Le 17 juin 1789, à Versailles, les députés du tiers état, renforcés par quelques curés issus de l'assemblée du clergé, se proclament « Assemblée nationale » sur une proposition de l'abbé Sieyès. Il va s'ensuivre une succession de journées déterminantes durant lesquelles le pouvoir légitime va basculer du trône vers l'assemblée...
Crise fiscale
Quelques semaines plus tôt, le roi Louis XVI a réuni les états généraux avec des représentants des trois ordres, clergé, noblesse et tiers état (bourgeoisie), en vue de trouver une solution à la faillite qui menace le gouvernement.
Héritée d'une tradition médiévale, l'assemblée des états généraux comporte des représentants des trois ordres : clergé, noblesse et tiers état. Le tiers état représente les Français qui n'ont droit à aucun privilège particulier. Ses députés sont issus de la bourgeoisie. La majorité est composée d'avocats.
Les députés affirment leur droit à légiférer
Considérant, selon le mot de Sieyès, qu'ils représentent les « quatre-vingt-seizièmes de la Nation », les députés du tiers état rejettent la division en trois ordres, se proclament Assemblée nationale mais aussi s'arrogent le droit d'autoriser la perception des impôts. À l'imitation des conventionnels américains... et des indépendantistes corses, les députés envisagent par ailleurs de fixer par écrit les futures règles de gouvernement et les attributions de chacun (roi, ministres, députés...) dans une Constitution.
Ils proclament ainsi que « les impôts quoique illégalement établis et perçus, continueraient d'être levés de la même manière que devant, jusqu'au jour où l'assemblée se séparerait » mais que « passé lequel jour, l'Assemblée entendait et décrétait que toute levée d'impôt qui n'avait pas été nommément, formellement et librement accordée par l'Assemblée, cesserait entièrement dans les provinces du Royaume ». Dans la foulée, quatre comités sont constitués : subsistance, vérification, rédaction et règlement.
Le serment du Jeu de Paume bafoue l'autorité du roi
Louis XVI prend fort mal la chose, d'autant que 149 députés du clergé sur 291, dont six prélats, acceptent de faire vérifier leur pouvoir auprès de la nouvelle Assemblée nationale et se rangent donc au côté du tiers état.
Sur les conseils de son entourage et d'une délégation de députés de la noblesse, le roi fait fermer la salle des Menus Plaisirs où les députés ont pris l'habitude de se réunir. Qu'à cela ne tienne. Le 20 juin 1789, les députés se retrouvent dans une autre salle de Versailles, au Jeu de Paume, sous la présidence de Bailly.
Sur une proposition de Jean-Joseph Mounier, le président Jean Sylvain Bailly lit une résolution à laquelle tous les députés (sauf un) vont souscrire en répétant à tour de rôle : « Je le jure ».
Cette résolution, connue comme le « Serment du Jeu de Paume » énonce :
« L'Assemblée Nationale, considérant qu'appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la régénération de l'ordre public et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu'elle continue ses délibérations dans quelque lieu qu'elle soit forcée de s'établir, et qu'enfin, partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée Nationale.
« Arrête que tous les membres de cette assemblée prêteront, à l'instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides, et que ledit serment étant prêté, tous les membres et chacun d'eux en particulier confirmeront, par leur signature, cette résolution inébranlable ».
Le roi s'incline
Le lendemain 21 juin, les députés se voient empêchés d'entrer dans la salle du Jeu de Paume que le comte d'Artois, frère cadet du roi, a réservé pour une partie de balle avec ses amis ! Les députés se rendent alors à l'église Saint-Louis toute proche. Le lieu étant sacré, le roi n'ose les en déloger ni ce jour ni le suivant.
Le surlendemain, le 23 juin, le roi Louis XVI se dispose à adresser à l'ensemble des députés un langage de fermeté. Il les fait réunir dans la traditionnelle salle de l'hôtel des Menus Plaisirs. Les députés entrent comme la première fois séparément, le tiers état étant obligé d'attendre à l'extérieur pendant une bonne heure.
Là-dessus, en l'absence de son ministre Jacques Necker, le roi lui-même s'adresse aux députés. Il leur reproche de n'avoir encore rien fait pour résoudre la crise financière puis leur rappelle que « l'ancienne distinction des trois ordres doit être conservée », que les trois ordres devront former trois chambres séparées et ne pourront délibérer en commun qu'avec l'accord du roi que « toutes les décisions prises depuis le 17 juin par les députés sont nulles, illégales et inconstitutionnelles ». Il ajoute que les députés pourront débattre des impôts, ce pour quoi ils ont été élus, mais en aucune façon « des affaires qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains États, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives des deux premiers ordres ».
Et voilà qu'après ce discours de fermeté, le roi fait distribuer aux députés un mémorandum intitulé : Les Intentions du Roi dans lequel il avance des pistes de réformes étonnamment avancées, en phase avec les cahiers de doléances et les revendications des députés. Ainsi, il presse la noblesse et le clergé de renoncer à leurs privilèges, promet d'alléger la gabelle, d'abolir la taille et les corvées, supprimer les douanes intérieures...
Le roi croit alors en avoir fini. Il conclut sur un ton de maître d'école : « Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite et de vous rendre demain matin chacun dans les chambres affectées à votre ordre pour y reprendre vos séances. J'ordonne en conséquence au grand maître des cérémonies de faire préparer les salles ». La noblesse et une partie du clergé s'exécutent et sortent derrière le roi et sa suite. Mais le tiers état et ses alliés du clergé, sidérés, se tiennent coi au milieu de la salle.
Le maître des cérémonies Henri-Évrard, marquis de Dreux-Brézé, s'avance vers eux et, s'adressant au président Bailly, lui rappelle l'injonction royale. À la porte, des gardes françaises et des gardes suisses se tiennent prêts à intervenir.
La postérité va magnifier l'incident en prêtant au tribun Mirabeau la célèbre harangue : « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté nationale et que nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes ». Des gardes entrent dans la salle pour la faire évacuer. Mais voilà que des députés issus de la noblesse s'interposent. Rien moins que le marquis de La Fayette et le duc de La Rochefoucauld. Les gardes n'osent pas agir et se retirent. Informé de l'incident, le roi aurait alors laissé tomber : « Ils ne veulent pas partir ? Eh bien, foutre ! Qu'ils y restent ! »
Dès le lendemain, 46 députés de la noblesse libérale conduits par le duc d'Orléans en personne (le cousin du roi) se rallient aux députés du tiers état et du clergé au sein de la nouvelle Assemblée nationale.
Le 27 juin, sur le conseil de son ministre Necker, le roi ordonne finalement à l'ensemble des députés de rejoindre l'Assemblée nationale. D'aucuns se réjouissent et croient alors que la Révolution est finie...
Mais à la cour de Versailles, l'entourage du roi ne désarme pas et l'on commence de rapprocher des troupes dans l'éventualité d'une épreuve de force. Pendant ce temps, dans les campagnes, les paysans s'agitent et commencent à s'en prendre aux châteaux et aux « terriers », les vieux registres sur lesquels sont inscrits les droits de propriété des seigneurs et les droits féodaux. Les rumeurs de massacres se répandent d'un village à l'autre. C'est la « Grande Peur ».
À la lumière de ces incidents, les députés comprennent que la refonte des impôts ne suffira pas à ramener la sérénité dans le pays. Ils décident de remettre à plat les institutions monarchiques, un ensemble de droits et de pratiques fondés sur les coutumes et les aléas de l'Histoire...
Le 8 juillet 1789, l'Assemblée nationale fait demander au roi, par l'intermédiaire de Mirabeau, de disperser les troupes. Sa demande est ignorée.. Le lendemain, 9 juillet, les députés officialisent leur projet de donner une Constitution au royaume. Ils se proclament « Assemblée nationale constituante ». C'en est fini de l'absolutisme royal. La Révolution, en fait, commence pour de bon.
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Voir les 4 commentaires sur cet article
didier bernadet (15-01-2019 20:42:07)
Cette noblesse libérale, inspirée par les tenants anglo-saxons du libéralisme était bien menée par le Duc d'Orléans, ci-devant grand Maître du Grand Orient. Détail non négligeable historiquem... Lire la suite
HARTEMANN (15-01-2019 17:26:08)
Et bien nous y voici. Merci à ces deux contributeurs pour leur "avance". Ils ont su faire l'addition et passer outre aux voix qui disaient: "Non , les Françaises et les Français sont trop bien "in... Lire la suite
Erik (17-06-2016 19:14:42)
Et nous voici 10 ans plus tard et toujours rien de serieux en vue...