Défait après plus de dix ans de guerre qui ont mis l'Europe à feu et à sang, Napoléon Ier clôt son règne par une abdication résignée, une tentative de suicide et de très émouvants adieux à sa Garde qui vont asseoir sa légende pour les siècles à venir.
La chute du « tyran »
Le 31 mars, après la difficile campagne de France, les Alliés entrent en vainqueurs à Paris. Les habitants, stupéfaits, découvrent les Cosaques campant sur le Champ-de-Mars ! Mais la haine n'est pas au rendez-vous et l'on reste entre gens du monde.
Le 3 avril, le Sénat, habilement manoeuvré par Talleyrand, prononce la déchéance de l'empereur, « coupable d'avoir violé son serment (?) et attenté aux droits des peuples en levant des hommes et des impôts contrairement aux institutions ».
De son côté, l'empereur, apprenant la reddition de Paris, se détourne sur Fontainebleau avec les 60 000 hommes qui lui restent. Là, le lendemain 4 avril, après la revue des troupes, durant laquelle on entend des cris : « À Paris, à Paris ! », il gagne son bureau, suivi de ses plus fidèles compagnons, les maréchaux Berthier, Ney, Lefebvre, Moncey et Oudinot, ainsi que du grand maréchal du palais Bertrand et de plusieurs officiers.
Il s'ensuit un débat animé au terme duquel Ney presse l'Empereur d'abdiquer en faveur de son fils, le roi de Rome : « Sire, Votre Majesté nous a toujours répété que ce n'était point le trône qu'elle avait en vue, mais le bonheur de la France. Votre Majesté peut aujourd'hui s'illustrer et devenir plus grande qu'elle ne le fut jamais (…). Cédez la couronne à votre fils, Sire, et la France est sauvée ».
Napoléon, épuisé, s'exécute. Il rédige lui-même l'acte et le lit à ses maréchaux : « Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il est prêt à descendre du trône, à quitter la France, et même la vie, pour le bien de la patrie, inséparable des droits de son fils, de ceux de la régence de l'Impératrice, et du maintien des lois de l'Empire ».
Les maréchaux, émus, serrent les mains de Napoléon. Le tsar, consulté, ne s'opposerait pas à une régence.
La deuxième abdication
Mais voilà que l'on apprend la défection des troupes du maréchal Marmont, duc de Raguse, avec 10 000 hommes sous ses ordres. L'homme se montre prêt à capituler sans en référer à l'empereur. Le tsar, voyant qu'il n'y a plus rien à craindre de Napoléon, exige dès lors une abdication sans conditions et se laisse convaincre par Talleyrand de restaurer la dynastie des Bourbons, en la personne de Louis XVIII, frère cadet de feu Louis XVI.
Sous la Restauration, cette défection prématurée vaudra tous les honneurs à Marmont. Elle enrichira aussi la langue française d'un nouveau verbe, « raguser », synonyme de trahir, et du substantif « ragusade ».
Accablé par la trahison de Marmont (« Je l'avais traité comme mon enfant... Le malheureux ne sait pas ce qui l'attend : son nom sera flétri », confie-t-il à Oudinot), acculé par ses propres maréchaux, l'empereur se résigne et signe un nouvel acte d'abdication le 6 avril « pour lui et ses héritiers aux trônes de France et d'Italie ».
Par le traité de Fontainebleau du 11 avril, négocié par Caulaincourt avec les représentants de la Russie, l'Angleterre, l'Autriche et la Prusse, il se voit promettre en contrepartie la souveraineté sur l'île d'Elbe, une principauté italienne à la latitude de la Corse, ainsi qu'une pension de deux millions de francs par an versée par la France. Il conserve le titre d'Empereur ! Ses frères et ses soeurs se partagent une pension du même montant. L'impératrice Marie-Louise et son fils se voient promettre les duchés de Parme et de Plaisance.
Cependant que les souverains alliés font, le 10 avril 1814, une entrée triomphale dans la capitale, le Sénat ne perd pas de temps. Il appelle au trône le frère du roi guillotiné, le comte de Provence devenu Louis XVIII (59 ans). C'est le « retour des lys » ! Le comte d'Artois, frère de Louis XVIII, arrivé en éclaireur à Paris, assiste à un Te Deum à Notre-Dame.
Louis XVIII, qui se fait appeler le Désiré (!), quitte sans attendre sa retraite anglaise de Hartwell et débarque à Calais. En route vers Paris, il publie le 2 mai à Saint-Ouen une déclaration dans laquelle il promet un gouvernement représentatif et le respect des acquis de la Révolution. Soulagement chez les Français de tous bords, désireux de retrouver enfin la paix.
On se quitte
À Fontainebleau, l'ex-empereur, confiné dans le château, attend en vain l'arrivée de sa femme Marie-Louise et de leur fils, mais ceux-ci ont déjà pris le chemin de l'Autriche. Ses proches et ses compagnons de combat l'ont déjà quitté pour saluer le comte d'Artois à Notre-Dame de Paris. Même le fidèle Berthier, qui s'occupe de transférer l'armée sous les ordres du gouvernement provisoire !
Napoléon, accablé, répète à Caulaincourt : « La vie m'est insupportable ! ». De fait, dans la nuit du 12 au 13 avril, il prend un petit sachet d'opium, le délaie dans un verre d'eau et l'absorbe avant de se coucher. Mais l'opium s'est éventé et la tentative de suicide lui vaut seulement de douloureux vomissements. Au lever du jour, il se ressaisit.
Résigné, il fait le 20 avril ses adieux à la Garde impériale dans la cour du Cheval Blanc, devant l'escalier monumental du château : « Soldats, depuis vingt ans, je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l'honneur et de la gloire. Vous vous êtes toujours conduits avec bravoure et fidélité ; encore dans ces derniers temps, vous m'en avez donné des preuves (...). Adieu, mes enfants. »
Il baise avec émotion le drapeau que lui présentent les vieux grenadiers, la larme à l'oeil. Une image de plus pour la légende. Puis il passe entre les soldats, sans regarder personne, et monte en voiture avec le général Bertrand. Commence le voyage - discret - vers l'île d'Elbe.
Le voyage dure huit jours. Jusque dans le Bourbonnais, l'Empereur est acclamé sur son passage. Après Moulins commence les cris : « Vive le Roi ! ». À Avignon, il va à la rencontre d'Augereau et l'embrasse sans savoir que son Maréchal l'a trahi et insulté dans une proclamation où il flétrissait « l'ambition d'un homme qui, après avoir immolé des millions de victimes, n'a pas su mourir en soldat ». En Provence, Napoléon se fait si proprement insulter que l'on craint pour sa vie. Par précaution, il se laisse convaincre d'échanger son habit avec celui du commissaire autrichien qui l'accompagne.
Le 28 avril, enfin, il arrive à Saint-Raphaël et embarque sur une corvette anglaise en direction de Porto-Ferrajo, capitale de son nouveau royaume de l'île d'Elbe, où il accoste le 4 mai 1814.
Les « Cent-Jours », Waterloo et l'exil à Sainte-Hélène vont parfaire la légende napoléonienne.
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Louis (27-12-2009 10:54:25)
Enfin! Le "petit Corse" est (presque) vaincu! Quel soulagement! En vous relisant, je ressens encore aujourd'hui, ce que devaient ressentir un grand nombre d'Européens. Je pense en particulier à la... Lire la suite