Le 18 octobre 1797, le général Napoléon Bonaparte (28 ans) impose aux Autrichiens le traité de Campoformio (ou Campo-Formio). C'est le début d'une éclatante épopée qui affaiblira durablement la France et changera à jamais l'Europe.
Dix-huit mois plus tôt, pour faire face à une première coalition contre la France, le gouvernement du Directoire a confié à Bonaparte, jeune général sans affectation, le commandement d'une armée destinée à attaquer l'Autriche par l'Italie. Elle doit soutenir l'effort des armées de Sambre-et-Meuse et du Rhin, mal engagées au nord des Alpes, sous les ordres de Jourdan et Moreau.
La nomination de Bonaparte a été obtenue en bonne partie grâce à la relation intime entre le Directeur Barras et Joséphine de Beauharnais, que le général épousera trois jours avant de prendre le commandement de l'armée d'Italie.
Pour cette mission, Bonaparte tire parti de sa première expérience en décembre 1793 comme commandant de l'artillerie de la même armée d'Italie, à Nice. Il avait alors soumis à la Convention l'idée d'attaquer l'Autriche par la vallée du Pô mais il en avait été empêché par la chute de Robespierre. Affecté à l'été 1795 au cabinet historique et topographique du ministère de la Guerre, il avait néanmoins continuer d'affiner son plan. Le voilà donc fin prêt quand la chance lui permet de le mettre en oeuvre...
Le général rejoint sur les bords de la Méditerranée, à Nice, l'armée d'Italie, réputée difficile à manier et farouchement républicaine. Il s'impose d'abord à ses subordonnés qui gagneront grâce à lui la célébrité : Masséna, Suchet qui ne voit d'abord dans son chef qu'« un intrigant », Augereau, Berthier, vieux général qui deviendra son chef d'état-major, Sérurier.
Il découvre aussi une armée exsangue et dépenaillée pour laquelle, le 27 mars 1796, il sait trouver les mots qui lui rendront confiance et énergie : « « Soldats, vous êtes nus, mal nourris ; le gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner. Votre patience, le courage que vous montriez au milieu de ces rochers sont admirables ; mais ils ne vous procurent aucune gloire, aucun éclat ne rejaillit sur vous. Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir ; vous y trouverez honneur, gloire et richesse. Soldats d’Italie, manqueriez-vous de courage ou de constance ? » (Mémoires pour servir à l’histoire de France sous Napoléon, tome III dicté au comte de Montholon, Londres, 1823).
Avec des effectifs moindres que les armées adverses, le nouveau commandant en chef va manifester son génie stratégique en s'insérant entre les Autrichiens et leurs alliés piémontais et en les empêchant de se rejoindre.
Du 9 au 14 avril 1796, il bat les Piémontais à Montenotte, Millesimo puis de Dego. Le 21 avril, enfin, il bat le général piémontais Colli à Mondovi.
Le « roi des marmottes », surnom du roi de Piémont-Sardaigne Victor-Amédée III, se résout à signer l'armistice de Cherasco le 28 avril 1796. Dès ce moment, Bonaparte combat et négocie avec ses ennemis sans prendre en compte les consignes du Directoire.
Surprenant alors les Autrichiens par sa rapidité de mouvement, il les bat à Lodi le 10 mai au terme d'un affrontement mémorable : les deux armées se font face de part et d'autre de la rivière Adda. Les officiers français n'hésitent pas alors à aller au contact de l'ennemi en s'élançant sur le pont, suivis par les soldats. De Lodi, « coup d'audace extraordinaire », date pour lui le pressentiment de son illustre avenir (ainsi que le surnom affectueux de « petit caporal » que lui donnent ses soldats).
La route de Milan est ouverte à Bonaparte qui y fait une entrée triomphale. C'est du moins ce qu'écrira Stendhal bien plus tard : « Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur » (Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1830).
Déjà, le grand-duc de Toscane, le roi de Naples, la république de Venise et même le pape se disposent à négocier avec le général. Mais les Autrichiens n'ont pas dit leur dernier mot.
Bonaparte doit faire le siège de Mantoue, entre le Pô et le lac de Garde, car cette citadelle protège la route de Vienne. Il doit aussi réprimer une révolte paysanne et reprendre Pavie. Tout cela au moment où le vieux feld-maréchal autrichien Sigmund von Wurmser (73 ans) dévale des Alpes avec deux armées, chacune suivant une rive du lac de Garde.
Le général français lève le siège de Mantoue et bat chaque armée séparément, à Lonato puis à Castiglione le 5 août 1796 (Augereau, l'un des héros de la journée, sera plus tard fait duc de Castiglione). Wurmser arrive néanmoins à s'enfermer dans Mantoue avec le reste de ses troupes et en organise la défense.
Les Français dédaignent la place forte et mènent dans le quadrilatère vénitien, au pied des Alpes, plusieurs campagnes contre les armées autrichiennes encore en course. Se portant au secours de ses généraux Masséna et Augereau, Bonaparte fait reculer ses adversaires à Arcole le 17 novembre. Le 14 janvier 1797, à Rivoli, à l'ouest du lac de Garde, le général autrichien Alvinzi est vaincu de justesse grâce à l'arrivée de Masséna, l'« enfant chéri de la victoire ». Cette bataille décisive ouvre aux Français la route du Tyrol et de Vienne.
Dans le même temps, le général autrichien Provera capitule à La Favorite. Assiégé dans la citadelle de Mantoue, Wurmser n'a plus d'autre ressource que de capituler. C'est chose faite le 2 février 1797.
Bonaparte peut dès lors attendre de pied ferme l'archiduc Charles. L'illustre général autrichien a battu Jourdan en Allemagne et repoussé Moreau au-delà du Rhin. Il descend vers l'Italie mais se fait à son tour battre par le « petit caporal ». Les Autrichiens sont chassés de Vénétie comme du reste de l'Italie !
Le général malingre qui a pris le commandement de l'armée d'Italie a vite compris le pouvoir des mots. Génie de la communication, il va se distinguer des autres généraux par son habileté à promouvoir son image. Avec le butin raflé en Italie, il lance des journaux qui vont amplifier ses mérites. Ainsi vole-t-il à Masséna le mérite de la victoire de Rivoli. Dans La France vue de l'armée d'Italie, on peut lire ce compte-rendu qui ne pèche pas par excès de modestie : « Bonaparte vole comme l’éclair et frappe comme la foudre. Il est partout et voit tout. Il sait qu’il est des hommes dont le pouvoir n’a d’autres bornes que leur volonté quand la vertu seconde un vaste génie. »
Dans le même temps, le général commande aux peintres les plus en vue des toiles à sa gloire, sans égard pour la vérité. C'est ainsi qu'Antoine-Jean Gros réalise dès 1796, à Naples, cette toile qui le montre, tel un jeune dieu, franchissant le pont d'Arcole, alors que, dans les faits, ce n'est pas lui mai Augereau qui s'est élancé sur le pont, un drapeau à la main. Des peintures comme celle-ci seront reproduites maintes fois, y compris sous forme de gravures et d'estampes.
Fort de ses éclatantes victoires, Bonaparte s'est installé à Milan, au palais de Mombello, où il se comporte en véritable vice-roi sans en référer à Paris. Il y accueille sa femme bien-aimée, l'infidèle Joséphine, ainsi que ses frères et soeurs, qu'il commence d'ores et déjà à doter.
Le Directoire fait comme si de rien n'était. Il n'ose s'opposer au jeune général qui a su cultiver sa popularité en France, à travers la presse, les bulletins militaires et les gravures. Il est trop heureux par ailleurs de voir affluer d'Italie l'argent et les trésors d'art pillés par les Français.
Bonaparte se satisfait de l'alliance du « roi des marmottes ». Par le traité de Paris de mai 1796, Victor-Amédée III cède à la France Nice et la Savoie.
A Gênes, un soulèvement des Jacobins locaux permet de transformer la République sénatoriale en une « République ligurienne » aux institutions calquées sur la France.
À Modène, le 16 octobre 1796, des représentants de Reggio, Ferrare et Bologne (cités relevant de l'autorité pontificale) proclament une « République Cispadane » (sous-entendu : de ce côté-ci du Pô par rapport à Rome). Même processus à Milan où se crée une éphémère « République Transpadane ».
Le 29 juin 1797, Bonaparte réunit ces deux républiques en une « République Cisalpine » (sous-entendu : de ce côté-ci des Alpes par rapport à Rome). Cette république-soeur de la France adopte Milan comme capitale et calque ses institutions sur le modèle français. Elle se donne un drapeau tricolore (vert, blanc, rouge) imité du drapeau français (il sera repris par l'Italie unifiée).
Des volontaires se constituent en légions alliées de la France. « L'armée créée par Bonaparte réunissait dans la même compagnie le sombre Novarais et le gai Vénitien, le citoyen de Reggio et le bon Buseccone de Milan. Elle a produit deux effets : premièrement, la création d'une langue nouvelle, et deuxièmement, la haine de ville en ville et le patriotisme d'antichambre diminuaient rapidement dans l'armée » (Stendhal).
Le vieux pape Pie VI (80 ans), dont les États ont été envahis par les troupes françaises, confirme par le traité de Tolentino du 19 février 1797 l'annexion à la Francedu Comtat Venaissin (dans la vallée du Rhône). Il cède surtout les Légations de Romagne, Ferrare et Bologne, soit l'essentiel de son territoire. Elles sont réunies à la République Cisalpine, elle-même inféodée à la République française.
Mais cela ne suffit pas aux Français ! L'assassinat à Rome du général Duphot offre au général Berthier un prétexte pour entrer à Rome et proclamer le 15 mars 1798 une République romaine. Le pape est incarcéré le 20 février. Il mourra de désespoir en France, dans la citadelle de Valence, le 29 août 1799.
En attendant, l'empereur François II de Habsbourg et l'archiduc Charles s'inclinent devant la menace que fait peser l'armée française d'Italie sur leur capitale, Vienne. Ils sollicitent un armistice.
Bonaparte n'imagine guère d'atteindre Vienne. Il accepte donc la demande d'armistice et songe à négocier la reconnaissance de l'annexion à la France de la rive gauche du Rhin. Pour cela, il lui faut offrir une contrepartie à l'Autriche. Pourquoi pas Venise et son territoire ? Ses agents organisent en conséquence une provocation pour occuper la Sérénissime République. Ce seront les « Pâques véronaises » du 17 avril 1797.
Disposant de toutes les cartes, Bonaparte signe avec l'archiduc Charles une convention préliminaire à Leoben, le 18 avril 1797, sans se soucier d'attendre l'émissaire officiel du Directoire, Clarke. La convention est suivie enfin de la signature du traité de paix au château de Passariano, près de Campoformio, en Vénétie, par Bonaparte et le représentant de l'empereur, le comte Cobenzl.
Ce traité met fin à la première coalition européenne contre la France révolutionnaire.
Sa conséquence la plus durable est le dépeçage de la République de Venise, bien que celle-ci fût restée neutre pendant toute la guerre. 1100 ans après l'élection du premier Doge, la plus grande partie des territoires de la Sérénissime, du lac de Garde aux bouches de Cattaro, sont, sans plus de façon, offerts à l'Autriche par Bonaparte. La partie occidentale de la Sérénissime est réunie à la République cisalpine.
Le général corse, encore très attiré par la Méditerranée et l'Italie, prend soin aussi d'annexer à la France Corfou, Zante et Céphalonie, sur la rive orientale de l'Adriatique. Peut-être se voit-il déjà fonçant vers l'Orient, tel un nouvel Alexandre ?...
Tous ces transferts de territoires se font sans qu'il soit question de demander l'avis des habitants. Les négociateurs foulent aux pieds le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » invoqué par les révolutionnaires !
En contrepartie, François II se défait des Pays-Bas autrichiens (la Belgique actuelle). Il entérine leur annexion par la France et, par une clause secrète, lui reconnaît l'annexion de toute la rive gauche du Rhin (à l'exception de la région de Cologne).
L'empereur s'engage à employer ses bons offices pour que la République française se voie confirmer cette frontière lors du congrès international qu'il est prévu d'ouvrir à Rastatt, en Allemagne. Les Français ont ainsi l'espoir d'atteindre leurs « frontières naturelles ».
26 novembre 1797 : le congrès de Rastatt s'ouvre en présence de Bonaparte et des représentants de toutes les principautés du Saint Empire romain germanique. Parmi les diplomates qui représentent l'Autriche figure un jeune inconnu appelé à un grand destin, Metternich.
Mais voilà que la France, décidément très gourmande, réclame toute la rive gauche du Rhin, y compris la région de Cologne. L'Autriche exige de nouvelles compensations en Italie. Ulcérée par le refus des Français, elle se tourne vers la Russie et l'Angleterre en vue de former une deuxième coalition contre la France !
Les négociations traînent en longueur. Enfin, le Directoire, comprenant qu'il n'y a rien à tirer du congrès, rappelle ses trois derniers plénipotentiaires. Deux d'entre eux trouvent la mort dans la nuit du 28 avril 1799 suite à une attaque par des hussards autrichiens à la sortie de Rastatt. Ce faux-pas autrichien va décider de la réouverture des hostilités.
Après une nouvelle victoire à Marengo, Bonaparte, devenu entretemps Premier Consul, remodèle avec autorité les « Républiques-sœurs » italiennes. Une assemblée de 418 notables cisalpins est réunie à Lyon, dans la chapelle du collège de la Trinité (lycée Ampère), en décembre 1801 et janvier 1802. Cette Consulta se dote d'une nouvelle Constitution calquée sur celle de la France et trente de ses représentants portent à sa présidence... le Premier Consul.
Bonaparte obtient que la République soit, le 25 janvier 1802, rebaptisée « République italienne ». Cette appellation inédite va éveiller chez les habitants de la péninsule le désir de refaire enfin leur unité brisée quinze siècles plus tôt. Le 17 mars 1805, pour se conformer au nouveau courant politique, la République italienne se transformera en « Royaume d'Italie ». L'empereur Napoléon Ier en deviendra le roi et Eugène de Beauharnais, son beau-fils, le vice-roi.
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