26 janvier 1885

Mort « glorieuse » de Charles Gordon

Le 26 janvier 1885, plusieurs milliers de Soudanais en armes investissent le camp retranché de Khartoum, sur les bords du Nil. Les défenseurs sont des Égyptiens sous le commandement de quelques officiers britanniques. 

À la tête de la garnison se tient l'officier le plus prestigieux de l'empire britannique, Charles Gordon (52 ans). La population de la ville et la garnison succombent sous le nombre et Charles Gordon est lui-même percé de coups. Sa tête est présentée à son  vainqueur, un  chef religieux musulman appelé Mahdi (le « Guide » en arabe). L'annonce du drame provoque un séisme politique en Angleterre.

Alban Dignat
La mort de Gordon (peinture de propagande anglaise)
Un officier anglais

Charles Gordon est l'un des officiers les plus représentatifs de l'épopée coloniale britannique. Né en 1833, il sert d'abord dans la guerre de Crimée puis se porte volontaire pour la Chine en 1860. Il prend part à une expédition contre Pékin, dans le cadre de la « Seconde guerre de l'opium ».

Il assiste sans doute à la mise à sac du Palais d'Été mais sans y participer. Ses convictions religieuses très fortes lui interdisent toute forme de pillage ou de violence inutile. Célibataire endurci, on ne lui connaît que deux vices, au demeurant assez répandus dans sa corporation : le tabac et l'alcool. 

Là-dessus, en 1862, le gouvernement chinois, en guerre contre la rébellion Taiping, perd son principal atout en la personne de l'Américain Frederick Ward. Celui-ci a constitué l'« Armée toujours victorieuse », un corps de volontaires européens et américains placé à la tête de 5 000 combattants chinois et financé par les hommes d'affaires occidentaux pour les protéger des Taiping. Après sa mort au combat, le gouvernement chinois obtient des Britanniques de le remplacer par l'un de leurs meilleurs officiers. L'heureux élu est Charles Gordon qui va s'acquérir à ce poste le surnom de « Chinois Gordon » ainsi que des titres honorifiques tant chinois que britanniques.

Sa popularité lui vaut en  1874 d'être requis par le khédive (ou vice-roi) d'Égypte pour mater des rébellions dans la province équatoriale du Soudan (l'actuel Sud-Soudan). Trois ans plus tard, il est nommé gouverneur de l'ensemble du Soudan. Comme le khédive lui offre une rémunération de dix mille livres, il s'offre le luxe de la refuser et de n'accepter que 2 000 livres afin de montrer « que tout le monde ne vénère pas les idoles d'or et d'argent », ainsi qu'il le confie à sa soeur.

Le héros se lance avec succès dans la chasse aux traficants d'esclaves, en particulier au Darfour. Il assume sa part du fardeau et parcourt, estime-t-on, 15.000 kilomètres à  dos de chameau à travers le pays. Ses raids en viennent à déstabiliser l'économie locale et nourrissent le ressentiment des populations à l'égard de l'occupant égyptien  et de ses agents européens (et chrétiens). Ce ressentiment est d'autant plus vif que Gordon s'entoure lui-même d'Européens pour l'administration du pays.

En juin 1879, le khédive Ismaïl est déposé et banni pour cause de déconfiture financière. Gordon, par solidarité, se démet de sa charge de gouverneur presque aussitôt. Il estime avoir accompli sa mission en pacifiant le pays. Illusion.

La révolte du Mahdi

Le Mahdi Mouhammad Ahmad (1844-1885)Le 29 juin 1881, un chef religieux musulman, Muhammad Ahmad (36 ans) dit être le Mahdi,  autrement dit le « Guide » ou le « Sauveur » qu'attendent les musulmans. Il soulève les Soudanais en mettant à profit leur ressentiment à l'égard de l'occupant égyptien.

Les troupes égyptiennes dirigées contre lui se font battre en dépit de la supériorité de leur armement. Le 19 janvier 1881, le Mahdi s'empare d'El-Obeid, au sud-ouest de Khartoum, et y établit son quartier général.

Dans le même temps, en 1882, les Anglais, qui commencent à s'intéresser à la région du Nil, placent l'Égypte sous leur protection. Du coup, ils sont conduits à prendre en charge la question soudanaise.

Le Premier ministre William Gladstone éprouve du respect pour la rébellion religieuse et patriotique du Mahdi. Sur l'insistance du khédive Taufik, il se résout néanmoins à envoyer une colonne anglo-égyptienne contre le quartier général du Mahdi, à El-Obeid, sous le commandement du colonel Hicks. Mais les soldats rebelles, qui se dénomment « fuzzy-wuzzies », lui infligent une humiliante défaite le 5 novembre 1883. Sur dix mille hommes, il ne se trouve que 250 survivants dont un seul Européen.

Contre l'avis des Égyptiens, Gladstone décide qu'il est plus que temps de lâcher le Soudan. Il demande au lieutenant-colonel Gordon, bon connaisseur du pays, d'assurer l'évacuation des Égyptiens et des Britanniques retranchés à Khartoum, un camp égyptien devenu capitale de la colonie.

Gordon, le sauveur

Gordon Pacha (Charles Gordon, 1833-1885)En Angleterre, le départ de Gordon est salué avec allégresse. Chacun connaît sa droiture et son action contre les Taiping et les traficants d'esclaves. Il est accompagné à la gare de Charing Cross par lord Granville, Secrétaire d'État, et le prestigieux général Wolseley en personne.

Arrivé au Caire, Charles Gordon, dit Gordon Pacha, exige à titre provisoire le titre de gouverneur général du Soudan pour pouvoir mener sa tâche. À Khartoum, il tente d'engager des négociations avec le Mahdi. Il lui offre un titre de sultan avec les insignes adéquats mais le Mahdi le repousse avec hauteur.

Comme il attend à Khartoum que toutes les personnes désireuses de quitter le Soudan l'aient rejoint, voilà que les populations au nord de la ville se rallient à l'ennemi. L'Anglais se retrouve assiégé. Il réclame des renforts à Gladstone, lequel tarde à les lui envoyer. Comme l'opinion  publique se mobilise en faveur de Gordon, le Premier ministre accepte que le général Wolseley prenne la tête d'une expédition de secours. Son  départ est programmé le 8 janvier 1885.

Trop tard. Le 26 janvier suivant, le Mahdi donne l'assaut à Khartoum et la ville tombe en quelques heures... Quatre jours après, le vainqueur entre dans la ville mais il dédaigne d'en faire sa capitale. Il lui préfère la ville située de l'autre côté du fleuve, Omdourman (« la ville de la perle »). 

Le Mahdi décède quelques mois plus tard mais son successeur, le « calife » Abdullah, va poursuivre son oeuvre de conquête en soumettant l'ensemble du Soudan à son autorité.

En  Angleterre, l'opinion publique, révulsée, obtient le renvoi de Gladstone. Mais il s'écoulera près de quinze ans avant que les Britanniques ne prennent leur revanche  en écrasant les armées mahdistes sur le Nil, à Omdourman, le 2 septembre 1898.

Bibliographie

La fin de Gordon a été portée au cinéma en 1966 par Basil Dearden dans le film Khartoum, avec Charlton Heston dans le rôle du héros.

Pour approfondir la connaissance des guerres coloniales, le lecteur peut se reporter à l'excellent livre d'Henri Wesseling : Le partage de l'Afrique, 1880-1914 (Denoël) auquel a été emprunté ce récit.

Publié ou mis à jour le : 2021-07-09 21:19:05

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