Le 2 décembre 1805, un an jour pour jour après son sacre, l'empereur Napoléon Ier remporte à Austerlitz sa victoire la plus éclatante.
En quelques heures, sous un soleil hors saison, il vainc deux autres empereurs, Alexandre Ier, tsar de Russie, et François II de Habsbourg-Lorraine, empereur d'Autriche et titulaire du Saint Empire romain germanique (ou empereur d'Allemagne). Austerlitz est appelée pour cela « bataille des Trois empereurs ».
Napoléon Ier est en partie redevable de son triomphe à la chance et à un brouillard matinal qui a caché ses mouvements à l'ennemi.
Prémices de la bataille
Au milieu de l'année 1805, ayant réuni à Boulogne son armée dite « des Côtes-de-l'Océan » - au total 200 000 hommes -, Napoléon s'aperçoit qu'il ne peut pas compter sur l'appui de sa flotte pour envahir l'Angleterre. C'est le moment où une troisième coalition se forme contre la France. « Ne pouvant frapper la tête de la coalition, l'Angleterre, Napoléon en frappera le bras, l'Autriche » (Jean Tulard, Les révolutions).
Le 3 septembre, renonçant à traverser la Manche, l'empereur entraîne à grandes enjambées la « Grande Armée » à la rencontre des armées austro-russes. Au total sept corps d'armée ainsi que la Garde impériale et la cavalerie de Murat.
Napoléon Ier vainc les Autrichiens du général Mack à Ulm, en Bavière, le 20 octobre (au même moment, la flotte franco-espagnole est anéantie à Trafalgar, ruinant tout espoir de soumettre l'Angleterre). Poursuivant les restes de l'armée autrichienne, l'empereur entre triomphalement à Vienne le 14 novembre (c'est la première fois de son Histoire que la capitale des Habsbourg doit s'incliner devant un conquérant).
Pendant ce temps, le général russe Koutouzov, qui avait tenté de rejoindre le général Mack à Ulm, se replie au-delà du Danube. Son arrière-garde est accrochée par Murat à Hollabrunn, le 16 novembre, mais se retire en bon ordre après un affrontement meurtrier.
Le piège
L'armée française, toujours à la poursuite de l'armée austro-russe, dépasse Vienne et entre le 19 novembre à Brünn (aujourd'hui, Brno, chef-lieu de la Moravie, en république tchèque).
Ses premières lignes atteignent et dépassent le village d'Austerlitz, 9 kilomètres plus loin.
Face à elle, près de 86 000 Austro-Russes (les historiens divergent sur le chiffre), sous le commandement du vieux général russe Koutouzov et du prince autrichien Jean de Liechtenstein.
En infériorité numérique avec 75 000 hommes, les Français, malgré leur avance foudroyante, sont dans une situation inconfortable, d'autant qu'une armée autrichienne menace d'arriver d'Italie sous le commandement de l'archiduc Charles.
Napoléon Ier veut contraindre l'ennemi à la faute pour le vaincre dès que possible. Dès le 21 novembre, il reconnaît les environs d'Austerlitz et déclare à ses aides de camp et officiers d'ordonnance stupéfaits : « Jeunes gens, étudiez bien ce terrain, nous nous y battrons ».
Le 28 novembre, à la surprise de ses maréchaux, l'empereur demande à Murat, Lannes et Soult d'abandonner le plateau du Pratzen, de haute valeur tactique. Cette manoeuvre de repli, venant après une marche résolument agressive, apparaît aux yeux des coalisés comme un aveu de faiblesse.
Le 29 novembre, Napoléon, de mauvaise humeur, reçoit le prince Dolgorouky et lui propose un armistice. Mais les Russes se montrent trop exigeants et le dialogue est rompu. La bataille aura donc lieu à l'endroit souhaité par l'empereur, avant que les Austro-Russes aient le temps d'y concentrer toutes leurs forces.
Le lendemain, l'empereur poursuit sa visite des environs d'Austerlitz. Sur le plateau du Pratzen, il lance : « Si je voulais empêcher l'ennemi de passer, c'est ici que je me mettrais ; mais je n'aurais qu'une bataille ordinaire. Si, au contraire, je refuse ma droite en la retirant vers Brünn et que les Russes abandonnent ces hauteurs, fussent-ils 300 000 hommes, ils sont pris en flagrant délit et perdus sans ressources ». Ainsi vont se passer les choses...
Le grand jeu
Le 1er décembre, l'empereur peut compter sur ses 75 000 hommes et 157 canons. Son armée inclut la Garde Impériale de Bessières, la division d'élite de Oudinot, la réserve de cavalerie de Murat, les corps de Bernadotte, Soult et Lannes. Le corps de Davout arrive de Vienne à marche forcée. L'essentiel est positionné entre le Pratzen et Brünn (Brno).
Au sud du dispositif, l'aile droite fait figure de parent pauvre... et de proie facile : elle ne comporte que la brigade Legrand du IVe corps puis deux autres brigades, celles de Saint Hilaire et Vandamme, face au Pratzen. Davout lui-même donne l'impression de se retirer.
Plus loin derrière, Oudinot et la Garde impériale. Plus au nord, les maréchaux Lannes et Murat barrent la route de Brünn. Derrière eux se tiennent les troupes du maréchal Bernadotte.
Le plan de Napoléon est d’inciter les coalisés à enfoncer son aile droite dégarnie afin de couper la Grande Armée de la route vers Vienne et de l’isoler de ses lignes de ravitaillement. En attaquant l’aile droite française, les coalisés seront contraints de s’engager le long des marécages qui bordent la limite méridionale du champ de bataille, laissant leur flanc droit vulnérable à une attaque du centre français.
Pour ce faire, il dispose ainsi ses troupes :
- Au centre : Soult et ses 20 000 hommes
- A gauche : Lannes et ses 15 000 hommes et Murat et ses 8 000 cavaliers
- A droite : le troisième régiment d’infanterie de ligne occupe le village de Telnitz ; à 800 mètres au nord, le 26e régiment d’infanterie légère défend le château de Sokolnitz
- En réserve : Bernadotte et ses 12 000 hommes et la Garde impériale (5 000 hommes).
Les coalisés, qui tiennent maintenant le Pratzen, aspirent à reprendre l'avantage sur cette armée que le tsar Alexandre Ier perçoit hésitante. Seul contre tous les autres généraux, Koutouzov a deviné la ruse de Napoléon mais ses avertissements ne sont pas entendus.
Le chef d'état-major autrichien Weyrother propose un plan de bataille pour la journée du 2 décembre. Quatre colonnes, sous le commandement de Buxdowen, descendront du Pratzen et attaqueront la partie la plus faible du dispositif français, soit l'aile droite, au sud. Elles empêcheront ainsi les Français de se replier vers Vienne.
Plus au nord, le maréchal Bagration, qui commande l'avant-garde russe, et la cavalerie du prince Liechtenstein enfonceront les positions françaises et pousseront droit devant, vers Brünn. La garde impériale du duc Constantine - le frère du tsar - restera en réserve.
Les forces coalisées sont ainsi disposées :
- A droite : Bagration et ses 15 000 hommes
- Au centre : Kolowrat et ses 17 000 hommes
- A gauche : L’avant-garde et les 4 colonnes (40 000 hommes)
- En réserve : La cavalerie de Liechtenstein (4 600 hommes) et la Garde impériale russe (8 500 hommes).
Les coalisés vont tomber dans le piège de Napoléon en concentrant leur attaque sur l’aile droite française. Tandis qu’au nord, le prince géorgien Pierre de Bagration avec 15 000 hommes mènera une attaque de diversion, une avant-garde suivie par 4 colonnes (40 000 hommes en tout) quittera le plateau du Pratzen en direction du sud afin de prendre les villages de Telnitz et Sokolnitz et couper les Français de tout ravitaillement et repli par le sud.
Dès le soir du 1er décembre, du tertre d'où il observe le futur champ de bataille, Napoléon perçoit les premières manoeuvres de Buxdowen en vue de tourner sa droite. Il se frotte les mains : « Avant demain soir, cette armée est à moi... » La nuit se passe à attendre dans un bivouac qu'illuminent les flambeaux de paille des soldats, soucieux d'éclairer l'empereur au gré de sa tournée d'inspection.
Comme prévu, dès 4 heures du matin, alors qu’il fait encore nuit, l’avant-garde coalisée et les 4 colonnes quittent les pentes méridionales du plateau de Pratzen et marchent vers les villages de Telnitz et Sokolnitz, contrôlés par l’aile droite française. Mais le manque d’organisation et de coordination de l’armée coalisée lui fait perdre énormément de temps. Le général Liechtenstein et ses cavaliers qui devaient rester en réserve à Krzenowitz, à l’est, confond ce village avec celui de Pratzen, au sommet du plateau. Contraint de rebrousser chemin, il créé des embouteillages au sud de Pratzen. De plus, au lieu d’attaquer en même temps les deux villages, les coalisés vont le faire l’un après l’autre, permettant aux Français de contenir l’assaut.
Le dispositif français résiste, flotte puis rompt. Heureusement, le ruisseau du Goldbach freine la progression des fantassins ennemis et empêche le passage des canons.
A 7 heures, l’avant-garde coalisée tente de prendre Telnitz. Malgré la supériorité numérique, elle ne parvient à rejeter les Français hors du village qu’avec difficulté. Mais l’aile droite française n’est pas percée pour autant. La division Legrand bénéficie du secours des 8 000 hommes de Davout, lesquels viennent de parcourir 110 kilomètres en deux jours. Les Français contre-attaquent donc et reprennent le village. Ils en seront cependant à nouveau chassés une heure plus tard.
A 8 h30, les coalisés tentent de prendre Sokolnitz. La résistance est âpre et le village change de main à plusieurs reprises. Finalement à 9 heures, les coalisés sont maîtres de Sokolnitz et Telnitz.
A 9 heures, au moment où l’essentiel des troupes coalisées sont ferrés au sud, Napoléon donne l’ordre au centre d’attaquer le plateau.
Le corps d’armée de Soult, ayant franchi le Goldbach trois heures plus tôt, attendait le signal au pied du plateau, dissimulé par le brouillard. Il va décider du sort de la journée.
Les Français prennent à revers l’armée de Kolowrat et les retardataires de l’aile de gauche, et chargent à la baïonnette. La surprise des coalisés est totale. Dès les premiers combats, ceux-ci préfèrent abandonner le plateau et fuir en désordre vers l’est. En à peine une demi-heure, les Français s’installent solidement sur les hauteurs du Pratzen, protégés par la forte pente. Soult y dispose l'artillerie.
De leur côté, sept régiments de Vandamme (sa brigade et deux régiments détachés de la brigade Saint-Hilaire) progressent plus au nord. Ils culbutent le reste de la colonne de Miloradovich qui descend du plateau et se rendent maître de leur objectif, les hauteurs de Staré Vinohrady, dès 11 heures.
Les fusiliers de la Garde impériale russe tentent une violente contre-attaque contre le Pratzen. Le 4e de ligne rompt sa formation, déroute puis se rallie. Il se met en carré pour affronter les cuirassiers russes. La rencontre paraît tourner à l'avantage de ceux-ci. Mais c'est sans compter avec Napoléon Ier. Accompagné de son état-major et de sa propre Garde, il fait mouvement dans la zone de combat. Les cavaleries des deux empereurs s'affrontent en un duel qui va durer un quart d'heure. Les Français l'emportent. La Garde russe se désorganise. La lutte pour le Pratzen est terminée.
Pendant ce temps, l'aile droite russe, qui se bat depuis 10 heures, est empêchée d'intervenir par Lannes et Murat. Commandée par Bagration et Liechtenstein, elle livre une bataille dans la bataille.
Le lieu, relativement plat, est propice à l'affrontement des cavaliers. La cavalerie légère de Kellerman se heurte à plusieurs reprises à celle de Liechtenstein, puis arrivent les cuirassiers de la division lourde de Nansouty qui donnent l'avantage aux Français.
Bagration, enfin, prend la décision de se retirer en bon ordre sous la pression conjuguée de l'infanterie et de la cavalerie lourde d'Hautpoul. Il en reste un regret pour Napoléon Ier : Bernadotte n'a pas su ou pas voulu exploiter la situation. S'il s'était avancé sur la route d'Austerlitz à Ozeitsch, il aurait empêché la retraite de l'aile droite russe.
Retour au centre pour en finir. Napoléon ordonne à sa Garde et aux deux divisions de Soult installées sur le Pratzen un mouvement en pivot afin de tomber sur l'aile gauche ennemie. Cette dernière se retrouve de la sorte dans une situation impossible, face à Davout et Legrand, et poussée par les divisions qui redescendent du Pratzen.
La cavalerie russe couvre la fuite d'une partie des quatre colonnes. Des soldats de celles-ci entreprennent de traverser le lac gelé de Satschan dont la glace va se rompre, bombardée par l'artillerie de la Garde. Certains se noient tristement. Toutefois, le nombre de ces victimes ne s'élève pas à dix mille comme annoncé dans le 30e Bulletin de la Grande Armée mais à une poignée, l’étang ayant une très faible profondeur. Lorsque les Français draineront l’étang quelques jours plus tard pour récupérer les canons, ils ne retrouveront que trois cadavres.
Koutouzov se retire vers le nord, tandis que Murat, une fois de plus, poursuit ses arrière-gardes. Il ne reste plus à la Garde impériale commandée par Bessières qu'à compléter la victoire, tandis que se lève un splendide soleil, en milieu de journée.
Le soir de la victoire, avec son sens inné de la formule, l'Empereur adresse à ses soldats une fameuse proclamation : « Soldats, je suis content de vous. Je vous ramènerai en France. Là, vous serez l'objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous reverra avec joie et il vous suffira de dire : j'étais à la bataille d'Austerlitz pour que l'on vous réponde : voilà un brave !
De notre Camp Impérial d’Austerlitz le 12 frimaire an 14, Napoléon ».
Les pertes des alliés austro-russes sont très lourdes, au total 29 000 soldats hors de combat, dont 7 000 tués. Côté armement, 183 pièces d'artillerie ont été abandonnées, dont 149 par les Russes.
Chez les Français, les pertes sont des plus limitées. 8 279 soldats hors de combat dont 1.288 morts. Quant au Corps de Bernadotte, on peut juger de son faible investissement dans la bataille : 20 tués, davantage cependant que chez les fantassins de la réserve (Garde impériale et grenadiers d'Oudinot) qui n'ont pas été véritablement engagés.
Alexandre Ier et François II se rencontrent le 3 décembre pour évaluer la situation: l'armée coalisée ne compte plus que 44 000 hommes avec un moral comme ce temps d'hiver. A deux jours de route, les 15 000 hommes disponibles ne suffiraient pas à reconstituer une armée. L'artillerie est décimée, la défaite totale.
Le 6 décembre, au château d'Austerlitz, Berthier et von Liechtenstein signent le cessez-le feu. La diplomatie reprend ses droits. Le 26 décembre, l'Autriche conclut la paix à Presbourg (aujourd'hui Bratislava, en Slovaquie). C'est la fin de la troisième coalition. Vienne se défait de la Vénétie et d'une partie du Tyrol.
Par un article secret, l'empereur François II renonce définitivement au titre symbolique d'empereur romain germanique. Six mois plus tard, le 12 juillet 1806, il deviendra officiellement empereur d'Autriche sous le nom de François Ier. C'en sera fini du Saint Empire romain germanique.
La Prusse qui, à la veille de la bataille d'Austerlitz, s'apprêtait à se joindre à la coalition, s'en tire bien. Elle signe un traité d'échange de territoires avec la France le 15 décembre. Les conquêtes continentales de la France prennent une dimension insoupçonnée, débordant largement le cadre des frontières naturelles.
50 drapeaux enlevés à l'ennemi vont orner la voûte de l'église Saint-Louis des Invalides. Le bronze des 180 canons ennemis est employé pour fondre la colonne Vendôme, à Paris (il s'agit d'une copie de l'antique colonne Trajane qui célèbre à Rome la victoire de l'empereur romain sur les Daces).
Les écoles d'officiers de Coëtquidan (Morbihan) reconstituent chaque année cette victoire retentissante qui vit pour la première fois tomber au combat des jeunes officiers de la toute nouvelle école spéciale impériale militaire même si l’appellation de « Saint-Cyriens » pour ces premiers morts n’est historiquement pas juste car l’école était encore à Fontainebleau à cette date et ne déménagea à Saint-Cyr, près de Versailles, qu’en 1808.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible