Le 5 octobre 1789, à Paris, quelques milliers de femmes mécontentes de la cherté de la vie et de la disette se rendent à Versailles pour se plaindre de leur sort auprès du roi Louis XVI. La manifestation dérape dans la violence et le roi se voit obligé de quitter Versailles avec sa famille et suivre ses persécutrices jusqu'à Paris. Enfermé aux Tuileries, victime de ses hésitations, il va dès lors se trouver prisonnier des révolutionnaires et des agitateurs parisiens.
La Révolution bascule pour de bon ainsi que l'écrira plus tard l'historien Jules Michelet : « Les hommes ont fait le 14 juillet, les femmes le 6 octobre. Les hommes ont pris la Bastille royale, et les femmes ont pris la royauté elle-même, l’ont mise aux mains de Paris, c’est-à-dire de la Révolution » (Les Femmes de la Révolution, 1854).
Quand les députés des états généraux se sont réunis en Assemblée nationale constituante, quand les émeutiers parisiens se sont emparés de la Bastille, à chaque fois, le roi a renoncé à faire usage de la force. Puis, le 17 juillet 1789, il a donné l'impression de s'incliner devant le mouvement révolutionnaire en rendant visite aux Parisiens. Mais en dépit de cette bonne volonté apparente, le roi refuse d'approuver la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de même que l'abolition des droits féodaux. Le fossé s'approfondit entre la Cour, le peuple parisien et les députés.
À l'Assemblée constituante, qui siège à Versailles, les députés prennent l'habitude dès l'été 1789 de se retrouver par affinités politiques, à quelques exceptions près comme le comte de Mirabeau, orateur flamboyant qui se montre partout à la fois et ne craint pas de conseiller le roi.
Les députés hostiles à la Révolution (quelques nobles et prélats) sont appelés avec une nuance de mépris les Aristocrates. Les autres députés se présentent comme des « patriotes » :
• Les plus radicaux sont les démocrates partisans du suffrage universel. Ils puisent leur inspiration dans l'oeuvre de Jean-Jacques Rousseau. Encore peu nombreux, ils comptent dans leurs rangs l'abbé Grégoire et Maximilien de Robespierre.
• Plus modérés, les Monarchiens, comme Jean Joseph Mounier, instigateur du serment du Jeu de Paume et auteur des trois premiers articles de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, se prennent à rêver d'une monarchie constitutionnelle à l'anglaise, avec deux assemblées. Ils vont rapidement céder la place.
• Les Constitutionnels, les plus nombreux, rassemblent des hommes talentueux et éclairés, imbus d'idées nouvelles : Le Chapelier, Bailly, l'abbé Sieyès, Talleyrand et surtout le général La Fayette. Ils sont à l'origine de la première Constitution, qui établit une monarchie démocratique avec une Assemblée législative.
• La dernière mouvance de « patriotes » a nomTriumvirat, du nom de ses trois chefs, Duport, Barnave et Lameth. Ils plaident pour une monarchie forte avec une assemblée unique.
Les Journées d'Octobre
À Versailles, les Monarchiens conduits par Jean Joseph Mounier conseillent au roi de faire venir des troupes à Versailles.
Le 1er octobre, à l'Opéra royal de Versailles, un banquet est offert au régiment des Flandres nouvellement arrivé. Après le souper, à l'arrivée de la famille royale, des gardes souhaitant manifester leur fidélité au roi, reprennent le refrain d'un opéra de Grétry : « Ô Richard, ô mon roi, L'univers t'abandonne ! ». À cette occasion, certains esprits forts foulent la cocarde tricolore aux pieds.
L'apprenant, les Parisiens pauvres s'en irritent. Eux-mêmes manquent de pain en raison de l'insécurité qui rend difficile l'acheminement des grains. Le dimanche 4 octobre, une foule nombreuse se réunit dans les jardins du Palais-Royal.
Le lendemain matin, les poissardes et harengères de la Halle protestent contre le pain rare et cher. Elles font sonner le tocsin et se rassemblent au faubourg Saint-Antoine et sur les marchés, avant de converger vers l'Hôtel de ville pour réclamer du pain, des armes et des munitions. De là s'ébranle un cortège de 7 000 ou 8 000 femmes en direction de Versailles. On crie : « À Versailles ! » ou encore « Du pain ! ». Des chômeurs sont de la partie ainsi que d'anciens combattants de la Bastille. Chacun brandit une arme improvisée, fourche ou pique. À la mi-journée, ce premier cortège arrive à Versailles cependant qu'un autre quitte à son tour la capitale. Le roi, qui est à la chasse, et la reine, dans le parc de Trianon, rentrent précipitamment au château.
L'Assemblée est envahie. Les femmes haranguent les députés et réclament aussi le renvoi du régiment de Flandre, jugé suspect. Là-dessus, une délégation de cinq ou six femmes se rend auprès du roi, sous la conduite du député Jean-Joseph Mounier et d'une fruitière dénommée Louise-Renée Audu, la « reine de la Halle ». Louis XVI les écoute et promet de ravitailler Paris. Mais le second cortège arrive sur ces entrefaites et force les grandes grilles des écuries. Les émeutières et émeutiers s'installent sur la place d'Armes, devant le château, en vue d'y passer la nuit.
La Fayette, informé des événements, arrive en fin de soirée à la tête de vingt mille hommes de la garde nationale. Présomptueux, il lance au roi : « Sire, je viens vous apporter ma tête pour sauver celle de Votre Majesté » puis rétablit un semblant d'ordre... et va se coucher. Son inaction lui vaut le surnom de « Général Morphée ».
Le roi, qui dispose pourtant de troupes sûres, renonce à disperser les émeutiers sur le conseil de son ministre Jacques Necker. Mais le lendemain matin, un garde de la Maison du roi, pris à partie par la foule, tue un garde national. C'est l'émeute. Plusieurs gardes royaux sont tués. Les grilles du château sont forcées et la foule se rue vers les appartements de la reine. Un garde du corps a juste le temps de crier : « Sauvez la reine ! » avant d'être sauvagement tué. Marie-Antoinette s'enfuit par une porte dérobée, retrouve ses enfants et rejoint le roi dans ses appartements, échappant de peu au massacre.
La Fayette, tout juste réveillé, accourt et persuade le couple royal de se montrer avec lui au balcon de la cour de marbre pour apaiser les émeutiers. À l'apparition de Louis XVI, les femmes crient : « Vive le Roi ! » puis : « À Paris ! ».
La Fayette convainc Louis XVI de ratifier la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et de se rendre à Paris. C'est ainsi qu'à 13 heures, la famille royale abandonne définitivement Versailles pour la capitale. Sa voiture est précédée par la foule triomphante des émeutiers qui exposent au bout de piques les têtes des gardes tués le matin même.
Une cinquantaine de voitures de grains et de farines accompagnent cet étrange convoi. On s'exclame : « Nous ne manquerons plus de pain, nous ramenons le boulanger, la boulangère, et le petit mitron ». Le roi est accueilli dans sa capitale par un discours emphatique du maire Jean Bailly : « Quel beau jour, sire, que celui où les Parisiens vont posséder Votre Majesté et sa famille ! ».
En soirée, la famille royale s'installe tant bien que mal dans le palais des Tuileries, à l'abandon depuis trois décennies. Seuls quelques rares fidèles vont les rejoindre dans cet exil parisien, parmi lesquels le fidèle Axel de Fersen, amoureux et possible amant de la reine. Quelques jours plus tard, l'Assemblée constituante quitte à son tour la ville du Roi Soleil et s'installe près des Tuileries, dans la salle du Manège (en bordure de l'actuelle place de la Concorde).
La monarchie et l'Assemblée constituante se retrouvent prisonniers de Paris et soumis aux accès d'humeur de ses habitants. Il suffira dès lors qu'un groupe d'émeutiers envahisse la Chambre des députés pour qu'un gouvernement soit renversé.
Dans la salle du Manège des Tuileries, où se tient l'Assemblée constituante à partir d'octobre 1789, les députés prennent l'habitude de choisir leur place en fonction de leurs affinités politiques.
Les députés hostiles à la Révolution ou soucieux de la contenir s'asseoient sur le côté droit de la salle, par rapport au président de l'Assemblée (ce côté est dit le « côté de la reine »). Les autres, plus ou moins favorables à la Révolution, s'asseoient à la gauche du président (le « côté du Palais-Royal »).
De cette répartition des députés par affinités datent les clivages gauche-droite qui rythment aujourd'hui encore la vie politique dans toutes les démocraties.
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