Le 12 mai 1881, à l'issue d'une courte campagne militaire, un traité institue le protectorat de la République française sur la Tunisie, une régence ou province autonome de l'empire ottoman.
C'est l'aboutissement de manigances politiques, diplomatiques et financières qui ont complètement échappé à l'opinion publique française, laquelle découvre du jour au lendemain que son empire colonial s'est encore agrandi.
Le protectorat tunisien est aussi lourd de conséquences. Pour le gouvernement français, il apparaît comme une première revanche sur le destin après la guerre franco-prussienne. Mais à l'Angleterre, il fournit le prétexte à une mainmise sur l'Égypte. Et pour l'ensemble des pays européens, il amorce le partage de l'Afrique.
Manigances financières
La Régence de Tunis (ou Tunisie) était au début du XIXe siècle une province ottomane théoriquement sous l'autorité du sultan qui régnait à Constantinople (Istanbul). Dans les faits, elle était très largement autonome avec à sa tête un bey (gouverneur) qui, depuis le début du XVIIIe siècle, appartenait à une même dynastie.
Ahmed bey, au pouvoir de 1837 à 1855, avait entrepris de moderniser son pays à l'image du vice-roi d'Égypte Méhémet Ali et en s'appuyant comme lui sur la France. Son successeur Mohammed es-Sadok, au pouvoir de 1859 à 1882, tenta de s'émanciper de l'influence européenne et se rapprocha du sultan. Mais après la guerre de Crimée, la France du Second Empire se rappela à lui et le convainquit d'engager des réformes institutionnelles, jusqu'à introduire en 1861 une Constitution de type parlementaire.
En 1869, la France, qui s'est installée en force dans l'Algérie voisine, renforce sa présence dans la régence, par le biais d'une commission anglo-italo-française destinée à résorber la dette extérieure de l'État. Elle est présidée par un Tunisien, le général Khérédine (Khayr al-Dîn ou Kheireddine Pacha) qui en viendra aussi à remplacer en 1873 l'inamovible Grand Vizir (Premier ministre) Mohamed Khaznadar. Il réussit à rétablir les finances et entreprend avec un certain succès une nouvelle et vaste politique de réformes.
Les Européens n'auraient-ils plus rien à faire dans ce pays ? Que nenni !... Entre-temps, au congrès de Berlin de 1878, la France a obtenu l'accord tacite des autres puissances européennes pour renforcer sa présence en Tunisie avec pour justification de protéger la colonie voisine d'Algérie.
Le 24 avril 1881, sur ordre du chef du gouvernement Jules Ferry, un corps expéditionnaire de 35 000 hommes traverse la frontière, officiellement pour poursuivre des montagnards khoumirs qui sèment le trouble en Algérie.
Le 12 mai, ils arrivent à proximité du Bardo, dans la banlieue de Tunis, où se situe le palais du bey et laissent à celui-ci deux heures pour examiner un projet de traité en dix articles qui met fin à l'indépendance de la Tunisie. Mohammed es-Sadok n'a guère d'autre choix que de se soumettre.
C'est ainsi qu'il signe en son palais de Kassar Saïd un traité par lequel il confie à la France les affaires étrangères, la défense du territoire et la réforme de l'administration. De fait, il se place sous la « protection » de la France même si la Tunisie ne devient officiellement un « protectorat » que le 8 juin 1883, à la signature du traité de La Marsa, qui confirme le précédent et donne à la France le droit d'instaurer des « réformes administratives, judiciaires et financières ».
Très vite, la France s'engage dans la mise en valeur du pays, à son profit. 500 000 hectares de terres agricoles sont distribués à des sociétés ou des colons. Un port militaire est créé aussi à Bizerte...
Fâcheuses conséquences
Après la soumission de la Tunisie, la France est naturellement portée à regarder avec concupiscence du côté du Maroc, dernier État d'Afrique du Nord qui ne soit pas encore passé sous tutelle française.
Mais le traité du Bardo soulève aussi l'irritation de l'Italie qui se serait bien vue protectrice de la Tunisie, si proche d'elle. Du coup, Rome signe le 20 mai 1882 avec Berlin et Vienne le traité de la Triple-Alliance par lequel l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie se promettent aide et assistance en cas d'agression par la France ou la Russie. Ce traité sera régulièrement renouvelé jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale.
Quant à l'Angleterre, l'éternelle rivale, elle prend prétexte de ce traité pour précipiter sa propre intervention dans les affaires égyptiennes. Dès l'année suivante, elle établit son protectorat sur cette ancienne province ottomane.
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FISCHER (12-05-2024 17:57:12)
Etes vous en mesure de documenter l'affirmation que la France"s'engage dans la mise en valeur A SON PROFIT du pays" ???