Le 31 mars 1905 survient le « coup de Tanger ». Cette initiative intempestive de l'empereur d'Allemagne Guillaume II va précipiter la mainmise de la France sur le sultanat du Maroc.
Quelques années plus tard, à l'été 1911, Français et Allemands vont relancer leur différend autour du Maroc jusqu'à placer l'Europe au bord d'une conflagration générale. Il faudra tout le doigté du président du Conseil Joseph Caillaux pour écarter la catastrophe.
Un sultanat convoité
Depuis qu'elle a entrepris de coloniser l'Algérie, la France se préoccupe de la sécurité des confins algéro-marocains. Elle lorgne aussi sur le sultanat voisin, l'un des derniers pays indépendants d'Afrique, qui a préservé son indépendance contre vents et marées pendant douze siècles.
Ses commerçants et entrepreneurs s'y montrent très actifs, notamment à Casablanca (« Maison blanche » en espagnol, en arabe Dar el-Beida), un port de création récente.
En concluant en 1904 l'Entente cordiale, la Grande-Bretagne accepte le principe d'un protectorat français sur le Maroc. Mais l'empereur allemand ne l'entend pas de cette oreille et s'irrite du rapprochement franco-britannique ainsi que du refus de l'inviter à Paris, à l'égal du roi Édouard VII.
Afin de signifier que l'Allemagne ne se laissera pas marginaliser, le chancelier Bernhard von Bülow suggère à Guillaume II une intervention directe auprès du sultan du Maroc. L'empereur surmonte ses réticences (du fait de sa paralysie du bras, il craint notamment d'avoir à monter un cheval trop fougueux !). C'est ainsi qu'il débarque théâtralement à Tanger, au nord du sultanat, traverse la ville à cheval, à la tête d'un imposant cortège (sur un petit cheval blanc des plus tranquilles), se rend à la légation d'Allemagne et va à la rencontre de l'oncle du sultan Abd-ul-Aziz...
À Tanger, Guillaume II revendique pour son pays sa part des conquêtes coloniales. Il assure aussi le souverain marocain de son appui en des termes qui vont hérisser l'opinion française : « C'est au Sultan, en sa qualité de souverain indépendant, que je fais aujourd'hui ma visite. J'espère que, sous la souveraineté du Sultan, un Maroc libre restera ouvert à la concurrence pacifique de toutes les nations, sans monopole et sans annexion, sur le pied d'une égalité absolue. (...) Je suis décidé à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour sauvegarder les intérêts de l'Allemagne au Maroc ».
Recherche du compromis à Algésiras
En France, le « coup de Tanger » entraîne une poussée de germanophobie.
Le président du Conseil calme le jeu et, quand les diplomates allemands lui réclament la tête de Théophile Delcassé, il ne se fait pas prier pour obtenir la démission du ministre des Affaires étrangères, qu'il déteste par ailleurs. Il accepte aussi le principe d'une conférence internationale sur le Maroc. Elle se tient l'année suivante, du 16 janvier au 7 avril 1906, à Algésiras, au sud de l'Espagne.
La conférence confirme l'indépendance du Maroc (une indépendance qui ressemble plutôt à une mise sous tutelle internationale) et rappelle le droit d'accès de toutes les entreprises occidentales à son marché.
Mais au grand dam de Guillaume II, elle établit aussi implicitement des « droits » particuliers et des « intérêts légitimes » de la France sur l'empire chérifien : c'est ainsi que la France et l'Espagne se voient confier la police des ports marocains et un Français est chargé de présider la Banque d'État du Maroc.
Pénétration française
En 1907, le général Hubert Lyautey occupe Oujda, une grande ville proche de la frontière avec l'Algérie.
Là-dessus, le massacre d'ouvriers européens dans le grand port de Casablanca détermine l'envoi d'un corps de troupes qui occupe le port et la région voisine de la Chaouia sous le commandement du général Drude.
Le Maroc revient au coeur de la rivalité franco-allemande en septembre 1908, quand la police française arrête à Casablanca des soldats de la Légion étrangère que les agents consulaires allemands ont aidé à déserter.
Berlin et Paris comprennent malgré tout qu'il est de leur intérêt commun de calmer le jeu. Les deux puissances concluent le 9 février 1909 un accord économique qui prévoit une association dans toutes les entreprises marocaines qui leur tomberaient entre les mains.
Là-dessus, le faible sultan Abd-ul-Aziz est renversé par son frère Moulay Hafiz. Mais les tribus berbères du Moyen Atlas viennent à son secours et assiègent l'usurpateur dans Fès.
Poussé par le consul qui représente les intérêts de la France au Maroc, Moulay Hafiz appelle à son aide l'armée française, qui ne se fait pas prier. En avril 1911, l'armée occupe les villes impériales de Rabat, sur la côte atlantique, Fès et Meknès dans le Moyen Atlas.
L'Allemagne voit à juste titre dans cette intervention militaire une violation des accords signés à Algésiras cinq ans plus tôt.
Le 1er juillet 1911, elle dirige la canonnière Panther vers Agadir sous prétexte de protéger les entreprises de la région et plus sérieusement pour signifier à la France qu'elle n'a pas tous les droits au Maroc.
À Paris, l'opinion se déchaîne aussitôt contre l'Allemagne. Les diplomates et l'état-major se montrent prêts à l'affrontement.
À Londres, le chancelier de l'Échiquier David Lloyd George, jusque-là soucieux d'apaisement, rejoint le camp hostile à l'Allemagne, autour du Secrétaire d'État aux Affaires étrangères Sir Edward Grey et du Premier ministre Herbert Asquith. Le 21 juillet 1911, dans un discours public à Mansion House, le siège de la municipalité de Londres, il affiche sans ambiguïté sa solidarité avec Paris et ne craint pas de menacer Berlin, à la grande surprise de l'empereur allemand Guillaume II.
Il est impératif, dit-il, que la Grande-Bretagne défende « sa place et son prestige parmi les grandes puissances du monde ». Si elle devait choisir entre la paix et l'abandon de sa prééminence nationale, « alors, je déclare avec la plus grande solennité que la paix achetée à ce prix serait une humiliation qu'une grande nation comme la nôtre ne pourrait supporter » (note).
La Grande Guerre, que d'aucuns espèrent, va-t-elle éclater sur ce futile différend ?
En fait, l'Allemagne souhaite surtout, par son coup de force, obtenir des compensations. Pourquoi pas la cession du Congo français ?
De son côté, le président du Conseil français Joseph Caillaux est à juste titre convaincu qu'une guerre entraînerait la ruine de l'Europe. Il résiste à toutes les pressions et entame des négociations secrètes avec le baron de Lancken, conseiller à l'ambassade d'Allemagne à Paris et intime de Guillaume II, en prenant soin de n'en rien dire à ses diplomates et à son ministre de la Marine, le belliciste Théophile Delcassé.
Il s'ensuit un traité franco-allemand le 4 novembre 1911, avec un échange de territoires en Afrique équatoriale, entre le Cameroun, colonie allemande, et le Congo, colonie française. L'Allemagne concède par ailleurs à la France une entière liberté d'action au Maroc.
Ce traité d'apaisement est ressenti de part et d'autre comme une lâche concession à l'ennemi. À la tribune du Sénat français, le 10 février 1912, Georges Clemenceau lance : « De bonne foi, nous voulons la paix... Mais enfin, si on nous impose la guerre, on nous trouvera. Nous venons d'une grande histoire, nous entendons la conserver ».
Joseph Caillaux doit céder le pouvoir le 11 janvier 1912 à Raymond Poincaré (en 1917, en pleine guerre mondiale, il échappera de peu à une condamnation à mort réclamée par Clemenceau).
Un protectorat « éclairé »
En attendant, le nouveau gouvernement ne perd pas de temps et dès le 30 mars 1912, il officialise le protectorat de la France sur l'empire chérifien par une convention signée à Fès avec le sultan. La France complète ainsi sa domination sur l'Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie)... pour moins d'un demi-siècle.
Le général Lyautey, nommé « résident général » auprès du sultan, entreprend avec succès la soumission des tribus rebelles puis se consacre à la mise en valeur du pays dans le respect de ses traditions. Il multiplie les infrastructures, ports, routes, voies ferrées...
Il encourage aussi l'exploitation des phosphates, principale ressource minérale du pays, dans le cadre d'un monopole confié au gouvernement du sultan.
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Andréamon (03-01-2018 12:37:06)
Les personnages historiques ne sont pas rectilignes, comme les pièces d'un puzzle, ils nous offrent des concordances mais ce ne sont jamais des clones de nous-mêmes. Bien par certaines actions, noci... Lire la suite
PENELOPE (27-03-2012 10:06:24)
On a dressé à Paris un très beau monument à George CLEMENCEAU ...Mais je me demande parfois si ce dernier était si bien que ça ..