La Constitution des États-Unis d'Amérique a été publiée le 17 septembre 1787, soit quatre ans après le traité de Versailles qui consacra l'indépendance effective du pays... et plus de dix ans après la Déclaration unilatérale d'Indépendance.
C'est qu'il a fallu du temps aux représentants des treize États issus des anciennes colonies anglaises pour prendre conscience de la nécessité de créer des organes communs de gouvernement et se mettre d'accord sur les délégations de pouvoir...
Une gestation difficile
Le 15 novembre 1777, quelques mois après la Déclaration d'Indépendance, le Congrès de Philadelphie adopte les Articles de la Confédération qui font des Treize Colonies anglaises une confédération d'États souverains aux liens très lâches. Le pouvoir est confié à un Congrès continental réuni à Philadelphie, qui détient les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Le Congrès est assisté de trois départements (ou ministères) en charge des finances, de la guerre et des affaires étrangères. Quand il ne siège pas, un Conseil des États expédie les affaires courantes.
Paralysé par les rivalités entre les États, le Congrès se montre incapable de prendre des décisions, collecter les taxes fédérales, garantir la libre circulation des marchandises à l'intérieur du pays et défendre les intérêts américains à l'étranger.
Last but not least, en août 1786, des débiteurs du Massachusetts guidés par un ancien officier du nom de Daniel Shays attaquent les tribunaux pour bloquer l'action de leurs créanciers. La nécessité d'un pouvoir fort se fait alors plus que jamais sentir.
Pour contourner l'obligation d'un vote unanime du Congrès, tous les États sauf le Rhode Island conviennent de réunir leurs délégués à Philadelphie le 25 mai 1787 en vue d'amender les Articles de la Confédération.
Pour souligner l'autonomie de leurs États respectifs, ils adoptent la forme d'un Congrès d'États européens (en anglais « Convention ») plutôt que celle d'un Parlement.
Au nombre de 55, ces délégués étaient pour la plupart des personnalités publiques éclairées et instruites. Plus d'un tiers d'entre eux avaient participé à la guerre d'Indépendance. Ils travaillèrent à huis clos pendant huit semaines à partir d'un projet fourni par la délégation de Virginie et publièrent enfin la Constitution le 17 septembre 1787.
Leur performance leur valut de rester dans l'Histoire américaine sous le qualificatif de Founding Fathers (« Pères fondateurs »).
Présidés par George Washington, héros de la guerre d'Indépendance, les débats furent très agités mais ils aboutirent à un compromis suffisamment souple pour avoir donné satisfaction jusqu'à nos jours.
L'un des principaux rédacteurs du texte est Alexander Hamilton, avocat et ancien aide de camp de George Washington, délégué de New York à la Convention de Philadelphie.
Partisan d'un État fédéral fort, il publie un ensemble d'articles et d'analyses politiques, les Federalist Papers (Le Fédéraliste), en vue d'illustrer et défendre sa vision de la Constitution.
La Constitution finalement adoptée résulte d'un compromis entre les fédéralistes et les partisans de l'autonomie des États. C'est la plus ancienne de toutes celles qui existent aujourd'hui... mais elle est postérieure à la Constitution de la Corse, première Constitution du monde, depuis longtemps abrogée !
Très concise et d'une grande clarté, elle comporte en tout et pour tout sept articles divisés en environ 70 alinéas.
Issue de la philosophie des Lumières, elle s'inspire très directement des thèses exprimées par le philosophe anglais John Locke et son homologue français Montesquieu (L'Esprit des Lois, 1748).
C'est ainsi qu'elle instaure une stricte séparation des pouvoirs avec :
1– un président, qui exerce le pouvoir exécutif, c'est-à-dire exécute les lois,
2– un Congrès, qui exerce le pouvoir législatif, c'est-à-dire vote les lois,
3– une Cour suprême qui exerce le pouvoir judiciaire, c'est-à-dire veille au respect de la Constitution et tranche en dernier ressort les différends consécutifs à l'interprétation des lois.
La Constitution préserve soigneusement le caractère fédéral des États-Unis. Tout ce qui n'est pas expressément délégué à la fédération revient aux États... C'est la première application politique du principe de « subsidiarité » que le traité de Maastricht (1992) a remis à la mode (sans l'appliquer).
Dans un premier temps, les Conventionnels ont suggéré de conférer la royauté à George Washington, héros de la guerre d'Indépendance. Celui-ci, en démocrate sincère, a vigoureusement refusé et opté pour une présidence modeste.
C'est ainsi que pour la première fois au monde est instituée la fonction de président (« Mr President »). Il a un mandat de quatre ans renouvelable (depuis 1951, le mandat présidentiel ne peut être renouvelé qu'une fois).
Mr President a des pouvoirs très étendus. Il est tout à la fois chef de l'État et chef du gouvernement. Mais il reste en permanence sous la surveillance sévère du Congrès et de la Cour suprême. Ainsi, il commande les armées, dirige la diplomatie, négocie et conclut les traités, sous réserve de l'approbation des deux tiers des sénateurs présents, choisit les secrétaires (ou ministres) de son cabinet (ou gouvernement), nomme les juges et fonctionnaires fédéraux (quelques milliers de personnes).
Comme les constitutionnels ne croient pas en la clairvoyance des citoyens de base, ils confient le choix du président à de « grands électeurs » (electors) délégués par les États et désignés par les assemblées législatives de ces États ou élus par les citoyens. Les grands électeurs se prononcent dans la capitale de leur État et doivent désigner non pas un mais deux lauréats, dont un au moins qui soit étranger à leur État. Le lauréat qui obtient le plus de voix devient président, le deuxième devient vice-président. En cas d’égalité, la Chambre des représentants aura le dernier mot.
Très vite, le mode d'élection du président a abouti à l'invention d'un animal jusque-là inconnu, le parti politique : il permet aux candidats d'en appeler directement aux citoyens par le biais d'un large cercle de militants dévoués et... généreux.
Comme en Grande-Bretagne, deux partis dominent la vie politique et c'est régulièrement de l'un ou de l'autre qu'est issu le président. Dans l'année qui précède l'élection, chaque parti désigne son candidat au terme d'une succession de primaires. Il s'agit de réunions électorales qui se déroulent dans les différents États et au cours desquelles les militants sont invités à voter pour le candidat de leur parti.
2 – Deux Chambres au Congrès
Le Congrès (en Europe, nous dirions Parlement) est composé de deux Chambres :
• la Chambre des Représentants (en Europe, nous dirions « députés »), en anglais : The House of Representatives. Ses membres représentent l'ensemble des citoyens.
• le Sénat représente les États à raison de deux sénateurs par État, quelle que soit la population de celui-ci (on compte aujourd'hui 100 sénateurs pour 50 États).
Ce bicamérisme, avec deux assemblées concurrentes, reflète la volonté de préserver l'autonomie des États et de prévenir les abus de droit du gouvernement central (ou fédéral).
Le Congrès lève les impôts, vote les lois et le budget. Il veille d'autre part à ce que leur exécution se fasse dans les règles.
Le Congrès est seul habilité à déclarer la guerre... mais depuis 1973, en vertu du War Power Act, il peut aussi accorder au Président le droit d'engager les forces armées sans autorisation préalable pendant un délai de 60 jours. Le président George W. Bush a fait usage de ce droit en 2003 pour intervenir en Irak.
Le Congrès peut enfin amender (ou modifier) la Constitution à la majorité des 2/3 et sous réserve d'une ratification par les 3/4 des États.
Dès son entrée en fonction, en 1789, le Congrès a voté et ratifié dix amendements pour corriger quelques menues imperfections du texte constitutionnel. Depuis lors, il n'a introduit que 17 amendements supplémentaires dont les célèbres amendements relatifs à l'interdiction de l'esclavage et aux droits civiques.
Les deux chambres du Congrès siègent à Washington dans un immeuble monumental érigé en 1793 sur la colline du Capitole (ainsi nommée en souvenir de la Rome antique).
Le Sénat est renouvelé par tiers tous les deux ans, chaque sénateur ayant un mandat de six ans. L'élection se fait au suffrage universel direct depuis un amendement constitutionnel de 1913.
Du fait du renouvellement par tiers, le Sénat échappe aux changements brusques de majorité. Bénéficiant d'une grande stabilité, les sénateurs sont devenus, avec le temps, des personnages respectés et écoutés, à la différence des représentants, plus enclins à suivre leur électorat.
La Chambre des Représentants est renouvelée tous les deux ans !
À la Convention de Philadelphie, l'élection desdits représentants donna lieu à une épineuse question : combien de sièges attribuer à chaque État ? Le plus logique voulait que le nombre de sièges ainsi que la contribution fiscale de chaque État soient proportionnés à leur population. Mais comment compter les esclaves, nombreux dans les États du Sud ? L'un des Pères fondateurs, James Wilson, proposa le « compromis des trois cinquièmes » (Three-fifths compromise) : chaque esclave serait comptabilisé comme 3/5 d'un homme libre. Quant aux Indiens, ils seraient comptés pour rien. Chacun appréciera comme il se doit la beauté du geste... Ce compromis perdura jusqu'à la guerre de Sécession, dont l'issue conduisit à l'émancipation des esclaves.
Initialement, les sénateurs et les représentants de la Chambre étaient élus selon les modalités propres à chaque État ; tel État pouvait accorder le droit de vote sans préjudice du revenu fiscal, de la couleur de peau ou même du sexe. Il s'ensuit qu'en 1800, 600 000 personnes possédaient le droit de vote sur un total de 5 230 000 habitants (Indiens non compris).
Le Wyoming fut le premier État à accorder aux femmes le droit de vote en 1869 et il fallut attendre le XVe Amendement à la Constitution, en 1870, pour que les anciens esclaves obtiennent formellement les mêmes droits que les Blancs, y compris les droits civiques. Il faudra encore attendre le XIXe Amendement, en 1920, pour que les femmes soient partout habilitées à voter.
En 1929, il fut décidé de limiter une fois pour toutes à 435 le nombre de représentants à la Chambre. Il s'ensuit dès lors, à chaque recensement, tous les dix ans, la nécessité de redessiner de façon équitable toutes les circonscriptions électorales. Cela donne lieu à une grande joute politicienne, le gerrymandering (d'après Elbridge Gerry gouverneur du Massachusets, accusé dès 1811 de s'être livré à ce qu'il est convenu d'appeler en France un « charcutage électoral »).
Le renouvellement de la Chambre des Représentants et les élections sénatoriales se déroulent le même jour que l'élection du Président des États-Unis, ainsi que, deux ans plus tard, à la mi-mandat de celui-ci (midterms elections). Les élections de mi-mandat se soldent très généralement par un recul du parti présidentiel, victime de l'épreuve du pouvoir. Les exceptions sont rarissimes (Roosevelt 1934, Clinton 1998, Bush Jr 2002).
Lors des élections présidentielles, tous les quatre ans, les citoyens américains votent tout à la fois pour les Grands électeurs mais aussi pour les Représentants ainsi que pour un tiers de sénateurs, sans parler des élus locaux... Dans certaines villes ou États, il arrive de la sorte que le bulletin de vote ait les dimensions d'une page de journal !
Les neuf membres de la Cour suprême sont nommés à vie par le Président avec le consentement du Sénat. Ils sont inamovibles et donc indépendants, avec aussi une moyenne d'âge élevée qui les prédispose au conservatisme. « Ils ne démissionnent jamais et meurent très peu », dit-on d'eux avec le sourire. Mais ils sont très respectés par l'ensemble des citoyens.
La Cour suprême jouit d'un pouvoir non négligable et en use à l'occasion contre le président.
Le président de la République n'a pas le pouvoir de dissoudre le Sénat ou la Chambre des représentants en cas de conflit. Il jouit seulement d'un droit de veto sur les décisions législatives et peut ne pas appliquer une loi du Congrès mais celui-ci peut passer outre s'il réunit une majorité des deux tiers autour de son texte. Le Congrès a ainsi rejeté le traité de Versailles signé en 1919 par le président Wilson et empêché les États-Unis de se joindre à la Société des Nations (l'ancêtre de l'ONU).
Ce type de conflit caractérise le système présidentiel américain. Il le distingue du système parlementaire en vigueur par exemple en Grande-Bretagne, où le Premier ministre (le chef de l'exécutif) est responsable devant le Parlement et peut être renversé par celui-ci. Le Congrès de Washington ne peut d'autre part démettre le président qu'au terme d'une procédure très lourde, l'impeachment. Cette procédure a été engagée contre Richard Milhous Nixon suite au scandale du Watergate. Le président a choisi de démissionner en août 1974 avant qu'elle n'aboutisse.
La Constitution à l'épreuve
Dès le début, les hommes politiques américains tentent de faire évoluer les institutions dans le sens de leurs intérêts et de leurs opinions :
– d'un côté, les « fédéralistes », rassemblés autour de John Adams et Alexander Hamilton, nombreux dans le Nord industriel. veulent renforcer le pouvoir central et jeter les bases d'une économie moderne.
– de l'autre, les « républicains démocrates » groupés autour de l'idéaliste Thomas Jefferson représentent l'élite aristocratique et « éclairée » du Sud. Ils aspirent à un minimum d'État et un maximum de liberté, dans une économie bucolique à dominante agricole.
Ce clivage va se prolonger jusqu'à la veille de la guerre de Sécession avant de céder la place à la rivalité entre « républicains » et « démocrates ».
Peu après l'entrée en fonction du premier président de la République, Georges Washington, élu le 4 mars 1789, décision est prise d'ajouter à la Constitution dix amendements relatifs aux droits individuels. C'est la Déclaration des Droits (en anglais Bill of Rights), publiée le 17 décembre 1791. Il y a déjà eu un précédent avec le vote d'une première Bill of rights par le Congrès de la colonie de Virginie, le 12 juin 1776, à l'initiative d'un certain George Mason. L'expression elle-même dérive de l'acte agréé par le roi d'Angleterre Guillaume d'Orange en 1688.
Le Bill of rights comporte dix articles très courts, inspirés d'assez loin par les 17 articles de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Parmi ces dix articles ou amendements, le deuxième pose d'une part le droit pour chacun d'être armé en vue de pouvoir s'associer à une milice de défense, d'autre part le droit pour chacun d'assurer sa sécurité et celle de ses biens. En vertu de cet amendement, les Américains peuvent librement acheter des armes et s'en servir sous le motif de légitime défense.
En plus de deux siècles, les Américains n'ont ajouté à leur Constitution que 17 amendements supplémentaires en plus des dix amendements de la Déclaration des Droits (l'un d'eux, concernant la prohibition de l'alcool, a été abrogé et il n'en reste que 16). Cette stabilité est une preuve d'efficicience de la Constitution américaine et un atout pour la démocratie américaine (à titre de comparaison, les Français ont modifié leur Constitution de 1958 presque autant de fois dans les deux dernières décennies).
Vos réactions à cet article
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jdesm (14-09-2012 18:35:03)
Malheur d'avoir en France une constitution qui bouge trop souvent... et il en est des lois de la République comme de la fiscalité qui changent sans arrêt ! Quelle incohérence. Un peu de stabilitÃ... Lire la suite
JC PETON (17-09-2009 08:18:50)
Info claire, concise et pertinente. On pourrait ajouter pour l'anecdote qu'un seul amendement fût abrogé, donc qu'il n'en subsiste que 16 qui soient toujours valables, à savoir celui sur la prohibi... Lire la suite