs, les Alsaciens-Mosellans ont conservé de l'héritage bismarckien deux jours chômés exceptionnels : le Vendredi Saint, qui précède Pâques, et la Saint Étienne qui suit le jour de Noël, en hommage au premier martyr de la chrétienté. Ils bénéficient aussi d'un meilleur remboursement des soins que les « Français de l'intérieur » et de quelques autres spécificités relatives au droit de la chasse et au droit foncier.
Les enjeux de la laïcité
Au tournant du XXe siècle, en France, les partisans de la laïcité, autrement dit de la séparation des affaires religieuses et politiques, se partagent en deux camps :
– Les premiers, héritiers de la tradition jacobine, souvent adeptes de la franc-maçonnerie, rêvent d'éradiquer la religion chrétienne ou de la confiner dans le domaine strictement privé,
– Les seconds (Jean Jaurès, Aristide Briand...) veulent d'une part affirmer la neutralité de l'État à l'égard de toutes les croyances, d'autre part garantir la liberté de conscience de chacun en conformité avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Dans un premier temps, les anticléricaux l'emportent avec l'accession à la présidence du Conseil d'Émile Combes le 7 juin 1902, sous la présidence d'Émile Loubet.
Le nouveau chef du gouvernement rallume la guerre religieuse en fermant avec une brutalité sans nuances les écoles religieuses et en interdisant d'enseignement les prêtres des congrégations le 7 juillet 1904. Mais le scandale de l'« affaire des fiches » lui vaut d'être remplacé le 24 janvier 1905 à la présidence du Conseil par Maurice Rouvier (63 ans). Celui-ci a commencé sa carrière à l'ombre de Léon Gambetta.
Bon orateur et représentant éminent du groupe dit « opportuniste » (républicains modérés opposés aux « radicaux »), Rouvier cultive de bonnes relations avec les milieux d'affaires comme avec la gauche républicaine. C'est donc à lui que va incomber le vote et la mise en oeuvre de la loi de séparation des Églises et de l'État. Il va être soutenu par le rapporteur Aristide Briand, lequel va apaiser les esprits et obtenir le vote de la loi en déployant une éloquence charmeuse.
La loi de séparation met fin unilatéralement au Concordat napoléonien de 1801 qui régissait les rapports entre le gouvernement français et l'Église catholique.
Elle proclame la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes :
• Article Ier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes... ».
• Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte... »
Par cette loi, l'État manifeste sa volonté de neutralité religieuse mais ne s'exonère pas de ses responsabilités. Il veut « garantir » à chacun les moyens d'exercer librement sa religion dans le respect de celles d'autrui. C'est dans cet esprit que sont instituées des aumôneries dans les milieux fermés (casernes, lycées, prisons, hôpitaux)... et, plus tard, des émissions religieuses sur les chaînes publiques de télévision.
L'État n'entend en aucune façon limiter la liberté de conscience ni cantonner la religion à la sphère privée. Il n'est pas question par exemple d'interdire le port d'insignes religieux. À un député qui réclame l'interdiction du port de la soutane, Briand ainsi avec ironie : « Tout le monde a le droit de porter une soutane, même les curés » !
Sur le plan financier, la loi a deux conséquences majeures :
– Les ministres des cultes (évêques, prêtres, pasteurs, rabbins...) ne sont plus rémunérés par l'État et celui-ci se désintéresse totalement de leur nomination,
– Les biens détenus précédemment par les Églises deviennent la propriété de l'État mais celui-ci se réserve le droit de les confier gratuitement aux représentants des Églises en vue de l'exercice du culte.
Les partisans d'une laïcité intransigeante perçoivent la loi comme une avancée vers la destruction du fait religieux ! Ainsi, le 8 novembre 1906, elle est saluée par une mémorable envolée à la Chambre des députés : « Ensemble, d'un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des étoiles qu'on ne rallumera plus ». L'auteur est le député socialiste René Viviani qui, devenu plus tard président du Conseil, engagera la France dans la Grande Guerre.
En fait, l'opération va s'avérer plutôt profitable pour les Églises (mais on ne s'en apercevra que bien plus tard). En effet, d'une part, les ministres du culte et en particulier les évêques vont gagner en indépendance, n'étant plus tenus de rendre des comptes à l'administration. D'autre part, les Églises ne vont plus avoir à leur charge l'entretien très coûteux des édifices religieux (cathédrales, églises, temples...) préexistant à la loi de 1905. Elles ne devront plus assurer que l'entretien courant de ces édifices... Quant à ceux qu'elles seront amenées à construire après la loi de 1905, ils seront leur propriété pleine et entière.
L'inventaire des biens ecclésiastiques, nécessaire pour l'exécution de la loi, est d'abord mené avec mesquinerie. Une circulaire du 2 janvier 1906 oblige en particulier les prêtres à ouvrir les tabernacles pour faire l'inventaire des vases sacrés. Beaucoup de catholiques y voient une forme de profanation et craignent que la mesure n'encourage les vols et les spoliations. En de nombreux endroits, surtout en Bretagne, les inventaires effectués sans ménagement réveillent les rancoeurs et entraînent une nouvelle fois le pays au bord de la guerre civile.
Le pape Pie X ne fait rien pour arranger les choses. Ulcéré par le caractère unilatéral de la loi de séparation (le Saint-Siège n'a pas été consulté), il interdit aux catholiques de former les « associations cultuelles » prévues par le texte pour l'utilisation gratuite des édifices religieux devenus propriété de l'État. C'est ainsi que, faute de trouver preneur, de nombreux bâtiments sont récupérés par l'État pour y installer ses propres administrations !
Armand Fallières, élu président de la République le 17 janvier 1906, forme un nouveau gouvernement le 13 mars 1906 avec le transparent Ferdinand Sarrien à la présidence du Conseil, l'énergique Georges Clemenceau à l'Intérieur et le diplomate Aristide Briand à l'Instruction publique et aux Cultes.
Le 18 octobre 1906, Georges Clemenceau accède à son tour à la présidence du Conseil. Il apaise les tensions et ramène la concorde.
Par la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public du culte, il règle la question des édifices appartenant aux évêchés et aux « fabriques » (ainsi appelait-on les associations catholiques qui géraient les biens paroissiaux). Plus de 30 000 édifices sont finalement mis gratuitement à la disposition des Églises.
Le 28 mars 1907, une nouvelle loi autorise les croyants à se réunir sans déclaration préalable. Les sonneries de cloches sont autorisées. D'une manière générale, la jurisprudence administrative légitime les manifestations publiques qui satisfont à des traditions locales et à des habitudes (enterrements religieux...).
Après la Première Guerre mondiale, le gouvernement veut prolonger dans la paix l'union de tous les Français. Il décide tout à la fois de transférer au Panthéon le coeur de Gambetta, illustre fondateur de la République, et d'honorer le souvenir de Jeanne d'Arc en proclamant fête nationale le deuxième dimanche de mai.
Les relations diplomatiques sont rétablies entre Paris et le Vatican. Le pape Benoît XV promet de consulter Paris avant la nomination des évêques.
L'État français, de son côté, concède aux associations diocésaines placées sous l'autorité des évêques le statut d'« associations cultuelles ». Autrement dit, il reconnaît les évêques comme des interlocuteurs légitimes.
La guerre religieuse menace de se rallumer après le succès électoral du Cartel des gauches, une coalition de socialistes et de radicaux, aux élections législatives du 11 mai 1924. Mais les évêques mobilisent les catholiques avec le concours du général de Castelnau, héros de la Grande Guerre, et le gouvernement renonce à remettre en cause les arrangements antérieurs. La paix religieuse est consolidée. L'anticléricalisme militant va finir par décliner cependant que les Églises retrouveront, avec leur liberté, une nouvelle vigueur.
En ce début du XXIe siècle, si les Églises chrétiennes et le Consistoire juif ne contestent plus la loi de 1905, il n'en va pas de même des représentants de l'islam, une religion qui n'était pas encore présente en France métropolitaine lors du vote de la loi. Elle est aujourd'hui en très forte progression du fait de l'immigration extra-européenne.
Par frilosité politique, la classe dirigeante française rechigne à lui appliquer la loi de séparation et les textes qui l'accompagnent. Ainsi n'exige-t-on pas des imams et cadis qu'ils marient les couples musulmans seulement après qu'ils soient passés devant le maire. On reconnaît même aux Marocains établis en France le droit de répudier leur épouse selon le droit de leur pays d'origine. À ces infractions relatives au mariage s'ajoutent quelques arrangements troubles concernant le financement des lieux de culte.
Plus gravement, il est dit à l'article 2 de la loi que la République française s'interdit de salarier et financer aucun culte sur le territoire qui relève de son ressort. Cette obligation doit s'appliquer a fortiori aux États étrangers. Au lieu de cela, on observe que, très officiellement, les gouvernements du Maroc, de l'Algérie et de la Turquie salarient des représentants du culte (imams) en France, sans compter l'Arabie séoudite et le Quatar qui financent l'islam français par le biais d'organisations non gouvernementales.
Ces infractions délibérées à l'esprit de la loi de 1905 sont la pire chose que puissent admettre des partisans de la laïcité car elles portent atteinte à la souveraineté nationale et à la cohésion populaire.
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Voir les 19 commentaires sur cet article
Yves Petit (07-12-2022 21:30:57)
Ces lois sur la laïcité en France ont eu un impact majeur au Québec. L'historien Guy Laperrière en fait, dans la revue Érudit un survol. On peut y lire en entrée de jeu "Durant les étés de 190... Lire la suite
Dulouard (08-12-2021 15:40:35)
Bien, voir aussi la loi de 1905 sur les associations...
jacques (20-10-2016 08:54:39)
Bonjour, Je suis un abonné récent et je regrette vivement de ne pas m'être abonné plus tôt. Je prends vraiment un grand plaisir à parfaire mes connaissances et parfois à aider mes petits-enfan... Lire la suite