Du 20 au 26 août 1789, à Versailles, l'Assemblée nationale constituante, qui s'est substituée aux états généraux, discute et adopte la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Il s'agit d'un préambule à la future Constitution que préparent les députés.
Cette déclaration solennelle n'est pas la première en son genre mais c'est la première qui s'inscrit dans une optique universelle et non pas seulement nationale. « Il ne s'agit pas d'une déclaration des droits qui doive durer un jour. Il s'agit de la loi fondamentale des lois de notre nation et de celle des autres nations, qui doit durer autant que les siècles », déclare le député Dupont de Nemours en la séance du 8 août.
De fait, article après article, elle met en avant les principes qui s'appliquent à tous les êtres humains et, immédiatement après, les conditions de leur mise en oeuvre au niveau des associations politiques et de la première d'entre elles, la nation. Notons qu'elle est aussi écrite dans une langue belle et concise. Tous ces éléments font qu'elle demeure à ce jour un document inégalé propre à rallier les hommes de toutes les nations.
L'accomplissement des Lumières
Tandis que débute la Révolution française, sous le regard bienveillant du reste de l'Europe, les députés veulent offrir au monde un texte qui condense leurs aspirations et donne un sens à leur combat contre l'absolutisme royal et l'arbitraire de l'administration. Ils y réussissent d'une remarquable manière en s'inspirant des textes anglo-saxons.
Un siècle plus tôt, au cours de la « Glorieuse Révolution » célébrée par Voltaire, les Anglais ont en effet jeté les bases de la démocratie parlementaire moderne en imposant à leurs souverains le Bill of Rights et l'Habeas Corpus. Et le 4 juillet 1776, les habitants des colonies anglaises d'Amérique ont proclamé leur indépendance dans une très belle Déclaration qui a énoncé pour la première fois le « droit à la poursuite du bonheur ».
La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen réalise la synthèse de ces textes et des idéaux politiques du « Siècle des Lumières ». Elle s'applique à l'ensemble des êtres humains, hommes et femmes réunis. Cette universalité découle du genre neutre du mot Homme, qui désigne aussi bien les femmes que les hommes dans la langue française. Le genre neutre a d'ailleurs été repris en 1948 par les rédacteurs français de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (en anglais : Universal Declaration of Human Rights).
Le texte réussit aussi le tour de force d'énoncer les droits de l'individu en faisant fi du régime politique (monarchie constitutionnelle ou république) et de la religion (il se contente d'invoquer l'Être suprême et garantit la liberté religieuse de chacun). Il ne cite ni le christianisme ni le roi.
Notons d'ailleurs qu'il ne fait qu'une seule fois référence à la France, encore est-ce de façon indirecte dans le préambule avec la référence aux représentants du peuple français ! La construction des articles est remarquable dans sa logique déductive qui va de l'universel au particulier, d'où la distinction dans le titre entre l'Homme et le Citoyen.
Rédigée sous le règne de Louis XVI, trois ans avant sa chute, par des députés tous royalistes, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen peut être considérée comme le testament de la monarchie... ou comme son acte de décès. Le roi, qui s'oppose de toutes les façons possibles à l'Assemblée nationale, se résoudra à la ratifier le 5 octobre, sous la pression de la foule accourue de Paris à Versailles et sur les instances de La Fayette.
Au sein de l'Assemblée Constituante, un comité de cinq membres a été chargé de préparer le texte de la Déclaration. Ses plus remarquables animateurs sont Mounier, l'abbé Sieyès et Mirabeau. D'emblée, ils affichent un double objectif qui sera pleinement atteint :
• Trouver « une forme populaire qui rappelle au peuple non ce qu'on a étudié dans les livres ou dans les méditations abstraites, mais ce qu'il a lui-même éprouvé » (Mirabeau),
• S'adresser à l'ensemble du monde et pas seulement aux Français en vue de faire « renaître une fraternité universelle » (Mirabeau).
Par sa clarté et sa précision, la Déclaration est un chef-d'oeuvre de la langue française classique et un texte de droit exemplaire. Son caractère universel et intemporel est tout aussi remarquable que sa prestance littéraire.
L'Article premier s'adresse en particulier à l'ensemble des êtres humains, sans distinction de nationalité, de sexe, de religion ou de race. Il récuse les privilèges et condamne implicitement l'esclavage et toute autre forme de ségrégation, sexuelle, religieuse ou raciale.
Cet Article premier tient en deux phrases tranchantes :
• Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits se présente comme un principe universel applicable à tous les êtres humains.
• Arrive une précision relative à l'application concrète de ce principe dans le cadre de toutes les associations politiques et en premier lieu dans la nation, quelle qu'elle soit : Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
Différents autres articles condamnent l'arbitraire, le totalitarisme et la tyrannie. Parmi les plus fréquemment cités figure l'Article IX, qui énonce : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne sera pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Cet article interdit de menotter un prévenu ou de le retenir en garde à vue sans motif sérieux. Deux siècles après sa rédaction, son application se fait attendre...
On pourrait cependant reprocher aux rédacteurs de n'avoir pas fait une place au devoir d'assistance de l'État envers les plus faibles et les plus démunis. Leur plume a aussi dérapé en qualifiant de sacrée la propriété, comme si celle-ci relevait des choses divines et transcendantes à l'humanité. Les députés, aveuglés sur ce point par leurs préjugés, se sont référés à une notion absolue de la propriété : toute chose a un propriétaire et ce qui est à moi n'est à personne d'autre. Cette conception moderne, pour nous évidente, n'est en rien universelle... Par exemple, au Moyen Âge, au contraire d'aujourd'hui, les droits de propriété s'entremêlaient en vertu de la coutume : au seigneur la propriété formelle de la terre et au paysan ainsi qu'à ses héritiers le droit d'exploiter celle-ci.
À ces réserves près, les Européens du XXIe siècle aussi bien que les Polynésiens, les Africains ou les Indiens d'Amazonie pourraient s'appliquer à eux-mêmes la Déclaration sans en retrancher ni y ajouter un mot.
Un texte inégalé à ce jour
Le caractère généralisateur et universel de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen fait sa supériorité sur les textes postérieurs, comme la Table des Droits de l'Homme décrétée en 1793 par la Convention mais aussi la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme proclamée par l'assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948.
Quand, en 1793, les députés de la Convention décrètent une nouvelle Déclaration, celle-ci tranche sur la première par ses approximations et sa médiocrité de style :
Article premier : Le but de la société est le bonheur commun [c'est une illusion que de présenter le « bonheur » comme la raison d'être d'une société ; au moins les Conventionnels américains se sont-ils contentés en 1776 d'évoquer la « poursuite » du bonheur]. Le gouvernement est institué pour garantir à l'homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles.
II. Ces droits sont l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété [notons, chose troublante, que la propriété est ici au même niveau que la liberté et l'égalité].
III. Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi [justifier l'égalité au nom d'un hypothétique ordre naturel affaiblit considérablement la portée du propos ; il n'est que de comparer deux êtres humains pour se rendre compte de leurs « inégalités » naturelles]...
Rédigée avec un souci excessif du détail, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 reprend pour partie le texte des Constituants français. Mais elle s'en écarte dès l'Article premier en mélangeant droits et devoirs de l'individu et en recourant à des formules vides et convenues (« agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité »).
Elle exprime surtout la pensée occidentale du XXe siècle dans ses deux volets, communiste et libéral. Ainsi, le droit au travail, le droit à l'éducation, la protection sociale, la protection contre le chômage ou encore le droit au logement peuvent signifier quelque chose pour les citoyens de Moscou ou de San Francisco. Mais ces droits ne veulent rien dire pour les habitants des îles Marquises, les Pygmées du Congo ou les Indiens d'Amazonie qui ignorent notre distinction entre les activités de loisir, de formation et de production et ont coutume de construire eux-mêmes leur logis.
N'en déplaise à feu René Cassin, qui supervisa la rédaction de la Déclaration universelle de 1948, il n'y aura jamais qu'une seule et authentique Déclaration des Droits de l'Homme, celle de 1789 !
Ce « catéchisme national » en dix-sept articles a été inscrit au préambule de la Constitution de la Ve République comme des précédentes. Mais les Français sont encore loin d'en avoir appliqué les préceptes. Les différences de statut entre salariés à emploi garanti à vie et salariés à contrat précaire ainsi que les avantages corporatistes (les « droits acquis ») contreviennent à l'Article premier, de même que la pratique du secret dans l'administration contrevient à l'Article XV et le traitement parfois humiliant infligé par la justice aux simples suspects (menottage) à l'Article IX.
Chacun connaît et honore le principe de la liberté d'expression, inscrit dans la Déclaration :
Article XI – La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi.
Les Constituants qui souhaitaient protéger avec cet article la liberté d'expression n'imaginaient pas qu'elle pourrait donner lieu à des abus du fait de médias qu'ils ignoraient encore : la publicité et internet. En plein essor depuis le milieu du XXe siècle, la publicité impose en effet à la vue de chacun, dans les médias et sur la voie publique, des messages qui n'ont pas été sollicités.
Il n'y a rien à redire aux messages publicitaires tant qu'ils ne heurtent pas les convictions et les pensées intimes des citoyens. Mais qu'en est-il lorsqu'ils étalent l'impudeur et la violence ? Quel parent n'a pas constaté au moins une fois le trouble de son enfant à la vue d'une affiche à caractère violent et pornographique ? Même chose avec les réseaux sociaux et internet : est-il normal que tout un chacun puisse accéder sans y prêter garde à des messages de haine ou à des vidéos à caractère violent et pornographique ?
Pour respecter l'esprit de la Déclaration de 1789, il importerait que les messages non sollicités (affichage public, spots télé) soient soumis à un strict contrôle de la part des pouvoirs publics. Car chacun, quel que soit son âge, doit avoir le droit d'exprimer, de voir et d'entendre ce qui lui plaît... mais aussi de ne voir ni entendre ce qu'il n'a pas envie de voir ou entendre ! Sur internet et les réseaux sociaux, la liberté d'expression doit être respectée sans restriction dès lors que l'accès au média (site internet ou réseau social) est subordonné à un abonnement payant, le paiement attestant de la volonté d'accéder au dit média et à son contenu. Sur les médias internet en accès libre, elle doit être strictement encadrée par les pouvoir publics de la même façon que la publicité. Ainsi sera pleinement respecté l'Article XI.











Vos réactions à cet article
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André Bitton (31-08-2025 14:20:25)
Il me semble qu'il est erroné de dire que la déclaration des droits de l'homme de 1789 est au préambule de la Constitution de la 5e République. Elle est une annexe de la Constitution et a été considérée comme ayant une valeur constitutionnelle par une décision sur la liberté d'association du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971.
Jacques (24-08-2021 17:10:00)
Très bien le paragraphe sur la publicité. L'affichage dans les lieux publics de messages provocateurs constitue bien un abus de la liberté d'expression, et souvent une véritable agression des convictions et de la sensibilité de ceux qui ne peuvent échapper à ses images obsédantes.
Merci à vous pour cette mise au point.
papijean (05-02-2013 19:43:34)
qui à cette époque fut considéré comme citoyen ? les citoyennes ? les gens de couleur ? les protestants ? les comédiens? Du reste il y eu les citoyens actifs payant un minimum d'impots et les citoyents dit passifs ...
Philippe (23-08-2012 17:13:20)
Votre article sur la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen appelle les nuances suivantes :
1) Non il n’y a pas eu de « vote » de la déclaration des Droits ce 26 juillet 1789. Les Archives parlementaires que nous pouvons lire, en particulier sur le site Gallica, font état d’un arrêt de la discussion et des votes des articles de cette déclaration afin de passer aux travaux de la Constitution. En effet p. 489 : « Le plus grand nombre des membres veut passer enfin à la Constitution ; d’autres veulent que l’on ne termine pas la déclaration des droits sans un article concernant la propriété ». Cette séance se termine par le mot du Président qui annonce que l’assemblée se réunira « l’après dinée » en bureaux pour s’occuper du rapport du comité des subsistances sur la libre circulation des grains à l’intérieur du royaume. (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495230/f557.image.r=d%C3%A9bats+parlementaires+1789.langFR )
2) Le 27 août au matin (p. 492) « L’ordre du jour appelle la discussion sur les articles additionnels proposés par divers membres à la déclaration des droits ». C’est alors que M. Bouche « demande que l’examen de ces articles soient renvoyés après la Constitution ». Ces archives permettent de lire la phrase suivante : « L’Assemblée décrète que la discussion des articles à ajouter à la déclaration des droits sera renvoyée après la Constitution » ! M. Bouche propose un arrêté dans ce sens ….
3) Dans son ouvrage « Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières Assemblées législatives » Etienne Dumont (De Genève), PUF, Paris, 1951, Nouvelle édition, conforme au manuscrit, publiée avec une Introduction et des Notes par J. Bénétruy, nous pouvons lire : « L’Assemblée Nationale réunie commença d’abord la fameuse déclaration des droits de l’homme, c’était une idée américaine …. Après bien des modèles rejetés, il y eu un comité de cinq personnes chargées d’offrir un nouveau projet : Mirabeau, l’un des cinq, eut la générosité qui lui était ordinaire de prendre sur lui ce travail, et de le donner à ses amis. Nous voilà donc avec Du Rouverai, Clavière, et lui-même, rédigeant, disputant, ajoutant un mot, en effaçant quatre, nous épuisant à cette tâche ridicule …. Et produisant enfin …. Notre mosaïque de prétendus droits éternels (note b : naturels d’après Duval) qui n’avaient jamais existé. … Je sentis le faux et le ridicule de ce travail. La déclaration des droits, disais-je, peut se faire après la constitution, mais pas avant ; car les droits existent par les lois … » (p. 97 Dumont)
Michel (08-08-2010 15:36:30)
L'article est bon mais il manque une seconde partie.Celle ci aurait pu mettre en exergue les points principaux des lacunes de la GAV de notre droit positif.Ainsi aurions nous été en mesure de comparer le chemin qu'il reste a parcourir...
Jacques Boutté (04-08-2009 08:31:17)
A quand une rédaction parallèle et de même qualité sur les "devoirs de l'homme" ? Toute règle doit connaître les limites de son application ,faute de quoi elle-même devient despotique .Tel ,par exemple, le droit d'user et non d'abuser pour définir la propriété .