Le 3 novembre 1839, le sultan ottoman Abdul-Medjid Ier (16 ans) inaugure son règne en faisant publier une célèbre charte, le hatti chérif de Gulhané, qui proclame l'égalité devant la loi de tous les sujets de l'empire ottoman, quelle que soit leur religion.
Cette charte contredit la Loi coranique, qui fait des non musulmans des protégés (dhimmis) ou citoyens de seconde zone, astreints à de lourdes taxes.
Par son geste audacieux, le jeune sultan veut rénover le vieil empire ottoman, menacé d'éclatement par les revendications des peuples assujettis.
Son père Mahmoud II s'était déjà signalé en tentant d'imposer aux Turcs l'abandon des vêtements traditionnels au profit du style européen, comme plus tard y réussira Moustafa Kémal.
Pressions extérieures
Au début du XIXe siècle, cela fait longtemps que les Turcs ottomans n'effraient plus leurs voisins. Au sein de l'armée, le corps d'élite des janissaires a perdu ses vertus ancestrales. N'étant plus commandé par le sultan en personne mais par des vizirs incompétents, il s'est abandonné à ses débauches et à ses intrigues politiques au point que le sultan Mahmoud II choisit de l'éliminer : il fait exécuter en une après-midi, le 16 juin 1826 pas moins de 7 000 janissaires !
Dans la péninsule des Balkans, les Grecs et les Serbes profitent de l'affaiblissement militaire des Turcs pour gagner leur autonomie avec l'aide des Occidentaux. En Afrique du nord, les Français occupent en 1830 la Régence d'Alger.
En 1833, le vice-roi d'Égypte Méhémet Ali menace la Sublime Porte (surnom du gouvernement ottoman, d'après une porte monumentale du palais de Topkapi, à Constantinople (aujourd'hui Istanbul). Mahmoud II est sauvé grâce à l'intervention des Russes mais ceux-ci exigent en contrepartie la fermeture des Détroits du Bosphore et des Dardanelles, entre la mer Méditerranée et la mer Noire, à tous les navires de guerre étrangers.
Quelques années plus tard, Mahmoud II veut prendre sa revanche sur Méhémet Ali mais ses troupes sont défaites à Nizib le 24 juin 1839 et les Égyptiens menacent de marcher sur Constantinople. Le sultan meurt sur ces entrefaites et son fils Abdul-Medjid Ier lui succède.
Les Français et les Anglais interviennent à nouveau pour sauver l'empire ottoman. C'est qu'ils souhaitent le maintenir sous perfusion pour en tirer un maximum de profit ! Méhémet Ali doit donc rappeler ses troupes. Il obtient en compensation une reconnaissance de son pouvoir héréditaire sur l'Égypte et le Soudan.
Réaction nationale
Le nouveau sultan, si jeune qu'il soit, comprend qu'il n'a pas d'autre issue que la modernisation à marches forcées de son empire. Sitôt sur le trône, il introduit la tolérance religieuse en publiant le hatti chérif de Gulhané.
C'est le début d'une longue période de bouleversements connue sous le nom de Tanzimat, d'après un mot turc qui signifie organisation et désigne un Conseil établi en 1854 pour veiller à l'application des réformes.
Une nouvelle fois, la Turquie, plus tard qualifiée d'« homme malade » par le tsar Nicolas 1er, est sauvée du dépeçage par les Russes grâce à l'intervention des Français et des Anglais et la guerre de Crimée.
Le 16 juillet 1856, le rythme des réformes s'accélère avec une nouvelle charte, le hatti hamayun (en turc, Hatt-i Hümayoum), qui modernise le système financier, la société civile et l'enseignement. Cette charte ou rescrit abolit la gestion autonome des communautés religieuses et instaure une citoyenneté sans référence à la religion. Elle met fin aux tribunaux communautaires.
Mais les notables locaux se montrent réticents à l'application des réformes. Ces partisans de la tradition, surnommés les « Vieux Turcs », ont pour eux la grande majorité des musulmans. Ils bloquent les tentatives de modernisation par le haut comme en Russie à la même époque.
Qui plus est, les relations entre les communautés se tendent avec l'arrivée de trois millions de réfugiés musulmans fuyant les Balkans en proie à des insurrections nationales. Le sultan, qui manque d'énergie, se révèle incapable de prévenir le réveil des nationalismes et des fanatismes religieux. La révolte couve.
En 1860, sous un prétexte quelconque, Druzes et chrétiens maronites du Mont Liban en viennent à des heurts violents et meurtriers. L'incendie se propage à Damas où des émeutiers arabes s'en prennent aux importantes minorités chrétiennes et juives de la ville. La France intervient au secours des chrétiens..
Quand Abdul-Medjid 1er meurt le 25 juin 1861, son frère Abdul-Aziz lui succède. Malgré l'obstruction des fonctionnaires et les insurrections locales, il poursuit tant bien que mal la politique du Tanzimat. Il tente aussi d'alléger la dette publique mais ne peut empêcher la banqueroute de l'État et doit se soumettre au bon vouloir de l'ambassadeur russe, au grand scandale de ses sujets.
Il est obligé d'abdiquer le 30 mai 1876 en faveur de son neveu Mourad V, fils d'Abdul-Medjid 1er, et meurt cinq jours plus tard dans des conditions mystérieuses. La politique du Tanzimat prend fin après que Mourad V ait été lui-même déclaré « fou » (il était en fait alcoolique) et remplacé par son frère Abdul-Hamid II le 31 août 1876.
Épilogue
En moins de trois décennies, les réformes du Tanzimat ont fait long feu. Elles n'ont pas résisté au poids des traditions et de la religion. On peut rapprocher cet échec de celui du tsar Alexandre II en Russie.
Revenu au despotisme et à l'incurie d'antan, le gouvernement turc éprouve défaite sur défaite. Il perd ses dernières possessions d'Afrique (Égypte, Tunisie). Il perd également la plupart de ses dernières possessions d'Europe suite au traité de San Stefano du 3 mars 1878... ce qui va renforcer du coup le poids des populations musulmanes et accentuer la réaction religieuse dans l'empire. Il reviendra au général Moustafa Kémal de moderniser la Turquie après la Première Guerre mondiale.
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PASSANT (03-11-2021 16:25:44)
Trés interessant mais une petite précision En 1860, au moment des affrontements entre les druzes et les chrétiens de Damas, l’Émir Abd el – Kader offrit à ces derniers l’hospitalité, aprÃ... Lire la suite
BC (20-05-2018 17:57:49)
Bonjour, Vos articles sont toujours très interessants. Une remarque: la phrase du Tsar qui qualifiait l'empire ottoman était :"l'homme malade" tout court. D'après ce que j'ai compris dans d'autres ... Lire la suite