Le tsar Alexandre II abolit le servage dans toute la Russie le 3 mars 1861 (19 février selon le calendrier julien en vigueur en Russie).
De cette révolution sans précédent, hélas, la paysannerie arriérée de Russie ne saura pas tirer profit. Et les maladresses du «tsar libérateur» jointes à l'opposition des classes privilégiées et à la bêtise des libéraux auront tôt fait de replonger l'empire dans ses errements.
À son avènement, en 1855, désappointé par l'humiliante défaite de la Russie dans la guerre de Crimée, le « tsar libérateur » décide de rompre avec la politique réactionnaire de son précédesseur, Nicolas 1er.
L'empire russe compte à cette époque près de 50 millions de paysans, ou «moujiks», sur une population totale de 60 millions d'habitants. Tous les paysans sont des serfs. La moitié exploitent les domaines de l'État, les autres survivent sur les domaines d'environ 100 000 familles nobles.
Chaque village forme une communauté, le «mir», qui alloue les terres aux différentes familles pour le compte du propriétaire. Chaque famille a le droit de cultiver aussi un lopin individuel.
Cette forme de servage est récente. Dans les premiers siècles du Moyen Âge, la paysannerie russe était libre et même relativement plus émancipée que son homologue occidentale !
À partir du XIIIe siècle, sous l'effet de l'occupation mongole puis des troubles politiques et du poids de plus en plus oppressant de la noblesse d'État, les habitants des campagnes voient leur statut se dégrader progressivement, tandis qu'en Europe de l'Ouest, au contraire, la paysannerie sort lentement mais sûrement du servage.
Au XVIIIe siècle, à l'époque des «Lumières» et à contre-courant du reste de l'Europe, les paysans russes retombent dans un servage profond ! C'est l'effet de la politique menée par les tsars «éclairés» de la dynastie des Romanov, Pierre 1er le Grand et Catherine II.
Ces tsars ont en effet octroyé la propriété des terres aux nobles pour s'attacher leurs services et leur fidélité. Ils ont progressivement limité la liberté de circulation des paysans afin de garantir aux nouveaux propriétaires une main-d'oeuvre docile et corvéable.
Le tsar Alexandre II prend soin de convaincre la noblesse d'en finir avec le servage pour éviter un soulèvement général. Il a l'habileté de confier la réforme à un conservateur, son ministre de la Justice, Victor Panine. Ce grand propriétaire terrien accepte de conduire une mesure qui heurte ses intérêts personnels parce qu'il est convaincu de son utilité pour le bien général de la Russie et la survie du régime impérial.
Avec la loi de libération des serfs, les paysans acquièrent le droit de racheter les 2/3 des domaines par l'intermédiaire du mir, avec des paiements échelonnés sur... 49 ans ! Ils gagnent un statut de citoyen libre mais restent attachés au mir. Dans les faits, leur sort matériel ne s'améliore guère avec la réforme. Le mécontentement perdure partout malgré la bonne volonté du tsar qui complète l'émancipation des paysans en ressuscitant les «zemstva» ou assemblées locales.
Alexandre II est assassiné en 1881 par des révolutionnaires. Son échec consacre l'immense difficulté de la Russie à se moderniser (hier comme aujourd'hui).
C'est seulement en 1906, à la veille de la Grande Guerre de 1914-1917, qu'un réformateur, le ministre Stolypine, donnera enfin aux paysans les moyens d'acquérir la pleine propriété de la terre. Cette réforme décisive aura des effets bénéfiques immédiats mais elle viendra trop tard pour sauver le régime et la Russie elle-même de la catastrophe.
Le mir et le servage seront remis en vigueur par le régime communiste sous le nom de «kolkhoze». Sous cette forme «progressiste», ils se révèleront aussi néfastes que sous le règne des premiers tsars de la dynastie des Romanov dans leurs conséquences sociales et économiques.
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Ty bihan (03-03-2024 06:36:53)
Stolypine réformateur, assez peu, mais pas tendre. On parle de lui en mentionnant " les cravates de Stolypine". Il faisait pendre les opposants. Il a, lui-même, été balayé par le mouvement révolutionnaire.