Le 13 janvier 1898, l'écrivain Émile Zola publie une lettre ouverte au président de la République dans L'Aurore sous le titre « J'accuse ». Elle va spectaculairement relancer le débat autour de la condamnation du capitaine Alfred Dreyfus.
C'est le début d'une « Affaire » qui va porter à ébullition l'opinion publique.
Zola engage sa réputation et sa liberté
Quatre ans après l'envoi au bagne du capitaine Dreyfus, ses partisans et ses proches ont acquis la conviction qu'il a été condamné à la place du commandant Esterhazy mais ils ne peuvent encore en emporter la preuve. Ils décident de tenter le tout pour le tout en vue d'obtenir la révision de son procès et sortir l'enquête de l'enlisement.
Pour cela, Émile Zola, riche et comblé d'honneurs, prend sciemment à 48 ans le risque de se faire arrêter et condamner pour diffamation publique.
Il reçoit le soutien empressé de Georges Clemenceau qui tient une chronique dans L'Aurore depuis que le scandale de Panama l'a exclu de la vie parlementaire.
Sincèrement indigné, le « tombeur de ministères », chef du mouvement radical, à l'extrême-gauche de l'échiquier politique, saisit l'occasion de faire sa rentrée politique en s'en prenant selon son habitude au gouvernement en place.
C'est lui qui, lors d'une mémorable conférence de rédaction, a l'idée du titre qui fera le succès de l'article de Zola : J'Accuse...!
Dans ce texte virulent qui occupe la première page du quotidien, le célèbre écrivain dénonce les manigances qui ont entouré le procès du capitaine, accusé à tort d'espionnage, et l'acquittement par le conseil de guerre, trois jours plus tôt, du capitaine Esterhazy, le vrai coupable.
Il désigne nommément les coupables :
« J'accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d'avoir été l'ouvrier diabolique de l'affaire [...]
J'accuse le général Mercier de s'être rendu complice, tout au moins par faiblesse d'esprit, d'une des plus grandes iniquités du siècle [...]
J'accuse enfin le premier Conseil de guerre d'avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète [...] »
Le texte fait d'emblée l'effet d'une bombe. Au Sénat, le sénateur dreyfusard Scheurer-Kestner perd la vice-présidence de l'assemblée. Et dès le lendemain a lieu une « pétition des intellectuels » en soutien de l'écrivain. Cette pétition est une première dans l'Histoire de France.
En février 1898, comme il pouvait s'y attendre, Émile Zola est traduit en cour d'assises. Le procès donne lieu à une violente altercation entre le commandant Henry et le lieutenant-colonel Picart qui a, non sans courage, argué de faux la lettre plus tard désignée comme le « faux Henry », que le général de Pellieux venait de résumer et que les généraux de Boisdeffre et Gonse avaient confirmée.
Le 23 février, Zola est condamné pour diffamation à un an de prison et à trois mille francs d'amende, lesquels seront payés par l'écrivain à succès Octave Mirbeau. L'accusé se pourvoit en cassation et n'attend pas la fin du procès, en juillet, pour prendre la poudre d'escampette et se réfugier en Angleterre. Mais l'affaire a déjà pris de l'ampleur et mis l'opinion publique en ébullition.
Des écrivains comme Anatole France s'engagent vigoureusement aux côtés de Zola et Dreyfus. D'autres, comme Maurice Barrès, prennent la tête d'une croisade patriotique et, hélas, antisémite. Des israélites ou juifs sont pris à parti, des synagogues attaquées en métropole comme en Algérie, où les pogroms font de nombreuses victimes.
Dans le même temps, à la fin février, la hiérarchie militaire a la mauvaise idée de réformer le lieutenant-colonel Georges Picquart, incarcéré depuis janvier 1898. Enfermé dans la prison de la rue du Cherche-Midi, à Paris, il est au courant de tous les tenants et les aboutissants de l'affaire. Voyant que le silence ne lui vaut rien, il commence à révéler ce qu'il sait, notamment sur l'implication du ministre de la Guerre et de l'état-major dans le sabotage du procès Dreyfus.
La vérité éclate au grand jour
En août, coup de théâtre ! Dans une lettre au président du Conseil Henri Brisson, Piquart soutient une nouvelle fois que le document produit par le commandant Henry pour disculper Esterhazy a « tous les caractères d'un faux ». De fait, un examen minutieux va révéler des anomalies, notamment deux teintes différentes dans les quadrillés du billet qui attestent qu'il s'agit de deux lettres distinctes.
Le 30 août, le colonel Henry est convoqué par le ministre de la guerre, Godefroy Cavaignac, auquel il avoue avoir « arrangé les choses ». Emprisonné au mont Valérien, le faussaire se suicide le lendemain dans sa cellule... grâce à la bienveillance de ses gardiens qui, contrairement aux usages, lui ont laissé de quoi se tuer (un rasoir). Devant le scandale, le ministre est contraint à la démission et son remplaçant, Dupuy, consent à la révision du procès de Dreyfus qui rentre enfin du bagne.
Un procès se tient à Rennes dans une atmosphère houleuse. Sur le chemin du tribunal, l'un des avocats du capitaine, Maître Labori, est blessé d'un coup de revolver par un inconnu.
Il s'ensuit de longues plaidoiries au cours desquelles les accusateurs de Dreyfus apparaissent en grand uniforme tandis que Georges Picquart, qui a été entretemps réformé (chassé de l'armée), est astreint à s'habiller en civil !
Le 9 septembre 1899, la cour militaire reconnaît à nouveau Dreyfus coupable de haute trahison, mais le condamne seulement à dix ans de réclusion en raison de « circonstances atténuantes » (!). Forts de cette improbable victoire, les antidreyfusards jubilent.
Le président de la République Émile Loubet grâcie Dreyfus dès le 19 septembre mais l'ancien capitaine exige un acquittement complet : « le gouvernement de la République me rend la liberté. Elle n’est rien pour moi sans l’honneur ».
Alfred Dreyfus devra encore patienter plus de six ans avant de retrouver son honneur et une complète réhabilitation.
Georges Clemenceau n'a pas attendu quant à lui pour remonter sur la scène politique. Dès 1901, il fonde son propre parti, le parti républicain radical.
Esterhazy, le véritable coupable, n'a pas demandé son reste. Dès la découverte du « faux Henry » en août 1898, il s'est enfui à Londres où il mourra en 1923.
Mort dans la nuit du 29 septembre 1902 à Paris, des suites d'une intoxication par la fumée, Émile Zola ne verra pas la réhabilitation de Dreyfus. ..
Pour limiter les incidents à la veille du procès de Rennes, le gouvernement a fait arrêter dès le début du mois d'août 1899 quelques agitateurs nationalistes comme Déroulède, dirigeant de la Ligue des Patriotes. Menacé également d'arrestation, Jules Guérin, chef de la Ligue antisémitique française (5.000 adhérents !) se barricade avec quelques acolytes au siège de son association, rue Chabrol, à Paris.
Le préfet de police Jules Lépine fait aussitôt cerner la rue et interdit de ravitailler les assiégés mais des sympathisants enfreignent les ordres et ravitaillent les trublions par les toits. L'opinion publique s'amuse de ce « Fort-Chabrol » dérisoire. Le siège est finalement levé au bout de 38 jours et Jules Guérin bientôt condamné à dix ans de forteresse.
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Voir les 6 commentaires sur cet article
Michael (13-01-2024 15:16:17)
L'affaire Dreyfus, est-elle davantage une affaire d'antisémitisme ou de germanophobie ? Au XIXe siècle, le Juif chez Balzac et la comtesse de Ségur est toujours caricaturé par une orthographe pho... Lire la suite
Michèle (15-11-2019 08:40:25)
Texte de Zola magnifique et courageux. L'intoxication par la fumée est-elle totalement accidentelle?
luke (01-02-2012 14:10:31)
Le texte de Zola, chef d'oeuvre d'ecriture pamphletaire, est disponible dans toutes les bonnes libraires hexagonales, pour un prix extremement modique, car sorti aux Editions Mille et une Nuits...