Aujourd'hui plus vaste et plus peuplée que la France, la Birmanie est un très ancien pays bouddhiste et de culture sino-indienne, enserré dans un écrin de montagnes bien arrosées.
Verrou stratégique entre l’Inde britannique, la Chine et l’Asie du Sud-Est, elle fit tout au long du XIXème siècle l’objet d’un intérêt grandissant à Londres et dans les instances dirigeantes de l’East India Company.
Le royaume perdit progressivement le contrôle de son territoire face à la colonisation britannique jusqu’à être finalement annexé officiellement le 1er janvier 1886 et inclus dans le « British Raj », autrement dit l'Empire britannique des Indes.
Cette annexion provoqua la chute de la prestigieuse dynastie Konbaung (1752-1885) et donna aux Britanniques un accès à l’immense marché chinois ainsi qu’au lucratif commerce de l’opium.
Les Britanniques sont présents dans le sous-continent indien depuis le XVIIe siècle, par le biais de l’East India Company. En 1818, à l'issue de différents traités avec les princes locaux, cette compagnie marchande, qui dispose de sa propre armée et de son administration, règne sans partage sur la plaine du Gange et du Deccan. Elle n’est plus menacée qu’au nord-est par l’expansionnisme birman et au nord-ouest par le danger russe. L'empire moghol n'est plus qu'une fiction. En 1857, suite à la révolte des Cipayes, la Couronne britannique évince la Compagnie et met en place une administration directe sur l'ensemble des Indes. Le 1er janvier 1877, la reine Victoria est officiellement couronnée impératrice des Indes. La Birmanie complète son empire en 1886. Elle constitue la dernière annexion coloniale des Anglais en Asie.
La Birmanie avant la conquête britannique
Au VIIIème siècle, les Birmans (ou Bamars), originaires du sud de la Chine actuelle, s’installent dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Haute-Birmanie. Au IXème siècle, ils fondent Pagan sur les rives de l’Irrawaddy, une cité-Etat qui deviendra bientôt un empire.
Une expansion birmane s’oriente en effet rapidement vers la Basse-Birmanie jusqu’alors dominée par le royaume de Thâton fondé par les Môns (venus de Chine durant le IVème siècle avant J.-C.), et domine tout le pays entre le XIème et le XIIIème siècle. L’épopée de Pagan est suivie de deux siècles de division qui virent la Birmanie partagée entre le royaume birman d’Ava au nord et le royaume môn de Pégou au sud.
Le pays est à nouveau réunifié puis devient la plus grande puissance régionale de son temps à la fin du XVIème siècle. Situé au cœur du commerce asiatique, il profite de sa position stratégique entre les mondes indiens et chinois. Sa prospérité est d’ailleurs bientôt renforcée par l’arrivée dans la région des premiers navires européens.
La Birmanie, à son apogée sous la dynastie Taungou (1527-1740), étend sa domination de Manipour et des frontières de l’Arakan, à l’ouest, jusqu’aux limites des civilisations viêt et khmer, à l’est, et des confins du Yunnan, au nord, jusqu’à la pointe de la péninsule malaise, au sud.
À partir de la fin du XVIIIème siècle, la dynastie Konbaung (1740-1824) consolide son pouvoir et s’impose à ses voisins môns de Basse-Birmanie jusqu’à leur assimilation forcée, mais doit finalement faire face à la colonisation britannique qui signera la fin de la monarchie birmane.
Le bouddhisme theravada (« Petit véhicule ») a toujours été le principal ciment de la société birmane. Cette religion, venue d’Inde au IIIème siècle avant J.-C., préserve l’unité du royaume malgré la division physique du pays et la présence de groupes minoritaires animistes (notamment les Karens vivant dans les montagnes qui seront plus propice à l’évangélisation au XIXème siècle). Encore aujourd’hui en Asie du Sud-Est, la Birmanie fait même figure de siège continental du bouddhisme theravada (85 à 89 % de la population birmane).
Première guerre anglo-birmane (1824-1826)
Au début du XIXème siècle, la Birmanie représente l’un des empires les plus importants de la région avec trois capitales monumentales édifiées en moins de cent ans (Ava, Amarapura et Mandalay).
Après avoir soumis les royaumes voisins, le pays se crée une nouvelle frontière avec la partie nord-est de l’Inde britannique. Dès lors, les sanglantes poussées de la monarchie birmane aux portes de l’Assam et du Bengale inquiétent les Anglais et notamment lord Amherst, le gouverneur de Calcutta.
C’est d’ailleurs ce dernier qui persuade Londres d’intervenir sur la frontière au nord-est des Indes ainsi que le long des côtes birmanes et donc de déclencher le 5 mars 1824 la première guerre anglo-birmane.
Cette guerre mobilisa 40 000 soldats et principalement des cipayes (soldats indiens), dont 15 000 périrent soit au combat soit à cause des maladies car ils étaient peu habitués au climat tropical du delta de l’Irrawaddy.
Un corps expéditionnaire fut envoyé en mai 1824 par la mer à partir des îles Andamans pour occuper la ville de Rangoun (Basse-Birmanie) tandis que les Birmans furent refoulés hors de l’Assam et du Manipur. Suite à ces débâcles, le roi demanda une trêve qui fut refusée par les Britanniques et l’armée se vit obligée de capituler le 26 décembre 1825.
Ainsi s’acheva l’un des conflits les plus coûteux en hommes et en ressources que la Grande-Bretagne eut à mener dans son empire. Il coûta en effet 13 millions de livres-or ce qui représentait à l’époque plus de la moitié du budget annuel de l’East India Company.
Par le biais d’un traité signé le 24 février 1826 à Yandabo, les vainqueurs imposèrent l’installation d’une représentation britannique permanente à la cour d’Ava, ainsi que des accords pour garantir des avantages aux commerçants britanniques en Birmanie. Enfin, les Anglais décidèrent d’annexer les zones côtières de l’Arakan et du Tenasserim, s’assurant ainsi une nouvelle carte défensive dans le nord-est des Indes.
Dès lors, commerçants britanniques et européens affluèrent pour exploiter les richesses du pays. Au même moment, le roi birman Bagyidaw abdiqua au profit de son frère Tharrawaddy qui fut couronné le 15 avril 1837. Ce nouveau souverain aimait à faire des démonstrations de force à la tête de son armée et adopta une attitude ouvertement agressive à l’égard des représentants britanniques qui se trouvaient en difficulté financière.
À sa mort, le 17 novembre 1846, son fils lui succéda sous le nom de Pagan. Le climat très conflictuel entre Birmans et commerçants européens arriva à son paroxysme en 1852 lorsque le nouveau roi tenta de taxer les navires anglais.
Deuxième guerre anglo-birmane (1852)
Une nouvelle fois, la guerre fut déclarée et un corps expéditionnaire de 6000 hommes composé de soldats de la Couronne et des forces navales de l’East India Company débarqua sur la côte birmane. Les principales villes du sud tombèrent les unes après les autres aux mains des Anglais jusqu’à la prise de Prome le 9 octobre 1852.
Ce conflit fut rapide et habilement planifié par les Anglais qui trouvèrent face à eux une armée birmane désorganisée et incapable d’opposer une résistance efficace.
Il aboutit à l’annexion de l’ensemble de la Basse-Birmanie, soit la capitale Rangoun, le delta de l’Irrawaddy et la région de Pegu, privant ainsi le pays d’un accès à la mer et obligeant la cour birmane à se réfugier dans la ville de Mandalay plus au nord.
L’East India Company ne se souciait pas de soumettre le pays mais aspirait seulement à un commerce sans entraves. D’ailleurs cette guerre fut citée par Karl Marx dans un article du New York Tribune en 1853 à titre d’exemple pour illustrer l’attitude impérialiste de la Grande-Bretagne.
Suite à cette guerre, une révolution provoqua la chute du roi Pagan, jugé responsable de la perte de la moitié du royaume. Le roi Mindon prit sa place. Il adopta une stratégie de guérilla et de harcèlement à l’encontre des troupes coloniales présentes sur le territoire birman. En 1857, il fit de Mandalay la nouvelle capitale du royaume tout en se voyant obligé d'accepter la présence d'un résident britannique sur place.
L’alliance de la cour birmane avec les Français et les Italiens
Pour contrer l’avancée des Britanniques, la cour birmane noua des relations avec les nations européennes rivales. En 1872, le roi Mindon envoya une première ambassade en Europe et d’abord en Angleterre pour aborder quelques questions politiques, puis en Italie et en France dans le but de jeter les bases d’un nouveau traité de commerce.
Un accord de coopération fut d’abord obtenu avec le jeune royaume d’Italie qui envoya des ingénieurs, des armes et des machines industrielles en Birmanie. Des employés italiens servirent également auprès du roi en tant qu’experts et conseillers militaires, ce qui permit au pays d'entamer sa modernisation.
Puis, le 6 novembre 1878, Thibaw, fils de Mindon, fut couronné à Mandalay sans savoir qu’il sera le dernier roi de la dynastie Konbaung. Le nouveau souverain, conscient des avantages qu’il pouvait tirer de la rivalité coloniale entre la France et la Grande-Bretagne dans la région, se laissa approcher par les Français (présents en Cochinchine depuis 1862 et au Tonkin à partir de 1883).
À ce moment-là, l’un des objectifs de la France était de concurrencer le commerce britannique en reliant la route commerciale de Yunnan-Fou (future Kunming) et Mandalay au Mékong, afin de détourner les flux commerciaux vers l’Indochine française et de priver les Britanniques d’échanges lucratifs avec les Chinois.
En 1883, Thibaw envoya une nouvelle ambassade en France qui s’engagea à fournir des armes à la Birmanie en cas de besoin. En réaction à ces accords franco-birmans, les Britanniques décidèrent de rompre leurs relations diplomatiques avec la cour birmane.
Troisième guerre anglo-birmane (1885)
La troisième guerre anglo-birmane devint inévitable lorsqu’en août 1885, le roi Thibaw s’attaqua aux intérêts britanniques en Birmanie. En effet, le conseil birman (Le Hluttô) condamna et infligea une amende pour contrebande à la Bombay Burmah Trading Corporation qui exploitait le bois de teck dans les forêts de Haute-Birmanie, soutenue par des hommes d'affaires britanniques de Rangoun.
En réponse à cet affront, Lord Randolph Churchill (le père de Winston), ministre en charge des affaires indiennes, ordonna le 22 octobre l’envoi d’une canonnière porteuse d’un ultimatum à la Birmanie.
Les Britanniques exigèrent qu’un nouveau résident soit envoyé à Mandalay pour prendre en charge la gestion des relations diplomatiques du gouvernement birman. Londres espérait ainsi prévenir tout nouvel accord secret avec une puissance étrangère. Pour le roi, cela revenait à renoncer à sa souveraineté et à devenir officiellement un vassal des Britanniques, c’est pourquoi il refusa d’obtempérer.
Le gouvernement britannique ne vit d'autre alternative que l'annexion. Il envoya le 14 novembre 1885 une flottille de vapeurs (en partie constituée des bateaux de l’Irrawaddy Flotilla Company). Elle remonta l’Irrawaddy en étant appuyée par une colonne de soldats sur chaque rive. L’opération était commandée par le général Harry Prendergast dont l’objectif était de prendre Mandalay.
Le conflit dura à peine deux semaines car les troupes du roi Thibaw, éparpillées sur tout le royaume, furent surprises par l’attaque et plièrent sans résistance devant la puissance de feu et l’organisation des troupes anglo-indiennes.
Thibaw tenta d'obtenir un armistice mais Sir Harry Prendergast refusa. Il promit néanmoins la vie sauve à la famille royale si les garnisons de la capitale se rendaient sans condition, ce que Thibaw fut contraint d'accepter. Mandalay fut ainsi prise le 28 novembre 1885 et, le lendemain, le colonel Edward Sladen recevait la capitulation inconditionnelle du gouvernement birman.
Mais la reddition de la capitale ne signifiait pas la fin des opérations. Sir Prendergast voulait atteindre Bhamo et la frontière chinoise toute proche - objectif qu’il atteignit le 28 décembre.
Cette conquête de la Haute-Birmanie permit aux Britanniques d’intégrer l’ensemble du territoire birman aux Indes et d’en faire la marche stratégique orientale de l’Empire des Indes, véritable tampon destiné à contenir les Chinois et les Français d’Indochine. L'annexion de la Birmanie fut annoncée au Parlement britannique le 1er janvier 1886 par Sir Randolph Churchill au titre de « cadeau de Nouvel An » à la reine Victoria.
Quant au roi Thibaw, après avoir été officiellement déposé le 1er décembre, il fut envoyé en exil avec sa famille sur la côte ouest de l’Inde, où il mourut en 1916 après trente ans d’exil.
La période coloniale
Une fois la conquête terminée, les Britanniques durent mener des « opérations de pacification » dans le pays car de nombreux insurgés (les dacoïts) refusèrent la défaite et continuèrent la lutte. Prompts à piller tout autant qu'à combattre l'occupant, ces insurgés pouvaient être comparés aux « pirates » auxquels les Français durent faire face au Tonkin. Ils bénéficiaient du soutien de la population locale, qui ne supportait pas de voir les colonisateurs piller les trésors nationaux et la bibliothèque royale ou encore installer une chapelle anglicane et l’Upper Burma Club dans l’enceinte même du palais royal. Aux côtés des populations civiles, le clergé était également très actif dans l’insurrection et de nombreux moines prirent la tête de groupes résistants.
Pour mettre fin à l’insurrection, Sir Charles Crosthwaite, le nouveau commissaire en chef pour la Birmanie, n’hésita pas à brûler les villages soupçonnés de ravitailler les insurgés, ni à exécuter les hommes suspects. D’ailleurs, cette répression fut assurée par des troupes principalement indiennes puisque près de 40 000 cipayes étaient chargés de quadriller le territoire afin d’y assurer la stabilité. La violence fut telle que la presse européenne en rendit compte, ce qui provoqua des débats houleux au parlement britannique.
Cette domination territoriale, bien qu’imparfaite fut tout de même suffisante pour permettre aux Britanniques d’instaurer une administration efficace pouvant répondre aux besoins des entreprises venues exploiter la colonie. La Haute-Birmanie, surtout, regorgeait de ressources sur lesquelles les milieux d’affaires britanniques lorgnaient depuis longtemps.
On y exploita en particulier le bois de teck si bien que des milliers d’hectares de forêts disparurent en quelques années avant que l'exploitation ne fût régulée.
On peut également citer les mines de Mogok, dont la fameuse « vallée des rubis », immortalisée par Joseph Kessel dans son roman La Vallée des rubis. Ce gisement situé à près de 150 km au nord-est de Mandalay offrit au monde l’essentiel de ses rubis et fut notamment la propriété de Lord Rothschild qui constitua la Burma Ruby Mines Company, introduite en bourse en mars 1889. Enfin, le pétrole birman fut exploité par les Britanniques dès 1853, date à laquelle le premier baril quittait le pays, faisant de la Birmanie l’un des plus anciens pays exportateurs de pétrole.
Pour imposer sa mainmise sur le pays, les Britanniques s’employèrent à diviser les groupes ethniques locaux. Les minorités - karen (à l’est), kachin et chin (à l’ouest) - obtinrent l’élargissement de leurs droits ainsi qu’une relative autonomie. La majorité birmane (bamar), directement soumise au pouvoir colonial, vécut quant à elle la colonisation comme une expérience humiliante.
À cela s’ajouta une immigration massive de main d’œuvre bon marché venue de Chine et surtout d’Inde, qui occupa dès lors tous les secteurs clés de l’économie birmane. De l’artisanat aux professions libérales, les Indiens disposaient en effet de nombreux atouts pour concurrencer les Birmans. Il s'ensuivit l’émergence d’un nationalisme birman qui s’exacerba à partir des années 1930.
Les Birmans militèrent en premier lieu pour une séparation d'avec l’Empire des Indes, ce qu'ils obtinrent en 1937 quand la Birmanie devint une colonie à part. En second lieu, ils militèrent pour l'indépendance, laquelle fut retardée par la Seconde Guerre mondiale et l’invasion japonaise de 1942 qui mit fin à la domination britannique. C'est en définitive le 4 janvier 1948 que la Birmanie devint formellement indépendante.
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