Le 15 février 1896 apparaît dans la vitrine d'une librairie de Vienne un ouvrage mystérieux : Der Judenstaat, Versuch einer Modernen Lösung der Judenfrage (L'État des Juifs, recherche d'une réponse moderne à la question juive).
L'auteur, Theodor Herzl (35 ans), est un journaliste hongrois d'origine juive... mais très éloigné du judaïsme traditionnel.
Il a assisté l'année précédente à la cérémonie de dégradation du capitaine Dreyfus dans la cour des Invalides, à Paris, et suivi toute l'Affaire pour le compte de la Neue freie Presse. Publié à Vienne, ce grand journal de la gauche libérale fait référence dans tout l'empire austro-hongrois et existe encore sous le titre Die Presse.
Antisémitisme révoltant
Le jeune journaliste a été révolté par la flambée d'antisémitisme (dico) dans la patrie des Droits de l'Homme et en tire la conclusion qu'il est illusoire pour les juifs de chercher leur salut dans l'assimilation.
Dans son ouvrage Der Judenstaat, que l'on traduit parfois faussement en français par L'État juif, il préconise la création d'un foyer (Heimstätte) - et non d'un État - qui offrirait un refuge à tous les juifs persécutés. Établi en Palestine, il serait placé sous la protection de son souverain légitime, le sultan de Constantinople.
Dans son esprit, ce foyer serait surtout destiné aux Juifs orientaux (Ostjuden) car il pense que les Juifs occidendaux (Westjuden) répugneront à abandonner leur mode de vie.
De fait, sa thèse suscite d'emblée l'enthousiasme chez les humbles juifs orientaux. Elle rejoint aussi les aspirations de nombreux militants « sionistes » qui, depuis une quinzaine d'années, ont commencé à émigrer en Palestine.
Le mouvement sioniste s'organise
Dans les mois qui suivent la parution de L'État des Juifs, Theodor Herzl et ses amis Max Nordau et Israël Zangwill décident de réunir un congrès. La ville de Munich est pressentie mais les rabbins locaux, comme l'immense majorité des rabbins, se montrent hostiles au mouvement sioniste et c'est finalement à Bâle, en Suisse, que se retrouvent en août 1897 les 204 délégués juifs.
Ce premier Congrès sioniste définit un plan d'action (le « programme de Bâle »). Il préconise la colonisation de la Terre sainte par des paysans, des ouvriers et des artisans juifs, et une action politique en vue de légitimer le foyer juif.
Les Congrès suivants, année après année, organisent le mouvement sioniste. Ils créent une Banque nationale juive puis, à l'initiative de Chaïm Weizmann, un chimiste russe établi à Manchester, qui deviendra en 1949 le premier président de l'État d'Israël, est créé en 1905 un Fonds national juif pour l'achat de terres agricoles en Palestine.
La colonisation est conduite au nom du slogan : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Elle fait fi de la présence sur place, en Palestine, d'habitants musulmans, chrétiens... ou juifs. Theodor Herzl lui-même n'exclut pas, il est vrai, d'expulser les indésirables.
Le fondateur du mouvement sioniste crée un hebdomadaire à Vienne, Die Welt, et, en 1902, publie un roman d'anticipation qui évoque la vie dans le futur foyer juif. Intitulé en allemand Altneuland (« Terre ancienne, terre nouvelle »), le roman décrit le sionisme comme « un poste avancé de la civilisation, un rempart de l'Europe contre l'Asie, s'opposant à la barbarie ». Il imagine aussi un accueil chaleureux des colons sionistes par les Arabes du lieu !
Le roman sera traduit en hébreu sous le titre Tel-Aviv (« Lieu du renouveau ») qui deviendra le nom de la première capitale de l'État d'Israël.
Mortelle menace
Theodor Herzl multiplie les contacts avec les chefs d'État, y compris le pape Pie X, le sultan Habdul-Hamid III, l'empereur Guillaume II, le ministre britannique Joseph Chamberlain et même le ministre de l'Intérieur russe, qui ne craint pas de provoquer des pogroms meurtriers dans son pays. Lors de son voyage en Russie et dans les États baltes, en particulier en Lituanie et à Vilnius, Herzl est accueilli de gare en gare par des foules de pauvres juifs aux cris de « Vive le Roi ! » Il est vrai que sa barbe assyrienne et son profil de prophète concourent à la popularité de ses idées.
En 1903, Joseph Chamberlain lui offre d'installer son État juif... en Afrique, sur le territoire de l'Ouganda, alors possession britannique. Theodor Herzl, insensible à la composante religieuse du sionisme et craignant de ne jamais avoir gain de cause en Palestine, veut se saisir sans tarder de cette offre, faute de mieux. Il est suivi par Éliezer Ben Yéhouda, le créateur de l'hébreu moderne, et par le mouvement religieux ultranationaliste Mizrahi.
Il réunit à Bâle, en août 1903, un VIe Congrès sioniste. C'est peu après le premier grand pogrom (dico) du XXe siècle, à Kichinev, dans la province russe de Moldavie, où une soixantaine de juifs ont été massacrés par la foule sans autre motif que la haine. Dans l'émotion du moment, Max Nordau lance aux délégués : « Nous avons besoin d'un asile de nuit, lieu de repos pour les persécutés ». Et Herzl de leur annoncer : « J'ai une grande surprise pour vous : Sa Majesté, le souverain de l'empire britannique, vous offre un cadeau, l'Ouganda ! » (Josy Eisenberg, Une histoire des juifs).
Les « sionistes » convaincus fulminent, tout comme Chaïm Weizmann. Ils ne veulent rien d'autre que la Palestine. Mais ils se retrouvent en minorité face à une majorité de « territorialistes » prêts à accepter l'offre britannique. Le mouvement fait scission. Les sionistes poursuivent non sans mal la colonisation de la Palestine cependant que les territorialistes étudient après l'Ouganda d'autres territoires tout aussi invraisemblables avant de rejoindre enfin les sionistes.
Épilogue
Épuisé par son inlassable activité et les conflits au sein de son mouvement, Theodor Herzl meurt prématurément le 3 juillet 1904, à l'âge de 44 ans. Mais son rêve va recevoir une impulsion décisive avec la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 qui apporte aux sionistes l'appui officiel de la couronne britannique.
Il trouvera son aboutissement en novembre 1947, peu après le génocide des juifs européens, lorsque l'assemblée générale des Nations Unies votera le partage de la Palestine en deux États, l'un arabe, l'autre juif. L'État d'Israël sera officiellement proclamé le 14 mai 1948 par David Ben Gourion.
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Lizzie van Nieuwenhuyse (14-05-2023 14:51:58)
Ce sont bel et bien les Israéliens qui ont commis un nettoyage ethnique : voir le livre d’Ilan Pappe « le nettoyage ethnique de la Palestine » alors que lui-même est juif.
jutré (15-02-2014 20:39:27)
Un ami, hélas décédé, m'avait déclaré que Pie IX avait dit, et même écrit : "Les Juifs sont comme des chiens qui aboient au coin des rues". Est-ce exact ? Dans ce cas, où puis-je retrouver le texte exact ? Merci.
guillaume_rc (15-02-2012 09:25:07)
Légèrement hors sujet, mais je trouve intéressant de noter que l'Affaire Dreyfus "déclenche" chez Herzl la conviction qu'il faut un territoire pour les Juifs, alors qu'au même moment, en Lituanie, le père d'Emmanuel Lévinas disait (je cite de mémoire) : "un pays qui se déchire pour le sort d'un petit capitaine juif est un pays où il faut se dépêcher d'aller".
Henri (24-02-2011 10:16:17)
Les Juifs et les Chrétiens (et tout particulièrement les Coptes, descendants des Egyptiens bâtisseurs des pyramides) sont au Proche et au Moyen Orient depuis beaucoup plus longtemps que les Arabes et les Turcs.
Les uns ne sont arrivés sur ces territoires qu'à l'occasion de ce que les historiens appellent pudiquement "l'expansion de l'Islam" (en fait une "Croisade musulmane") des 7° et 8° siècles ; les autres depuis leur colonisation du 16° siècle de ces mêmes territoires et de leurs différents peuples.
Les Juifs et les Chrétiens, submergés par ces conquêtes successives, et réduits à la condition de dhimmis, sont, en réalité, les vrais indigènes de ces régions, de même que, dans les Amériques, les Sioux ou les Iroquois sont des indigènes submergés par les Occidentaux qui ont rendu leur foi majoritaire et ont longtemps faits d'eux des citoyens de seconde zone.
Au cours des siècles, le nettoyage ethnico-religieux opéré par les Turcs a éliminé presque totalement les Chrétiens des territoires de l'ancien empire byzantin orthodoxe en allant jusqu'à commettre le génocide des Arméniens en 1915, et le transfert de 2 millions de grecs anatoliens dans les années 20 du siècle dernier. En juillet 1974, l'invasion de Chypre par la Turquie (Opération Attila) a provoqué le transfert de 200 000 Chypriotes chrétiens vers la partie sud de l'île qui n'avait pas été conquise.
Il est vrai que, depuis ces événements, sous la pression des Européens des négociations sont en cours entre les deux Communautés, pour la réunification de Chypre.
Quant aux Juifs, 800 000 d'entre eux, harcelés et parfois persécutés au 20° siècles dans les pays du Maghreb, ils ont dû quitter leurs foyers (sans en être formellement chassés).
La question du peuplement et des transferts de populations dans ces régions ne devrait pas être vu avec un trop grand simplisme : d'incontestables légitimités historiques s'y opposent et s'y entrecroisent.
Philippe (12-02-2009 12:43:34)
Il serait bon de rappeler deux choses, me semble-t-il.
. Depuis la plus haute antiquité il y a toujours eu des juifs en Israël, malgré les exodes et les nombreuses invasions telles, notamment celle romains, et celle des arabes au 7° siècle.
. Il serait bon également de rappeler que les juifs ont accepté le vote de l'ONU en 1947, alors que les arabes l'ont refusé et déclenché immédiatement une guerre dont la vocation déclarée était le nettoyage ethnique.