Le 18 octobre 1860, les Français et les Anglais brûlent le Palais d'Eté des empereurs chinois, près de Pékin, le Yuanming yuan, après l'avoir méthodiquement pillé.
C'est ainsi que, pour ouvrir la Chine au commerce international, les Occidentaux n'ont pas hésité à détruire un des joyaux culturels de l'Empire du Milieu.
Le Yuanming yuan a été aménagé au début du XVIIIe siècle par les empereurs mandchous ou Qing dans les collines du nord-ouest de Pékin, à une quinzaine de kilomètres de la Cité interdite. Avec ses collines artificielles, lacs, canaux et jardins, il s'étend sur 350 hectares (le parc de Versailles en a 830) et accueille les empereurs à la mauvaise saison (en été, ils séjournent de préférence à Jehol, aujourd'hui Chengde, dans le Hebei, entre Pékin et la Mongolie).
Sous le règne de l'empereur Qianlong cet ensemble de bâtiments et de jardins s'est agrandi d'un « petit Versailles », avec palais rococo et jardins à la française, érigé avec le concours des missionnaires jésuites, tel le père Castiglione (Lang Shining sous son nom chinois) et le père Attiret.
Voici la description que fait ce dernier de l'ensemble palatial, le 1er septembre 1743 : « On a élevé des mamelons de 20 à 60 pieds, ce qui forme une infinité de petits vallons. Des canaux d'une eau claire, provenant des hautes montagnes qui dominent la région, arrosent le fond de ces vallons et, après s'être divisés, vont se joindre en plusieurs endroits pour former des bassins, des étangs et des "mers" (...). Les canaux n'ont aucun alignement. Les pierres rustiques qui les bordent sont posées avec tant d'art qu'on dirait que c'est l'oeuvre de la nature (...).
Arrivé dans le vallon, on aperçoit les bâtiments. Toute la façade est en colonnes et en fenêtres ; la charpente dorée, peinte et vernissée ; les murailles de briques grises, bien taillées, bien polies (...). Chaque vallon a sa maison de plaisance, petite eu égard à l'étendue de tout l'enclos, mais assez considérable pour loger le plus grand de nos seigneurs avec sa suite (...) et dans cette vaste enceinte on compte plus de deux cents de ces palais , sans parler des pavillons pour les eunuques » (René Grousset, L'épopée des croisades, Plon, 1939).
La Seconde guerre de l'opium
Se saisissant de prétextes quelconques, la Grande-Bretagne et la France de Napoléon III ont envoyé vers Pékin un corps expéditionnaire avec mission de contraindre l'empereur Xianfeng à ouvrir son pays à leurs commerçants et missionnaires. C'est ce que l'on a appelé plus tard la « Seconde guerre de l'opium », la première s'étant conclue en 1842 par le traité de Nankin.
3000 Français et autant d'Anglais débarquent en septembre 1860 dans le golfe de Petchili (ou mer de Bohai), dans lequel se jettent le Fleuve jaune (ou Houang He) et le Peï-Ho (ou Be He). Ils prennent les forts qui barrent l'embouchure du Peï-Ho, près de Tianjin, puis remontent sa vallée en direction de Pékin. Après la prise du pont de Pa-li-kao, le 21 septembre, le corps expéditionnaire ne rencontre plus d'obstacle. Il arrive le 13 octobre 1860 à Pékin, d'où s'est enfuie la cour impériale.
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Le golfe de Petchili (aujourd'hui Bohai) est au coeur de l'histoire chinoise depuis l'époque mandchoue (1644-1910).
On peut voir sur la carte les lieux par lesquels transita la mission Macartney (1793), la ville de Tientsin (Tianjin), avant-port de Pékin et siège des légations occidentales au XIXe siècle, le tristement célèbre Palais d'Été et le pont de Palikao, où se déroula la bataille décisive de la « Seconde guerre de l'opium », enfin le pont Marco Polo, qui inaugura en 1937 l'invasion de la Chine par le Japon.
Pillage en règle
Peu avant, le 6 octobre au soir, une avant-garde française est arrivée devant le « Palais d'Été » (aussi appelé en chinois Yuanming yuan, autrement dit : Jardin de la clarté parfaite ou ronde). Le lendemain, au petit jour, la troupe l'investit. L'endroit a été déserté. Tout y est calme et silencieux...
Éblouis, les soldats français découvrent dans le palais principal et les pavillons ou « folies » d'innombrables collections d'oeuvres d'art, accumulées depuis 150 ans : pierreries et perles, soieries, vases, objets d'art en argent, or ou jade, ainsi que des livres de grande valeur. Très vite, les soldats perdent la tête et entreprennent de piller les bâtiments pour leur propre compte. Le chroniqueur Mau rice Irisson décrit les troupiers « la tête enfouie dans les coffres de laque rouge de l’impératrice, d’autres à moitié ensevelis sous des amoncellements de brocarts et de pièces de soie, d’autres qui mettaient des rubis, des saphirs, des perles, des morceaux de cristal de roche dans leurs poches, dans leur chemise, dans leur képi, et qui se chargeaient la poitrine de colliers de grosses perles » (Le Figaro, 6 août 2019).
Quand arrivent à leur tour les Anglais, les officiers s'entendent pour inventorier le contenu du palais et le partager. Il est convenu que les pièces les plus précieuses seront offertes à leurs souverains ou aux musées européens. Le général Cousin-Montauban constate avec regret ne pouvoir « enlever qu'une partie minime. Deux cents voitures ne pourraient pas enlever les choses précieuses que contient le palais ».
Des Chinois, qui suivent les armées franco-anglaises, finissent le travail de saccage qu'elles ont initié. Tout suscite la convoitise des pillards. De somptueuses pièces de soie sont utilisées comme cordes pour attacher les chevaux des soldats ou emballer les objets volés.
Les contemporains appellent cet acte de vandalisme caractérisé du doux euphémisme de « déménagement du Palais d'Été ».
Cela n'est pas tout. Avant de quitter les lieux, les soldats britanniques mettent le feu aux bâtiments, majoritairement construits en bois de cèdre, sur ordre de l'ambassadeur de la Couronne à Pékin, Lord Elgin, après que celui-ci eut appris qu'une quarantaine de soldats et de civils européens, partis en avant-garde quelques semaines plus tôt, avaient été capturés, torturés et pour la moitié d'entre eux exécutés par les Chinois. Les protestations des chefs français de l'expédition, le général Cousin-Montauban et le baron Gros, n'y peuvent rien, non plus celles du capitaine britannique Charles Gordon, qui s'illustrera plus tard au Soudan. Il écrit : « Après avoir pillé le palais, nous l’incendiâmes, détruisant comme des Vandales une résidence extraordinaire que quatre millions ne suffiraient pas à reconstruire. Vous ne pouvez imaginer la beauté, la magnificence de ces palais. Cela fendait le coeur de les voir brûler ».
Les dépouilles du Palais d'Été exposées à Paris et Londres suscitent l'intérêt et la gêne des curieux. Des écrivains français s'indignent du sac du Palais d'Été. Parmi eux Pierre Loti et surtout Victor Hugo, dont une statue a été installée en 2010 sur le site du Yuanming yuan.
Le poète, en exil à Guernesey, publie une lettre Au capitaine Butler (un personnage sans doute imaginaire) :
« Il y avait dans un coin du monde une merveille du monde. Cette merveille s'appelait le Palais d'été. Tout ce que peut enfanter l'imagination d'un peuple presque extra-humain était là. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze et de la porcelaine, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, (...) faites construire par des architectes qui soient des poètes les 1001 rêves des 1001 nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d'eau et d'écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez une sorte d'éblouissante caverne de la fantaisie humaine. Il avait fallu pour le créer le long travail des générations. On disait « le Parthénon en Grèce, les pyramides en Égypte, le Colisée à Rome, le Palais d'Eté en Orient
Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'Eté. L'un a pillé, l'autre a incendié. On voit mêlé à tout cela le nom d'Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu'on avait fait au Parthénon, on l'a fait au Palais d'Eté, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n'égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l'orient. (...) Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie.
Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. (...) L'empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd'hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d'été. J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée ».
Avec le sac du Palais d'Été, l'Occident réduit à néant pour longtemps la possibilité de relations de confiance avec la Chine. Cet épisode renforce l'image du « barbare étranger au long nez » ou du « diable étranger ».
Traumatisée par les événements d'octobre 1860, la Chine signe de nouvelles conventions avec les vainqueurs, en complément du traité de Tianjin de 1858. Outre la création de concessions supplémentaires, elle doit leur octroyer la liberté de circuler sur les fleuves et supprimer les droits de douane pour les textiles britanniques. Elle renonce à ses droits sur le Tonkin et l'Annam, au profit de la France. Le pouvoir chinois doit également payer de fortes indemnités aux vainqueurs. La France obtient pour ses missionnaires le droit de prêcher librement dans tout le pays.
Comblés, les Occidentaux décident d'aider le gouvernement mandchou dans sa guerre contre les Taipings. Ils ne veulent pas qu'un nouvel empereur, à la tête de la Chine, puisse remettre en cause les « traités inégaux ». L'impératrice Cixi, de son côté, fait construire un nouveau Palais d'Été non loin des ruines de l'ancien. Il sera à son tour pillé pendant la révolte des Boxers.
La Chine entre dans une période d'instabilité chronique, marquée par la défiance du peuple à l'égard du gouvernement mandchou, accusé de collusion avec l'étranger. Humiliations diplomatiques et guerres civiles ne prendront fin qu'en 1949, avec la victoire des communistes.
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Gigi85 (26-02-2024 14:12:21)
Malheur aux vaincus. Hélas, dans tous les pays du monde les perdants d'une guerre subissent des pillages et des viols. Un historien peut il me dire si un régiment de Zouaves a participé à cette c... Lire la suite
André SAMARINE (16-10-2016 15:26:36)
La raison du plus fort n'est pas toujours la meilleure . Les princes et les nations ont toujours voulu imposer leurs points de vue , et tirer le maximum d'avantages de circonstances qui leur étaien... Lire la suite
André SAMARINE (16-10-2016 15:25:38)
La raison du plus fort n'est pas toujours la meilleure . Les princes et les nations ont toujours voulu imposer leurs points de vue , et tirer le maximum d'avantages de circonstances qui leur étaien... Lire la suite
Gugu (12-03-2015 08:13:27)
Il serait bien que nos nations "civilisées" réfléchissent un peu plus à leur passé et cessent de faire la leçon à bien des pays. Vouloir "ouvrir" des pays à l'idéologie des marchés, de la dÃ... Lire la suite
Hugues Gosset (16-10-2012 00:56:08)
Bonsoir, Il faudrait dire aussi que les souverains britanniques ont refusé le cadeau dégoûtant que rapportait (lord) Elgin. Il essaya d'en tirer de l'argent, mais n'y parvint point, et finit dans... Lire la suite