Le 18 mai 1804, l'Empire est proclamé par le sénatus-consulte du 28 floréal An XII et Napoléon Bonaparte devient l'empereur des Français. Cette restauration monarchique s'accompagne du rétablissement de certains attributs et fonctions de l'Ancien Régime.
Le même jour, le Sénat proclame ainsi l'instauration de la dignité de « Maréchal d'Empire », supprimée onze ans plus tôt le 21 février 1793 par la Convention. C'est l'acte de naissance de ce corps prestigieux dont les membres seront engagés aux quatre coins de l'Europe dans tous les faits d'armes de l'Empire. La légende napoléonienne lui doit beaucoup.
Prestige et honneurs
Dès le lendemain 19 mai, une première promotion de dix-huit maréchaux est proclamée. La liste comprend des fidèles de l'empereur, mais on y trouve également certains généraux sans véritable et sincère adhésion au nouveau régime. L'objectif est de les lier définitivement au pouvoir bonapartiste.
Cette première promotion est donc composée de quatorze généraux : Berthier, Murat, Moncey, Jourdan, Masséna, Augereau, Bernadotte, Soult, Brune, Lannes, Mortier, Ney, Davout, Bessières. À ces généraux, s'ajoutent, en raison de leurs services rendus, quatre maréchaux honoraires dits « sénateurs ayant le titre de maréchaux de l'Empire » : Kellermann, Lefebvre, Pérignon, Sérurier.
Ces maréchaux occupent une place essentielle au sein du nouveau système impérial. Ils figurent en haut de la hiérarchie des officiers de l'Empire et ont l'honneur d'être appelés « Mon cousin » par l'Empereur. Contrairement à certaines idées reçues, et bien que cette récompense soit la plus haute distinction pour un militaire, le maréchalat est une dignité civile donnant la présidence d'un collège électoral et un rang à la cour. À ces attributions civiles, s'ajoute le prestige de s'inscrire dans la lignée d'un ordre séculaire et glorieux de maréchaux de France.
Au total, ce sont vingt-deux maréchaux qui seront nommés durant l'Empire. Les huit suivants sont : Victor (19 juillet 1807), Mac Donald, Marmont, Oudinot (12 juillet 1809), Suchet (8 juillet 1811), Gouvion Saint-Cyr (27 août 1812), Poniatowsky (16 octobre 1813) et Grouchy (15 avril 1815). Toutefois, le nombre des maréchaux en vie et en activité ne dépasse jamais le nombre de seize.
Mac Donald est le seul à être promu directement Maréchal sur le champ de bataille, à Wagram le 6 juillet 1809. Le Maréchal racontera cet événement dans ses mémoires : « Il (Napoléon) vint à moi et m'embrassa cordialement en me disant :
- Soyons amis désormais.
- Oui, répondis-je, à la vie, à la mort. Il ajouta :
- Vous vous êtes vaillamment conduit et m'avez rendu les plus grands services, comme dans toute cette campagne ; c'est sur le champ de bataille de votre gloire, où je vous dois une grande partie de cette journée d'hier, que je vous fais maréchal de France ; il y a longtemps que vous le méritiez.
- Sire, lui répondis-je, puisque vous êtes satisfait de nous, que les récompenses soient partagées et répandues dans mon corps d'armée, à commencer par les généraux Lamarque, Broussier, etc., qui m'ont si bien secondé.
-Tout ce que vous voudrez, me dit-il, je n'ai rien à vous refuser. Là-dessus, il partit fort ému ; je l'étais aussi. »
Gloire et trahisons
Les maréchaux participèrent à la gloire et aux tragédies de cette période et jouèrent un rôle fondamental dans les succès mais aussi les défaites des armées de l'Empereur. Par leurs faits d'armes, ils ont contribué à la légende napoléonienne : Murat à la tête de furieuses charges de cavalerie ; Ney surnommé le Brave des Braves pour son courage hors du commun ; Davout et sa victoire décisive d'Auerstedt ; Lannes et son panache héroïque, tué à la bataille d'Essling en grande tenue avec l'ensemble de ses décorations, déclarant peu de temps avant sa mort : « Il faut que les officiers paraissent sur le champ de bataille, aux yeux du soldat comme s'ils étaient à la noce ».
D'autres, au contraire, ternirent leur bâton de Maréchal par une incompétence tragique comme Grouchy, coupable de passivité quand le reste de l'armée française se meurt à Waterloo à quelques kilomètres de ses positions. Marmont, quant à lui, se déshonore en 1814 par de traitreuses négociations avec l'ennemi et une capitulation infamante.
Le corps des maréchaux d'Empire eut donc face à l'Empereur une fidélité mitigée. Napoléon n'est pourtant pas avare d'honneurs et de récompenses envers eux. Ils sont anoblis (sauf Brune, Jourdan et Poniatowsky) et acquièrent des titres de comte, duc ou prince au sein de la nouvelle noblesse impériale. Ils sont faits « grand cordon », le plus haut grade de la légion d'honneur. Il leur est accordé le droit de pouvoir porter un uniforme majestueux et leur bâton de commandement à la guerre comme à la cour. Ils reçoivent des dotations financières extrêmement généreuses. Certains obtiendront même une couronne royale comme Murat, qui deviendra roi de Naples et Bernadotte roi de Suède, dont les descendants règnent toujours actuellement sur ce royaume !
Tous ces honneurs et ces richesses accumulés eurent un effet pervers. Lassés par les guerres incessantes et désireux de profiter de leur récente fortune, progressivement, les maréchaux perdirent leur combativité et s'opposèrent toujours plus ouvertement à l'Empereur et à sa politique, jugée trop belliqueuse. Beaucoup d'entre eux, lassés par plus de vingt années de guerres continues, souhaitèrent pouvoir se retirer sur leurs terres pour profiter de leurs richesses et goûter à la tranquillité, après des années sanglantes et furieuses au service de la République puis de l'Empire.
Lors de la première abdication d'avril 1814, les maréchaux jouèrent un rôle décisif en convainquant Napoléon d'abdiquer face à la déferlante des armées alliées submergeant la France. L'Empereur, malgré la perte de Paris, souhaitait continuer la lutte. Il n'y renonça que devant la détermination de ses maréchaux à cesser le combat...
Cet épisode de Fontainebleau réunit les maréchaux Lefebvre, Moncey, Ney, Mac Donald et Oudinot autour de l'Empereur. Mac Donald déclare « Nous ne pouvons exposer Paris au sort de Moscou. Notre parti est pris. » Napoléon s'écrie alors : « L'armée obéira », Ney réplique : « l'armée obéit à ses chefs ». Napoléon comprend que tout est perdu et se résigne à abdiquer.
Le 1er mars 1815, Napoléon revient de l'Ile d'Elbe et remonte vers Paris afin de reprendre son trône. Le Maréchal Ney, rallié au nouveau régime comme beaucoup des maréchaux d'Empire, est chargé de l'arrêter. Avant de quitter Paris, il déclare avec mépris à Louis XVIII : « Je vous le ramènerai dans une cage de fer ». Cette déclaration ne l'empêche pourtant pas de se jeter, quelques jours plus tard, dans les bras de son ancien chef et de renier ainsi son serment au roi. Après l'ultime défaite de Waterloo, cette trahison lui vaudra d'être condamné à mort par un conseil de guerre et fusillé.
En 1816, la plupart des maréchaux nommés par l'Empereur sont encore vivants. Certains sont morts au champ d'honneur : Bessières, Lannes et Poniatowski. D'autres encore, Murat et Ney, ont été fusillés à la Restauration. Brune a été lynché lors de la terreur blanche et Berthier est mort dans des circonstances troubles. Quelques-uns sont même honorés par la monarchie qui cherche à affirmer son autorité sur une armée encore très attachée au régime impérial et verrait d'un mauvais oeil ses chefs déshonorés.
Après des années à parcourir l'Europe le sabre à la main, les maréchaux d'Empire peuvent enfin goûter au repos du guerrier. Sous la Restauration monarchique, ils troquent simplement leur titre contre celui de Maréchal de France, politiquement neutre.
La monarchie ne tarda pas à relever la tradition napoléonienne. C'est ainsi que Louis XVIII et Charles X nommèrent une dizaine de maréchaux dont aucun, à vrai dire, n'a marqué l'Histoire. Louis-Philippe Ier eut la main plus heureuse avec une dizaine de nominations dont le général Bugeaud, conquérant de l'Algérie. Louis-Napoléon Bonaparte, premier président de la République, nomma à son tour une demi-douzaine de maréchaux. Devenu Napoléon III, il enchaîna avec une douzaine de nominations (Pélissier, Canrobert, Bazaine, Mac-Mahon, Niel...).
Le choix de Pélissier, connu pour sa brutalité, laisse dubitatif. Quant à Bazaine, il se montra indigne de l'honneur qui lui avait été fait en livrant son armée, à Metz en 1870.
La IIIe République, par souci de rupture avec les autocraties antérieures, s'abstint de toute nouvelle nomination jusqu'à la Grande Guerre. Elle éleva alors huit généraux à la dignité de Maréchal de France : Joseph Joffre, Ferdinand Foch, Philippe Pétain, Joseph Gallieni (à titre posthume), Hubert Lyautey, Louis Franchet d'Esperey, Marie-Émile Fayolle et Michel-Joseph Maunoury (à titre posthume).
En dépit de ses mérites, Édouard de Castelnau fut sciemment oublié du fait de ses convictions catholiques et de sa sensibilité monarchiste. Quant à Joffre lui-même, premier acteur de la Grande Guerre à recevoir le bâton de maréchal, il dut cet honneur au désir qu'avait le gouvernement de l'écarter du commandement sans l'humilier. En dépit de ses erreurs stratégiques et de son mépris pour la vie des soldats, il conserva en effet jusqu'au bout la faveur de l'opinion.
Le cas de Philippe Pétain est plus connu : immensément populaire en raison de son comportement à Verdun (« On les aura ! », ordre du jour du 10 avril 1916), il est appelé à la tête de la France le 17 juin 1940, à la suite de l'invasion allemande. Il va alors se rendre complice des crimes de la Collaboration, ce qui lui vaudra à la Libération d'être frappé d'indignité nationale. Il repose sur l'île d'Yeu où il est mort au terme de son incarcération, en ayant perdu ses biens, ses grades et sa qualité d'académicien mais pas sa dignité de Maréchal, laquelle ne peut formellement être retirée.
Au demeurant, à l'exception de quelques belle figures (Foch, Gallieni, Lyautey), les Maréchaux de la Grande Guerre n'ont rien pour exciter aujourd'hui les imaginations et motiver les jeunes officiers. Castelanau ne manquait d'ailleurs pas de rappeler que la victoire devait tout à l'abnégation des soldats ; il déniait tout génie militaires à leurs chefs (y compris lui-même). À ce propos, on rapporte l'histoire d'un instituteur qui, après l'Armitice, interroge ses écoliers : « Grâce à qui avons-nous gagné la guerre ? » - Grâce à Joffre, dit l'un ; non, grâce à Foch, dit un autre. Et un écolier de souffler : « Grâce à mon papa ! » L'instituteur se tourne vers lui : « C'est toi qui as raison. Ce sont tous les papas de France qui ont gagné la guerre... »
Quatre combattants de la Seconde Guerre mondiale ont aussi reçu un bâton de Maréchal, dont trois à titre posthume : Philippe Leclerc de Hauteclocque, Jean de Lattre de Tassigny et Pierre Koenig, et un seul de son vivant : Alphonse Juin.
Mac-Mahon, Lyautey, Foch, Maunoury, Fayolle, Franchet d'Esperey et Leclerc reposent aujourd'hui dans la nécropole militaire de Saint-Louis des Invalides (Paris), auprès de Napoléon Ier et de quelques autres grands soldats.
Vos réactions à cet article
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Gildas (11-11-2018 15:57:19)
Mais ce sont les marchands de canons qui ont gagné cette abject boucherie
thomich (09-11-2018 09:15:18)
Maréchal de France. A tous ceux qui imaginent que cette haute distinction est un gage de patriotisme et de sagesse, je conseille la lecture de "Tradition de la trahison chez les maréchaux" de Jean G... Lire la suite