Les Pâques Véronaises désignent l’insurrection générale qui éclata le lundi 17 avril 1797 (27 germinal an V) à Vérone, une ville d’environ 50 000 âmes, située à l’époque sur le territoire de la « Sérénissime » République de Venise.
Ce soulèvement populaire dura neuf jours et eut pour conséquence le massacre des Français présents dans la ville. D’où cette appellation de « Pâques Véronaises », celle-ci faisant référence aux « Vêpres Siciliennes » de 1282 durant lesquelles les Français présents en Sicile furent également massacrés et chassés de l’île.
Selon l'historien Jean Tulard, ce soulèvement aurait été suscité par un faux produit par l'occupant français, sans doute l'un des premiers coups fourrés de l'Histoire moderne. Le général Bonaparte en prend prétexte pour annexer la République de Venise, qui n’avait rien à voir avec ce drame et l’offrir à l’Autriche ! Cette injustice lui permit de boucler à Campo-Formio les négociations de paix avec Vienne…
Le contexte de la première campagne d’Italie
La République française est gouvernée par le Directoire depuis le 26 octobre 1795. Elle fait face à une première coalition européenne qui réunit la Prusse, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Autriche. Mais déjà en 1795, nombre de participants de cette coalition ont signé des traités de paix avec la France, dont la Prusse (en avril) et l'Espagne (en juillet). Ainsi, la France n'a plus pour adversaire notable que l'Autriche, en sachant que le Royaume-Uni est avant tout une puissance navale et financière.
La campagne d'Italie est confiée au jeune général Bonaparte. Il passe par les Alpes maritimes en avril 1796 et arrive dans le Piémont italien avec une armée de 45 000 hommes prête à affronter les forces piémontaises et autrichiennes alliées.
Dans les mois qui suivent, l’armée française enchaîne victoire sur victoire. Bonaparte s’illustre notamment à Lodi, Arcole et Rivoli, s'ouvrant ainsi la route de Vienne. Inquiet, François II d’Autriche choisit de négocier, ce qui donne lieu à des accords préliminaires conclus le 17 avril 1797 à Leoben.
Dans les clauses secrètes annexées au traité, Bonaparte a déjà décidé d'offrir les domaines vénitiens de la Terraferma (territoires continentaux de la « Sérénissime » situés dans le nord-est de l’Italie) à la monarchie des Habsbourg. En échange, les Habsbourg reconnaîtront l'annexion par la France des Pays-Bas autrichiens (actuelle Belgique).
Au milieu de cette guerre, la République de Venise essaye tant bien que mal de préserver sa neutralité malgré sa position géographique délicate. La Sérénissime a refusé plusieurs fois les offres d’alliances proposées par les deux belligérants mais, face aux événements, le gouvernement peine à faire respecter sa souveraineté.
L’occupation de Vérone par les troupes françaises
Dès avril 1796, les troupes françaises ont envahi la Lombardie et occupé des villes qui dépendent tant de l’Empire d’Autriche que des États pontificaux. Bonaparte a pu s'installer en maître à Milan. Dans la nuit du 29 au 30 mai 1796, il force le passage du Mincio à la bataille de Borghetto et repousse ses ennemis vers le Tyrol. Les Vénitiens voient alors des troupes autrichiennes en déroute traverser leur territoire. L'intendant général vénitien Foscarini se plaint à Bonaparte des dégâts causés par ces opérations militaires.
Mais le général français lui rappelle qu’en 1794 la République de Venise avait donné asile au prétendant au trône de France, le comte de Provence (futur Louis XVIII), qui s’était réfugié un moment à Vérone. Il avait d’ailleurs dû quitter la ville le 21 avril 1796 suite aux protestations des représentants français.
Alors, en guise de réponse aux plaintes de Foscarini, Bonaparte accuse le gouvernement vénitien de duplicité, menace de mettre Vérone à feu et à sang et de marcher sur Venise.
C’est pourquoi le 1er juin 1796, l'intendant général, soucieux de ne pas provoquer davantage Bonaparte, se voit forcé d’accepter l'entrée des troupes françaises à Vérone - qui est alors la principale place forte militaire du territoire vénitien - ainsi que dans d’autres villes de la Terraferma.
Dès lors, les Français occupent le système défensif des villes et leurs forteresses, mais sans batailles car les directives du gouvernement vénitien enjoignent aux responsables locaux d'éviter tout motif d'affrontement. Le 3 juin, accompagné de nombreux généraux et de 500 cavaliers, Bonaparte arrive à Vérone et lève immédiatement des contributions importantes sur les habitants.
Il prend ses quartiers au palazzo Forti, tandis que ses généraux logent dans les palais de la noblesse en fuite. Une cohabitation tendue se met en place entre les Véronais, les troupes vénitiennes et les soldats français, d’autant plus que ces derniers s’adonnent au pillage des églises et à la destruction des symboles religieux de la ville.
L'ambassadeur de Venise à Paris est invité à protester, auprès du Directoire, contre la violation de la neutralité. À Vienne, les diplomates de la « Sérénissime » protestent aussi auprès des Habsbourg qui ont porté la guerre en terre vénitienne.
La stratégie de Bonaparte pour renverser la République de Venise
Dans toutes les cités qu’ils occupent, les Français encouragent les Jacobins pro-français au soulèvement. Le 13 mars 1797, ils poussent les citoyens de Bergame à la rébellion contre les Vénitiens, et, à Brescia (occupé depuis le 31 juillet 1796), un groupe de notables, arguant d'anciennes querelles avec Venise, tente également de soulever le peuple avec le soutien des Bergamasques et des Français.
L’attitude de Bonaparte devient de plus en plus équivoque et suspecte aux yeux de Venise. La Sérénissime donne des instructions aux responsables de la défense de ses villes pour leur recommander la plus grande vigilance et d'éviter le moindre incident qui puisse donner prétexte aux Français d'entrer en conflit ouvert.
Mais devant la propagation des soulèvements populaires en faveur de Venise (et notamment à Vérone) et devant l'avance rapide des troupes vénitiennes, les Français sont contraints d'aider ouvertement les Jacobins lombards et donc de révéler leurs véritables intentions. Le 9 avril, une proclamation de Bonaparte invite les populations de la Terraferma à « secouer le joug de Venise ».
Le 15 avril, l'ambassadeur du Directoire confirme à la Sérénissime la volonté de la France de soutenir les révoltes contre le gouvernement vénitien accusé de « tyrannie ». Le gouvernement de Venise lance malgré tout à ses sujets un appel au calme et défend aux citoyens de Vérone de s’attaquer aux Français présents dans la ville afin de respecter la politique de neutralité.
Les « Pâques véronaises »
Mais à Vérone, la population est épuisée par les dévastations d'un an de guerre et le poids des réquisitions. Pendant les négociations de Leoben, Bonaparte suscite ce que l'on peut qualifier de premier mensonge de l'Histoire moderne. L’adjudant général Landrieux - chef des services de renseignements de l’armée d’Italie - produit un faux appel du Grand Conseil de Venise à l'adresse des habitants de Vérone pour qu'ils se soulèvent contre la garnison française établie dans la ville.
C’est ainsi que durant les vêpres de ce lundi de Pâques 17 avril 1797, le tocsin sonne en même temps à Vérone, à Vicence et à Padoue pour avertir la province que le soulèvement général a commencé. Dans ces deux dernières villes, les Français échappent au massacre, mais à Vérone, les rues et les places publiques se remplissent d’une foule prête à en découdre.
Au cri de « Vive Saint Marc ! » la population se soulève et attaque la garnison française composée de 3000 hommes répartis dans les trois châteaux qui dominent la cité. Le mouvement populaire est également appuyé par des troupes vénitiennes et par des soldats autrichiens que la foule a libérés en attaquant les prisons de la ville.
Le général Balland, qui commande la garnison française à Vérone, prévoyait cette révolte. Il décide donc de s’enfermer avec le petit nombre de troupes placées sous ses ordres dans le fort San Felice et dans les deux autres châteaux (Castel Vecchio et Castel San Pietro) ; il ne laisse aux portes que le nombre d'hommes nécessaire.
En voyant les soldats français retranchés dans les forteresses, le peuple véronais décide de se rendre à l’hôpital de la ville qui constituait pour eux une cible plus facile et symbolisait la présence française à Vérone. 400 à 600 soldats français blessés ou invalides s’y trouvaient sans défenseurs.
L’hôpital de Vérone était à tel point saturé que les officiers de santé avaient installé une partie des patients dans les rues adjacentes. Cette décision aurait renforcé les craintes préexistantes de la population quant à une éventuelle contamination. Selon le général Beaupoil de Saint-Aulaire, présent à Vérone pendant l’insurrection, 400 soldats malades sont égorgés par la population ce jour-là.
Ensuite, toutes les portes de la cité sont reprises, ce qui permet à des milliers de paysans de la province de participer à la révolte. Certains viennent des montagnes de la Lessinia, au nord de la ville, d’autres volontaires armés arrivent de l’est et se dirigent vers les forteresses. Dans la petite commune de Pescantina, certains arrivent même à bloquer une colonne française que les assiégés avaient appelés en renfort, et l'empêchent de franchir l'Adige.
Dans le reste de la ville, pendant neuf jours on lutte de ruelle en ruelle ; tous les Français isolés, qui vivaient dans les maisons particulières sont assassinés, sans distinction d'âge, d'état, ni de sexe, dont notamment des malades, des blessés et des femmes enceintes. Plusieurs Véronais soupçonnés d'être partisans des Français sont également tués.
Depuis le début de l’insurrection, l'armée française, qui tient les forts surplombant Vérone, tirait sur la foule à coup de canons. Alors le 20 avril, Castel Vecchio est assiégé et pris d’assaut. Puis, le peuple véronais installe des canons au sommet des collines de San Mattia et de San Leonardo, pour que leurs tirs puissent atteindre les Français barricadés à l'intérieur de Castel San Pietro et de Castel San Felice.
Mais le 22 avril, les Véronais commencent à manquer de munitions et de vivres tandis que les troupes françaises appelées en renfort encerclent la ville. La population sollicite plusieurs fois le secours de Venise cependant aucun soutien n’est envoyé. Le 23, les autorités municipales sont réunies et les Véronais décident de parlementer avec l’ennemi. Entourée par quelque 25 000 soldats français, la ville n’a plus d’autre choix que de se rendre. Le soulèvement s’arrête donc le 25 avril 1797, à la saint Marc, après avoir mis hors de combat la moitié de la garnison.
Les Français entrent dans Vérone le 27 avril et occupent la ville à nouveau. Un tribunal militaire révolutionnaire français est mis en place et condamne à mort les insurgés véronais ainsi que les principaux meneurs. Environ 2 500 hommes de la garnison vénitienne qui avait défendu la cité sont fait prisonniers et sont envoyés en France dans des camps de détention. Seulement la moitié ou plus probablement un tiers en sont revenus après la paix de Campo Formio.
Enfin, l'occupant exige le paiement de deux millions de livres turinoises et la confiscation de l'argenterie des églises, des réserves de vivres, de vêtements et de chaussures. Les soldats français ne se privent pas de piller la ville pour augmenter leur butin tandis que les réquisitions, les abus et les vexations se multiplient, notamment à l'égard des pratiques religieuses. De nombreuses œuvres d'art sont volées, dont des tableaux de Véronèse et du Titien. Le butin, expédié en France, sera plus tard exhibé en procession dans les rues de Paris avant d'être déposé au musée du Louvre.
La fin de la République de Venise
Le 20 avril 1797, alors qu’à Vérone l’insurrection battait son plein, un navire français baptisé le « Libérateur d’Italie » qui tentait de pénétrer dans le port de Venise est bombardé par l’artillerie vénitienne qui tue ainsi son capitaine. Cet événement sert de casus belli au général Bonaparte qui peut désormais déclarer la guerre à Venise le 2 mai 1797.
Puis, en représailles des Pâques véronaises, Bonaparte occupe la République de Venise tout entière et proclame la fin de son existence en tant qu'État. En effet, le 12 mai, le doge Ludovico Manin abdique et la République est dissoute après environ un millénaire d'indépendance ; la municipalité provisoire de Venise est mise en place, mettant ainsi un terme aux libertés politiques des patriciens vénitiens.
Le général Bonaparte peut enfin signer le traité de Campo Formio le 18 octobre 1797 en présence du comte Louis de Cobentzel, représentant l'empereur François II d'Autriche. Le traité met fin à la guerre franco-autrichienne commencée le 20 avril 1792 et marque l’échec de la première coalition en laissant le Royaume-Uni seul en guerre contre la France.
Comme prévu dans le traité de Leoben signé en avril, la République de Venise disparait et son territoire est partagé entre la France et l'Autriche. Vérone est alors cédée aux Autrichiens qui entrent dans la ville en formation de parade le 21 janvier 1798, accueillis par la population enthousiaste. En échange, les Pays-Bas autrichiens (actuelle Belgique) sont annexés par la France. Par ailleurs, Bonaparte obtient la libération du général La Fayette, alors détenu dans la forteresse d'Olomouc, en Bohême.
Vieille et opulente cité, Venise était perçue avec dédain, y compris par les urbanistes des Lumières, qui déploraient le caractère désordonné de son lacis de ruelles et de canaux. Paradoxalement, elle va devenir, en perdant son indépendance à Campo Formio, un motif de ravissement, en particulier pour les jeunes romantiques européens.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible