Le 5 mai 1789, le roi Louis XVI ouvre les états généraux à Versailles. Il espère que les représentants des trois ordres qui composent le royaume, noblesse, clergé et tiers état, pourront valider une réforme profonde de la fiscalité sans se laisser arrêter par les coteries, les clans et les privilégiés.
C'est le dernier moyen qui lui reste pour sauver le royaume de la faillite. La dette de l'État est en effet telle que ses créanciers ne peuvent et ne veulent plus prêter de l'argent...
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Résultat d'une Histoire longue et embrouillée, le royaume a une structure administrative très confuse. Le gouvernement transmet ses ordres par l'intermédiaire des intendants qu'il a placés à la tête de chacune des 34 généralités. Celles-ci recoupent peu ou prou d'anciennes provinces et entités féodales.
Celles qui ont été le plus tardivement réunies au royaume ont généralement conservé leurs anciennes institutions et assemblées représentatives (États provinciaux, parlements...). On les appelle « pays d'États ». Elles sont relativement autonomes, ce qui leur vaut de payer moins d'impôts que les autres, les « pays d'Élections » (le terme est trompeur !)... À ces circonscriptions se superposent 135 diocèses et, dans le domaine judiciaire, 13 parlements et 4 conseils souverains.
Les impôts directs rapportent 190 millions de livres par an au Trésor. Ils pèsent de façon écrasante sur les catégories les plus modestes (paysans) et sont détournés de multiples manières par les agents du roi. C'est encore pire pour les impôts indirects. Le plus impopulaire est la gabelle. Cet impôt sur le sel, dont l'État a le monopole de la vente, rapporte 120 millions de livres par an aux fermiers généraux qui en font la collecte mais l'État n'en perçoit au final que 40 millions. La différence va grossir la fortune personnelle des fermiers généraux.
Malgré ces prélèvements fiscaux importants, les caisses du gouvernement sont vides. Une partie du budget est absorbée par les pensions des courtisans qui vivent grassement à la cour de Versailles autour du roi et des princes du sang. Au total pas moins de 15 000 personnes qui isolent le roi et le maintiennent dans l'ignorance de la situation du royaume. Les rentrées fiscales ont été aussi très lourdement obérées par les dépenses liées à la guerre d'Indépendance des États-Unis.
La crise de l'État est d'autant plus paradoxale que la France est alors le pays le plus riche et le plus puissant d'Europe. Ses industriels, ses marins et ses négociants tiennent la dragée haute aux Anglais et aux autres Européens.
Charles de Calonne, nommé contrôleur général du Trésor en 1783, fait des propositions qui reprennent en bonne partie les réformes tentées en vain par Turgot. Il veut soumettre ces propositions à une assemblée des notables en février 1787.
Mais les privilégiés bloquent ces tentatives de réformes. Ils refusent tout changement et s'accrochent d'autant plus à leurs avantages fiscaux qu'ils s'appauvrissent en menant grand train à la Cour... D'ailleurs, ils revendiquent eux-mêmes avec acharnement le paiement des redevances féodales et seigneuriales que leur doivent leurs paysans. Ces privilégiés dénoncent la volonté de réforme du roi comme un abus de pouvoir et une manifestation de tyrannie. Les plus habiles sont les magistrats du Parlement de Paris qui obtiennent le soutien du peuple et de la bourgeoisie éclairée dans la défense de leurs privilèges.
L'assemblée des notables doit être dissoute le 25 mai 1787. Le nouveau contrôleur général des Finances, Loménie de Brienne (par ailleurs archevêque de Toulouse), se montre sans expérience et sans imagination. Il tente de lever de nouveaux impôts. Il s'en prend aussi aux dépenses sociales, soulevant contre lui la colère du peuple et des parlementaires.
Le point d'orgue de cette colère est la « journée des tuiles » du 7 juin 1788, qui voit les habitants de Grenoble s'en prendre aux soldats à coup de tuiles jetées des toits. Les soldats avaient reçu l'ordre de renvoyer les parlementaires du Dauphiné sur leurs terres. C'est la première manifestation de révolte contre l'autorité royale.
Dans l'impasse, Loménie de Brienne ne voit bientôt plus d'autre issue que de convoquer les états généraux. Il pense que seule une assemblée des délégués de tout le pays peut imposer des réformes aux privilégiés et au Parlement. C'est ce qu'il suggère au roi avant de suspendre les paiements de l'État.
Face à la situation de quasi-faillite, Louis XVI se résout le 8 août 1788 à convoquer les états généraux. L'ouverture est prévue le 27 avril 1789 avant d'être reportée in fine au 5 mai suivant.
Le 25 août 1788, en attendant les états généraux, le roi renvoie Loménie de Brienne, exécré par le peuple et les parlementaires en raison de ses expédients financiers. Il ne trouve rien de mieux que de rappeler le banquier suisse Jacques Necker au contrôle général des Finances pour faire face à la panique.
Les états généraux avaient vocation au Moyen Âge d'autoriser le roi à lever des impôts exceptionnels. Ils ne s'étaient plus réunis depuis 1614.
L'assemblée de 1614 était constituée des représentants des trois ordres qui composaient la population du royaume : le clergé, la noblesse et le tiers état, ce dernier représentant la très grande majorité des Français qui ne bénéficiaient d'aucun privilège. Ces trois ordres étaient représentés en nombre égal et votaient séparément, ce qui assurait normalement aux deux ordres privilégiés une majorité automatique face au troisième.
Ce mode de scrutin est mis en cause à peine connue la décision de Louis XVI de réunir les États. Combien de représentants pour le tiers état ? L'assemblée de 1789 doit-elle voter par ordres ou par députés ?
Le 21 septembre 1788, le Parlement de Paris, qui a mené le combat en faveur de la réunion des états généraux, se prononce pour le maintien de la forme observée en 1614. C'est que les parlementaires figurent parmi les privilégiés. Ils réalisent avec retard qu'ils ont ouvert la boîte de Pandore et tentent de bloquer le processus de réforme. Mais c'est trop tard. Les bourgeois et quelques nobles libéraux comme La Fayette, surnommé le « héros des deux mondes », se liguent contre le Parlement et la haute noblesse.
Finalement, le 27 décembre 1788, à la demande de Necker, Louis XVI accorde le doublement des voix pour le tiers état mais ne dit rien du mode de scrutin dans la future assemblée (les trois ordres réunis ou chacun séparément).
Le 24 janvier 1789, le roi rédige la lettre officielle de convocation des états généraux :
« De par le Roi, Notre aimé et féal.
Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour Nous aider à surmonter toutes les difficultés où Nous Nous trouvons relativement à l'état de Nos finances, et pour établir, suivant nos vœux, un ordre constant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de Notre royaume. Ces grands motifs Nous ont déterminé à convoquer l'Assemblée des États de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour Nous conseiller et Nous assister dans toutes les choses qui seront mises sous nos yeux, que pour Nous faire connaître les souhaits et doléances de nos peuples, de manière que par une mutuelle confiance et par un amour réciproque entre le souverain et ses sujets, il soit apporté le plus promptement possible un remède efficace aux maux de l'État, que les abus de tous genre soient réformés et prévenus par de bons et solides moyens qui assurent la félicité publique et qui nous rendent à Nous particulièrement, le calme et la tranquillité dont Nous sommes privés depuis si longtemps.
Donné à Versailles, le 24 janvier 1789. »
La tension reste forte. Les élections se déroulent dans un climat passionnel aggravé par un mauvais hiver et des récoltes médiocres. Chaque bailliage ou sénéchaussée élit un député du clergé, un député de la noblesse et deux députés du tiers état. Tous les nobles de plus de 25 ans et les ecclésiastiques peuvent voter, de même que les roturiers qui paient une capitation d'au moins 6 livres.
Sur 1154 députés (environ), le tiers état en compte 578. Près de la moitié sont des avocats (Robespierre, Le Chapelier, Mounier, Barnave....). Les autres sont pour la plupart des bourgeois d'affaires ou de grands propriétaires fonciers. Quelques-uns sont des transfuges des autres ordres comme l'abbé Sieyès et le noble Mirabeau. Chez les 291 représentants du clergé, les humbles curés de paroisses sont les plus nombreux et l'on ne compte qu'une quarantaine d'évêques seulement. Les nobles sont au nombre de 285, dont seulement quelques dizaines de membres de la haute noblesse.
Chaque assemblée d'électeurs, dans les villes et les villages, rédige en prévision des états généraux un « cahier de doléances » (ensemble de souhaits à l'adresse du roi). Cette tradition remonte au XVe siècle. En 1789, elle aboutit à la rédaction d'environ 60 000 cahiers. Ils sont fusionnés au niveau de chaque bailliage par chacun des trois ordres puis réduits au niveau national à douze cahiers par ordre, enfin à une synthèse générale.
Beaucoup de ces cahiers sont calqués les uns sur les autres ou s'inspirent d'une brochure de l'abbé Sieyès. Ils n'en dressent pas moins un portrait fidèle des aspirations des Français. Ceux-ci se montrent respectueux de la monarchie mais souhaitent une limitation des pouvoirs du roi. Ils aspirent à la liberté individuelle ainsi qu'à la suppression des droits seigneuriaux et de la dîme (impôt d'Église qui frappe le tiers état).
Cahier des plaintes et doléances de la ville et banlieue de Toulouse, délibérées à l'Hôtel de Ville le 17 mars 1789.
Il a été délibéré :
Article premier. - De remercier très humblement Sa Majesté de sa bienfaisance envers la Nation, en la suppliant de vouloir bien recevoir avec bonté les sentiments de respect et d'amour que l'ordre du Tiers-État consacre pour toujours à sa personne et à sa gloire.
Art. 2. - De supplier les États généraux d'arrêter, conformément à la décision de Sa Majesté, que les députés du Tiers-État aux Assemblées nationales et provinciales seront toujours au moins en nombre égal à celui des autres deux ordres réunis, et qu'on y délibèrera par tête et non par ordre.
[NB : le 27 décembre 1788, le Conseil royal avait accordé le doublement du Tiers-État sans se prononcer sur le vote par tête] (...)
Article 5. - D'établir la liberté indéfinie de la presse par la suppression absolue de la censure à la charge par l'imprimeur d'apposer son nom à tous les ouvrages qu'il imprimera, et de répondre, solidairement avec l'auteur, de tout ce que ses écrits auront de contraire à la religion, à l'ordre général, à l'honnêteté publique et à l'honneur des citoyens.
Article 6. - De reconnaître et déclarer dans la forme la plus solennelle, par un acte authentique et permanent, que la Nation a seule le droit de s'imposer, c'est-à-dire d'accorder ou de refuser l'impôt, d'en régler l'étendue, la répartition, l'emploi, la durée, même d'ouvrir des emprunts ; et que toute autre manière d'imposer ou d'emprunter est illégale, inconstitutionnelle, et sera de nul effet.
Article 7. - De supprimer tout impôt distinctif et d'établir une égalité proportionnelle dans la répartition des impôts, tant réels que personnels, sur tous les sujets sans exception, et ce par un seul et même rôle. (...)
Article 17. - De supprimer les milices, comme nuisibles à l'agriculture et à l'industrie. (...)
Dès le 2 mai, les députés de chaque ordre sont présentés au roi selon un cérémonial mis au point par le maître des cérémonies, Henri Evrard, marquis de Dreux-Brézé. Les assistants sont choqués par les différences vestimentaires imposées aux différents ordres : costume chamarré pour les nobles, costume noir pour le tiers état.
Le 4 mai se déroule la procession solennelle du Saint Esprit. Le lendemain, enfin, a lieu l'ouverture solennelle des états généraux dans l'hôtel des Menus Plaisirs, au coeur de Versailles (la salle de réunion a aujourd'hui disparu mais l'hôtel, après de nombreuses avanies, a bénéficié d'une salutaire restauration).
Le long discours inconsistant de Louis XVI et celui, bourré de chiffres, de son ministre Necker déçoivent les députés. Le lendemain, les représentants du tiers état se dénomment « députés des Communes » à l'image des députés britanniques. C'est l'amorce de leur émancipation.
Comme il est question pour commencer de vérifier les pouvoirs des députés, le tiers état propose que la vérification se déroule en commun, première étape vers la fusion des trois ordres. Mais bien évidemment, les ordres privilégiés s'y refusent. Après un mois de tergiversations, le tiers état décide enfin le 12 juin de procéder seul aux vérifications. Il est rejoint par une poignée de curés représentants du clergé. C'est un nouveau pas vers le renversement de l'ordre ancien.
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Anonyme (29-11-2017 11:39:00)
Malgré ces prélèvements fiscaux importants, les caisses du gouvernement sont vides. Une partie du budget est absorbée par les primes des hauts-fonctionnaires qui vivent grassement à la cour de l'Elysée autour du Président et de ses ministres...
Eric (31-07-2010 06:34:17)
A en croire son site officiel (www.cmbv.fr), le Centre de Musique Baroque de Versailles, dépendant du Ministère de la Culture, occupe aujourd'hui l'ancien hôtel des Menus Plaisirs, avenue de Paris. Le site, longtemps abandonné, puis occupé par une caserne et les services techniques de la ville, a été entièrement restauré pour le CMBV. On peut encore y voir le grand escalier construit en 1789 et les salles aménagées pour les réunions du clergé et de la noblesse. La salle de l'Assemblée proprement dite a effectivement disparu, mais le dessin de son architecture a été redessiné au sol...