Le 20 octobre 1827, dans la rade du port grec de Navarin, la flotte turco-égyptienne est attaquée sans préavis et détruite par une escadre anglo-franco-russe sous le commandement de l'amiral de Rigny. Les grandes puissances européennes entendent de la sorte venir en aide aux Grecs en rébellion contre le sultan et victimes des exactions des troupes turques...
Au XIXe siècle, de la chute de Napoléon Ier, en 1815, à la Grande Guerre de 1914, les Occidentaux, forts de leur bonne conscience, se coalisèrent plusieurs fois pour des raisons officiellement humanitaires (l'adjectif lui-même a été inventé par le poète Alphonse de Lamartine en 1839). Ce fut la naissance du « droit d'ingérence ». La bataille de Navarin en fut la deuxième manifestation après la prise du Trocadéro en 1823, destinée à rétablir le pouvoir du roi d'Espagne Ferdinand VII...
Les Occidentaux interviennent à reculons
La Grèce s'étant soulevée en 1821 contre l'occupant turc, les armées du sultan Mahmoud II ripostent de façon impitoyable. En Europe, la guerre ne laisse pas indifférent. Eugène Delacroix peint Les massacres de Scio. Le poète anglais Lord Byron s'engage aux côtés des révoltés grecs et meurt à Missolonghi, une place forte assiégée par les Turcs.
Mais les gouvernements occidentaux répugnent à suivre la fraction libérale de la bourgeoisie dans ses appels à secourir les insurgés. Aucun ne souhaite amener la Grèce à l'indépendance. Les Français privilégient l'émancipation de l'Égypte, dirigée par le très francophile Méhémet Ali. Les Russes, quant à eux, voudraient prendre la place des Turcs dans les Balkans. Enfin, les Anglais, qui se méfient autant des premiers que des seconds, se portent garants de l'intégrité de l'empire ottoman.
Unis dix ans plus tôt au sein d'une Sainte Alliance, ces gouvernements répugnent à bouleverser l'ordre établi mais tentent une médiation pour calmer leur opinion publique.
À Londres, sans prendre la peine de consulter la Turquie, ils publient le 6 juillet 1827 un protocole qui préconise une simple « autonomie de la Grèce dans le cadre de la suzeraineté turque ». Ils ajoutent une note dans laquelle ils demandent au sultan de mettre fin aux exactions contre les Grecs.
Bévue ou provocation
Le sultan n'en faisant qu'à sa tête, les Occidentaux ne peuvent faire moins que d'envoyer une escadre dans les eaux grecques avec mission de surveiller la flotte turco-égyptienne. Il n'est pas question de l'affronter ni de créer l'irréparable.
Mais à Navarin, pour des raisons mystérieuses, l'escadre européenne passe à l'attaque et envoie par le fond la flotte du sultan. Il semble que l'amiral anglais commandant l'escadre, favorable à l'insurrection grecque, ait voulu de la sorte obliger les Occidentaux à intervenir.
L'« Homme malade de l'Europe »
Le gouvernement britannique présente ses regrets au sultan. Mais dans la foulée, un corps expéditionnaire français débarque en Morée, le Péloponnèse actuel, et en chasse l'armée égyptienne conduite par Ibrahim pacha, le fils du vice-roi d'Égypte Méhémet Ali. La Turquie est d'autre part agressée sur le Danube et en Arménie par la Russie qui veut profiter de l'aubaine.
La prise d'Andrinople, aux portes d'Istamboul, le 20 août 1829, oblige le sultan à engager des pourparlers de paix. Par le traité d'Andrinople du 14 septembre 1829, il se résout à reconnaître l'indépendance de la Grèce. Celle-ci est confirmée un peu plus tard à Londres. La Moldavie, la Valachie et la Serbie, principautés chrétiennes des Balkans sous domination turque, deviennent autonomes.
Comme un malheur n'arrive jamais seul, Méhémet Ali, bien que vaincu, réclame la Syrie pour prix de son intervention aux côtés du sultan. Sans attendre la permission de Mahmoud II, son fils Ibrahim pacha envahit la Palestine et la Syrie. Il défait les Turcs à Konya le 21 décembre1832 et menace Istamboul si bien que le sultan n'a plus d'autre issue que de faire appel... à son ennemi intime, le tsar Nicolas Ier !
Le tsar installe ses troupes sur le Bosphore et n'accepte de les en retirer qu'en échange de la fermeture du détroit à tout autre navire de guerre que les navires russes.
La rivalité entre Turcs et Égyptiens relance la concurrence entre Britanniques et Français. En 1840, le jeune Adolphe Thiers est à deux doigts de déclarer la guerre à Londres pour préserver les intérêts de l'Égypte, alliée traditionnelle de la France. Il faut toute la sagesse du roi Louis-Philippe Ier pour éviter cette nouvelle catastrophe.
L'heure de la curée sonne pour l'empire ottoman que l'on qualifiera plus tard d'« Homme malade de l'Europe ». Comme l'empire chinois, à l'autre extrémité de l'Eurasie, la Turquie est victime de sa propre faiblesse et de l'expansion européenne.
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Fabien (18-08-2006 17:51:51)
Effectivement, des débats eurent lieu en France au Parlement et le gouvernement fut critiqué pour son retard à mettre un terme à la piraterie commise par les bateaux algériens, et à s'opposer au... Lire la suite
Madjid (21-06-2006 10:23:50)
C'est une erreur monumentale que de continuer à affirmer que seul les égyptiens auraient aidé les turcs contre la rébellion des grecs en 1827. En effet, les algériens (régence d’Alger), ava... Lire la suite