16 mai 1877

Mac-Mahon renvoie son chef du gouvernement

« Dissolution », « cohabitation », ces pratiques politiques qui nous sont devenues familières depuis une quarantaine d’années, remontent au tout début de la Troisième République. Elles caractérisent l’épisode du 16 mai 1877.

Ce jour-là, le président de la République Patrice de Mac-Mahon renvoie son chef du gouvernement à cause d'un différend sur les questions religieuses et le remplace par le très conservateur Albert de Broglie. La Chambre des députés ayant protesté, il prononce sa dissolution. Il s'ensuit une vive campagne dans tout le pays qui va renforcer le camp républicain et donner à la Chambre la préséance sur le président.

À l'issue de cette « Crise du Seize-Mai », sans qu'une virgule soit changée aux lois constitutionnelles, la IIIe République va basculer d'un régime présidentiel à un régime parlementaire dans lequel le président ne fera plus qu'« inaugurer les chrysanthèmes »... 

Jean-Pierre Bédéï

La crise du « Seize Mai »

Le maréchal Patrice de Mac-Mahon, connu pour ses convictions légitimistes et religieuses, a été porté à la présidence de la République le 24 mai 1873, par la majorité monarchiste de l'Assemblée nationale avec pas moins de 300 voix sur 392 (on qualifie depuis lors d'« élection de maréchal » une élection à la quasi-unanimité !). Il remplace Adolphe Thiers auquel l'Assemblée reproche son manque d'empressement à restaurer la monarchie.

D'emblée, le nouveau président annonce son intention de restaurer l'« ordre moral » en s'appuyant sur l'Église et les courants les plus conservateurs. Mais la restauration monarchique est empêchée par la bêtise du prétendant, le comte de Chambord. L'opinion publique, doucement, se rallie à la perspective d'une république. Après la victoire des républicains aux élections législatives de février 1876, le président Mac-Mahon se résigne donc à confier le gouvernement à des républicains, Jules Dufaure puis Jules Simon.

Jules Simon photographié par Nadar, vers 1870. En agrandissement, Jules Simon photographié par Pierre Petit.En arrivant à son bureau au ministère de l’Intérieur, ce 16 mai 1877, Jules Simon, Président du Conseil, figure modérée de la gauche républicaine, découvre une lettre que lui a adressée le président.

Il se rend immédiatement à l’Élysée en sachant qu’il n’a d’autre solution que de présenter sa démission au chef de l’État, en raison de la dureté des griefs qui lui sont reprochés dans la missive : « Monsieur le Président du Conseil. Je viens de lire dans le Journal officiel le compte-rendu de la séance d'hier. J'ai vu avec surprise que ni vous ni M. le garde des sceaux n'aviez fait valoir à la tribune toutes les graves raisons qui auraient pu prévenir l'abrogation d'une loi sur la presse votée il y a moins de deux ans, sur la proposition de M. Dufaure, et dont, tout récemment, vous demandiez vous-même l'application aux tribunaux ; et cependant, dans plusieurs délibérations du conseil et dans celle d'hier matin même, il avait été décidé que le président du conseil, ainsi que le garde des sceaux, se chargeraient de la combattre (…) Cette attitude du chef du cabinet fait demander s'il a conservé sur la Chambre l'influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues. Une explication à cet égard est indispensable, car si je ne suis pas responsable, comme vous, envers le Parlement, j'ai une responsabilité envers la France dont aujourd'hui plus que jamais je dois me préoccuper (…) ».

Portrait satirique de Jules Simon, Touchatout - Le Trombinoscope, Vol. 1, 1871. En agrandissement,  caricature de Jules Simon par Émile Cohl, Les Hommes d'aujourd'hui, n°420, 1893. Tout autant que le contenu de cette lettre, son caractère inopiné surprend la classe politique et la presse à l’image du Journal des débats politiques et littéraires qui s’interroge également sur la nature du régime et les pouvoirs du président de la République (17 mai 1877) : « Le premier sentiment que nous ayons à exprimer sur l'étrange crise ministérielle qui vient d'éclater, c'est la surprise. Nous chercherions en vain dans l'histoire parlementaire de notre pays l'exemple d'un mouvement aussi brusque, aussi imprévu, aussi peu conforme à tous les principes et à tous les usages du régime constitutionnel. En lisant la lettre de M. le maréchal de Mac-Mahon, on ne peut pas s'empêcher de se demander si nous vivons réellement sous des institutions dont le mécanisme est soumis à des règles constantes, universellement proclamées par les publicistes et universellement consacrées par les législateurs libéraux , ou si nous ne sommes pas par hasard à la merci d'un de ces gouvernements personnels pour lesquels l'inspiration individuelle du chef de l'État est une loi supérieure qui fait tout plier devant elle. »

Albert de Broglie (1821-1901) photographié par Nadar. En agrandissement, Oscar Bardi de Fourtou (1836-1897) photographié par Eugène Appert entre 1860 et 1880, Paris, BnF, Gallica.Avec la démission de Jules Simon et la formation, le 17 mai, d’un gouvernement de droite sous la houlette du duc de Broglie, « la cohabitation » entre un président de la République de sensibilité monarchiste et un gouvernement républicain, même modéré, prend fin.

La crise n’est pas terminée pour autant car l’équipe de Broglie n’obtient pas la confiance de la majorité républicaine qui considère, par la voix de Léon Gambetta, que « le ministère a été appelé aux affaires contrairement à la loi des majorités qui est le principe du régime parlementaire ».

De son côté, Fourtou, le ministre de l’Intérieur, réplique : « Nous n’avons pas votre confiance. Vous n’avez pas la nôtre. » Il exprime la pensée de Mac-Mahon et du gouvernement qui estiment que les républicains modérés subissent l’influence des plus radicaux comme Gambetta et affaiblissent le pouvoir exécutif. Avec l’accord du Sénat, Mac-Mahon dissout la Chambre, le 25 juin.

Consolider la République ou restaurer la monarchie ? Il faut choisir

La campagne électorale qui s’engage alors au cours de l’été est d’une extrême violence verbale. Mac-Mahon effectue des voyages officiels à travers la France, soutenant que « la lutte est entre l’ordre et le désordre » ; face à lui et à de Broglie, Gambetta anime une campagne intense, se vivant comme le « commis voyageur de la République ».

Le maréchal Mac Mahon, les ministres Oscar Bardi de Fourtou et Eugene Caillaux dans un wagon salon lors du voyage présidentiel de septembre 1877, Paris, BnF, Gallica.Informé que le Président avait déclaré qu’il « résisterait » si le résultat du scrutin lui était défavorable, l’ardent républicain lance cette formule devenue célèbre : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre. »

Lors des élections législatives du 14 octobre, les républicains conservent une large majorité avec 323 sièges contre 208 aux conservateurs. Le ministère de Broglie démissionne le 19 novembre. Mac-Mahon cherche à temporiser en nommant le général de Rochebouet à la tête du gouvernement, mais la Chambre lui refuse la confiance.

Impossible pour le maréchal de procéder à une nouvelle dissolution d’autant que le Sénat s’y oppose. Le 13 décembre, il rappelle aux affaires Dufaure, républicain de centre gauche.

Dans le message qu’il adresse deux jours plus tard aux Chambres, il « se soumet » : « L’exercice du droit de dissolution, mode de consultation suprême auprès du juge sans appel, ne saurait être érigé en système de gouvernement. La Constitution de 1875 a fondé la République parlementaire en établissant mon irresponsabilité, tandis qu’elle établissait la responsabilité solidaire et individuelle des ministres. L’indépendance des ministres est la condition de leur responsabilité. Ces principes, tirés de la Constitution, sont ceux de mon gouvernement. »

La crise du 16 mai. La lecture des dernières nouvelles au boulevard des Italiens, Le Monde illustré N°1050, 26 mai 1877, Paris, BnF. En agrandissement, Jules Grévy lisant à la tribune de la Chambre la lettre de démission du maréchal de Mac Mahon, le 30 janvier 1879, L'Illustration, 8 févvrier 1879.La République bascule dans un régime parlementaire. Aux élections sénatoriales du 5 janvier 1879, la nouvelle victoire des républicains constitue un ultime revers pour Mac-Mahon qui démissionne le 30 janvier 1879. Après s’être soumis en décembre 1877, il se démet à peine un an plus tard. Jules Grévy lui succède.

Pour bien comprendre cette séquence historique, il faut en dépeindre l’arrière-fond qui a pesé sur ces événements. Née de la guerre franco-prussienne de 1870, marquée ensuite par la Commune, la Troisième République tâtonne aux premières années de son existence, ballotée entre la droite royaliste divisée entre orléanistes et légitimistes, et différents courants républicains, menacée par la tentation d’une restauration monarchique qui échoue finalement en 1873, agitée par d’âpres confrontations entre catholiques ultramontains et anticléricaux.

Cette période d’incertitudes politiques s’accompagne d’un flottement des institutions jusqu’à l’adoption des lois constitutionnelles de 1875 dont chacune des forces politiques fait sa propre lecture. C’est donc bien un conflit politique mais aussi un désaccord institutionnel entre le président de la République et la Chambre des députés sur les pouvoirs octroyés à l’un et à l’autre, qui engendrent la crise du 16 mai 1877.

Les dénonciations par Jules Simon des « manifestations ultramontaines » puis son attitude lors du débat à la Chambre concernant la loi sur la presse n’ont été que des déclencheurs actionnés par Mac-Mahon le conduisant à sa propre perte. Quant à la dissolution, fortement entachée d’antirépublicanisme lors de cet épisode, plus aucun chef d’État n’osera y procéder tout au long de la Troisième République.

Publié ou mis à jour le : 2022-06-24 08:35:04

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