Le 20 septembre 1792, à Valmy, la Révolution française est sauvée in extremis de l'invasion étrangère.
Après la journée du 10 août et l'emprisonnement du roi Louis XVI, les Prussiens ont envahi sans difficulté l'est de la France. Le 23 août, la garnison de Longwy capitule sous la pression de la population effrayée par les bombardements du colonel Tempelhof, un célèbre artilleur prussien. Le 2 septembre, Verdun capitule à son tour presque sans résistance.
À Paris, dans les clubs révolutionnaires et à l'Assemblée législative, beaucoup crient à la trahison. À l'instigation de Marat et avec les encouragements de la Commune, les sans-culottes courent d'une prison à l'autre et, du 2 au 6 septembre 1792, massacrent de façon souvent atroce plus d'un millier de prisonniers. Ces massacres de Septembre sont un avant-goût de la Terreur...
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Les souverains étrangers voyaient au départ la Révolution sans déplaisir. Mais après les dérapages du printemps 1792, ils s'inquiètent pour le roi et craignent une contagion révolutionnaire. Louis XVI, son entourage et les émigrés français les poussent à intervenir. De leur côté, les révolutionnaires rêvent d'en découdre avec les vieilles monarchies d'Europe... C'est ainsi que l'Assemblée et le roi déclarent la guerre à l'Autriche.
Les débuts sont désastreux et la France est sitôt envahie. La Convention proclame la « patrie en danger » et annonce la levée de 300 000 hommes, ce qui provoque des soulèvements en Vendée et ailleurs... Au prix d'un effort exceptionnel, le Comité de Salut public redresse la situation, arrête l'invasion et se fait à son tour offensif... C'est le début de deux décennies de guerres !
En Champagne, les généraux Dumouriez et Kellermann fraîchement nommés doivent tout faire : compléter les unités, garnir les magasins, habiller et armer les volontaires. Ils harcèlent Servan, le ministre de la Guerre, pour que les forces françaises puissent faire face.
Dumouriez est assisté de Choderlos de Laclos, commissaire au ministère de la Guerre, expert en stratégie et écrivain à ses heures.
Il envisage d'abord une défense frontale appuyée sur la barrière de l'Argonne. Mais voilà que les Autrichiens forcent le passage de la Croix-aux-bois et se précipitent en Champagne, contournant ses positions.
Dumouriez réagit en regroupant ses troupes autour de Sainte-Menehould. Il appelle à lui Kellermann et se prépare à livrer une bataille à front renversé (les Prussiens sont côté Paris et les Français côté frontière).
Les deux généraux français regroupent leurs armées composées de soldats professionnels et de volontaires sur le plateau de Valmy dans l'attente des Prussiens. 47 000 Français adossés à un moulin font bientôt face à 34 000 Prussiens sous le commandement du duc de Brunswick (ou Braunschweig).
À noter parmi les Français la présence de l'ancien duc de Chartres, qui deviendra plus tard le roi Louis-Philippe Ier. Son père, le duc d'Orléans, ambitieux, corrompu et jaloux, n'eut de cesse de combattre son cousin le roi. Devenu député de la Convention sous le nom de Philippe-Égalité, il ira jusqu'à voter sa mort. Mais il n'échappera pas lui-même à la guillotine.
Vers une heure de l'après-midi, le brouillard se dissipe. Le général Kellermann lève son épée, surmontée de son chapeau au panache tricolore, et lance le cri de « Vive la Nation ! ».
Stupéfaction dans les rangs ! Ordinairement, les troupes d'Ancien Régime, souvent constituées de mercenaires de diverses provenances, partaient au combat au cri de « Vive le Roi ! », manière d'honorer leur commanditaire. Pour la première fois à Valmy est mise en avant la « Nation », une instance abstraite et nouvelle. Passé le moment de surprise, les soldats reprennent le mot de leur général et entonnent La Marseillaise (à moins que ce ne soit le Ca ira). Ils ne le savent pas encore mais à cet instant, l'Histoire européenne a basculé. De dynastiques, les guerres deviendront nationales.
L'infanterie prussienne monte à l'assaut du moulin mais doit presque aussitôt reculer sous le feu de 36 canons. Pour la première fois depuis le début des hostilités, les Français encaissent l'attaque sans broncher.
Le duc de Brunswick paraît décontenancé par cette résistance et poursuit la bataille avec mollesse. 20 000 boulets sont échangés au total. La canonnade fait en tout et pour tout moins de 500 victimes (300 chez les Français, 184 chez les Prussiens).
Dès le lendemain de la bataille, les envahisseurs commencent à battre en retraite. Le feld-maréchal autrichien Clerfayt se retire en bon ordre en Belgique tandis que le duc de Brunswick repasse la frontière un mois plus tard. Verdun est évacuée le 14 octobre, Longwy le 22 et le dernier grenadier quitte la France le 23.
« Ici et maintenant commence une nouvelle époque de l'histoire universelle et vous pourrez dire que vous y étiez », aurait déclaré le poète Johann Wolfgang von Goethe, en assistant à la canonnade de Valmy. Il est vrai que cette modeste bataille va avoir un retentissement démesuré dans toute l'Europe en témoignant d'une vigueur inattendue des révolutionnaires. Énivrés par leur succès, ils vont pendant plus de vingt ans porter la guerre dans toute l'Europe sous couvert de libérer les peuples du despotisme.
On s'interroge encore sur le peu d'entrain des Prussiens à Valmy, bien qu'ils aient eu alors la meilleure armée d'Europe. On peut penser que, fatigués par leur marche sous la pluie et rendus malades par la dysenterie qu'ils avaient contractée en goûtant aux mirabelles de Lorraine, ils n'étaient guère motivés par la guerre.
Mais on s'interroge également sur la facilité avec laquelle ils ont pu battre en retraite sans être poursuivis... Le duc Charles de Brunswick était un franc-maçon, comme son oncle Ferdinand, héros de la guerre de Sept Ans (1756-1763) et grand maître de la « Stricte Observance » écossaise, mais aussi comme Danton, maçon de la Loge des neuf soeurs, et comme le général Dumouriez, haut dignitaire du Grand Orient.
Ces appartenances ont peut-être facilité des arrangements clandestins autour du moulin de Valmy. Cela dit, il ne s'agit que d'une hypothèse et beaucoup de gens étaient franc-maçons à l'époque ! Même Mozart, mort l'année précédente ;-)
Le général Dumouriez, maître ès intrigues, a-t-il sciemment évité de poursuivre Brunswick pour s'assurer plus tard une position d'arbitre en Europe?...
Né en 1739, Charles François Du Périer, dit Dumouriez, sert dans l'armée du roi Louis XV comme officier puis entre dans la diplomatie secrète et se met au service des ambitions du duc d'Orléans. Ministre des affaires étrangères de Louis XVI, il pousse celui-ci à la guerre en 1792. Après ses victoires de Valmy et Jemappes, il connaîtra la défaite à Neerwinden le 18 mars 1793 et tentera alors d'entraîner son armée contre la Convention.
Ayant échoué dans ce coup de poker, il passera à l'ennemi avec son fidèle second, le duc de Chartres, fils du duc Philippe d'Orléans, dit Philippe-Égalité... Dumouriez mourra dans l'oubli en 1823 (le duc de Chartres aura plus de chance puisqu'il deviendra roi sous le nom de Louis-Philippe Ier).
De son côté, le duc de Brunswick n'a-t-il simplement pas voulu faire le jeu de l'empereur de Vienne, allié mais aussi rival du roi de Prusse, en se dégageant du conflit ? Ou a-t-il été acheté avec les bijoux de la couronne ? L'hypothèse est plausible car le duc de Brunswick était un joueur fanatique criblé de dettes et totalement ruiné. Et l'on sait qu'un diplomate, passé à la Révolution dès 1789, François Noël, premier commis aux Affaires étrangères avant de devenir ministre plénipotentiaire à la Haye, avait écrit à Danton : « Faisons un pont d'or à l'ennemi ».
Yves Amiot, sous le titre Les diamants de l'Argonne (Flammarion), relate l'effraction du Garde-meuble national à plusieurs reprises entre le 12 et le 16 septembre 1792. Il y voit une initiative des hommes au pouvoir. Les pierres précieuses de la couronne auraient été desserties par deux ouvriers spécialisés qui furent assassinés ensuite. Le trésor aurait été réparti dans cinq petits sacs de cuir, Danton en conservant un pour lui, à toutes fins utiles. Une partie de ce magot, remise au duc de Brunswick par Billaud-Varenne, aurait ainsi permis au Prussien de se dégager de ses dettes. Un constat : le duc de Brunswick s'acquittera de ses dettes pour plus de huit millions après Valmy !
Ces arrangements n'ont rien pour surprendre. L'agitation révolutionnaire en France en était à ses débuts en 1792 et les responsables des deux bords étaient encore pénétrés des manières de l'Ancien Régime, de sorte que les intrigues et la recherche de compromis prenaient le pas sur le fanatisme...
À Paris, le 21 septembre 1792, au lendemain de Valmy, une nouvelle assemblée, la Convention, succède à la Législative. Les députés se projettent de donner une nouvelle Constitution à la France, après la chute de la royauté.
Les députés proclament l'abolition de la monarchie et le lendemain, le 22 septembre 1792, ils décident, sur une proposition de Danton, que les actes publics seront désormais datés de « l'An 1 de la République ». C'est de cette manière « furtive », selon le mot de Robespierre, que la France se découvre en République.
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kourdane (31-03-2015 05:01:23)
je me suis souvent interrogé sur cette bataille de Valmy, si symbolique pour l'instauration de la république, mais si peu glorieuse en fait, valorisée par l'histoire officielle.
j'adhère assez au fait que le duc de Braunschweig fut corrompu. Il ne faut pas oublier également qu'il existât des tensions internes en Prusse et que la tension entre Prussiens & Autrichiens était notoire.
Allez savoir...cela arrangeait bien du monde
jean-pierre duhem (17-09-2012 10:36:37)
Un petit à coté à cette victoire:les diamants ont ils été retrouvés et ou?
Justine (10-10-2009 09:06:10)
L'armée française était alors désorganisée et mal commandée... De multiples révoltes se profilaient au sein de l'Etat, seule l'entrée en guerre de la France contre la Prusse et l'Autriche a permis aux français de se rassembler, 60 000 d'entre eux se sont immédiatement portés volontaires pour repousser les attaques ennemies. Leur victoire résulte du fait que l'armée prussienne ne s'attendait pas à cette contre-attaque, et que les officiers, les fédérés et les sans-culottes ont réussi à s'entendre, sans oublier le moral des troupes dont le patriotisme s'est trouvé exacerbé par la haine de l'ennemi, la Révolution sérieusement ancrée dans les esprits, et des symboles comme la Marseillaise. Les prussiens ont battu en retraite très vite, affolés par ces troupes françaises barbares qui semblaient insensibles à la peur et à la douleur; l'armement aurait joué un rôle tout à fait secondaire dans la victoire de la France.
Loridon gérard (10-09-2006 14:52:10)
Le fait que l'armée française possédait le canon Gribeauval ne représente t-il pas une grande partie de notre succès ?