Le roi de France Louis XV voit à la fin de son règne son autorité contestée par les juges. Ceux-ci, qui ont la charge d’enregistrer les lois, en profitent pour bloquer celles qui heurtent leurs privilèges.
Le roi saute l’obstacle en faisant arrêter et exiler les cent trente magistrats du Parlement de Paris le 20 janvier 1771. Le répit sera pour la monarchie de courte durée...
Une institution séculaire
Les Parlements avaient été constitués au Moyen Âge en vue d'appliquer les lois et de rendre la justice en appel. Ils étaient présents à Paris et dans une douzaine de capitales provinciales. Leurs membres étaient propriétaires de leur charge, souvent de père en fils. Au gré des conflits avec le gouvernement royal, ils avaient peu à peu acquis le droit de vérifier les lois avant qu'elle puissent avoir autorité. Ils étaient ainsi devenus des corps politiques incontournables.
A la fin du XVIIe siècle, les magistrats du Parlement, jouant sur l'homonymie avec le Parliament britannique, une assemblée politique à vocation législative, se virent déjà en arbitres de la politique gouvernementale. Ils s'autorisèrent à adresser au roi des remontrances concernant les lois qui leur paraissaient contraires aux lois fondamentales du royaume. S’il voulait forcer l’enregistrement d’une loi, le roi devait un « tenir un lit de justice » devant les magistrats.
En 1673, ne voulant à aucun prix prendre le risque d'une nouvelle Fronde, Louis XIV restreint les droits politiques des parlementaires, en particulier le droit de remontrance, et les renvoie à leur vocation de magistrats et de juges. Mais après sa mort, le 1er septembre 1715, le duc Philippe d'Orléans ne craint pas de restituer aux parlementaires leur droit de remontrance pour s'acquérir leurs faveurs et se voir confirmer la régence du royaume pendant la minorité de Louis XV !
Le Régent, une fois installé au pouvoir, tente de réparer son erreur initiale en dépouillant une nouvelle fois les magistrats de leurs droits politiques. Mais ces derniers ne se laissent pas faire et tout au long de la Régence et du règne de Louis XV, vont s'opposer systématiquement aux réformes qui menacent les privilèges sous couvert de défendre les libertés publiques.
Bras de fer royal
À chaque projet de réforme, le Parlement de Rennes est au premier rang des protestataires. Il prend fait et cause pour la noblesse, en prétextant des franchises de la province.
À l'instigation du procureur général Caradeuc de La Chalotais, les magistrats bretons s'opposent au gouverneur de la province, le jeune duc d'Aiguillon, qui désire lever un impôt supplémentaire. Ils démissionnent en bloc le 12 mai 1765.
Mais le roi fait arrêter La Chalotais, ennemi des Jésuites et acquis aux idées « philosophiques », et réduit le Parlement à l'obéissance. Comme le Parlement de Paris rejoint celui de Rennes, il lui impose à son tour le silence. De sa prison, La Chalotais continue d'agiter les esprits.
Le duc de Choiseul, qui est arrivé à la tête du gouvernement grâce à l'appui de l'ancienne favorite du roi, hésite à sévir contre les empiètements des parlementaires sur le pouvoir royal.
Favorable aux « philosophes », aux Encyclopédistes et sensible à l'esprit des « Lumières » comme son ancienne protectrice, la marquise de Pompadour, morte quelques mois plus tôt, il plaide la clémence auprès du roi.
En 1769 monte à la Cour de Versailles l'étoile de la comtesse du Barry, nouvelle favorite du roi. Son protégé, le garde des sceaux et chancelier de France René Nicolas de Maupeou obtient en décembre 1770 le renvoi de Choiseul.
Le duc est remplacé par un triumvirat de trois ministres, le duc d'Aiguillon lui-même, ministre des Affaires étrangères et de la Guerre, l'abbé Terray, seigneur de la Motte Tilly, contrôleur général des finances, surnommé « vide-gousset » par ses ennemis, et Maupeou, garde des sceaux.
Comme le Parlement de Rennes s'en prend au duc d'Aiguillon, le roi casse la procédure selon le droit qui est le sien et déclare irréprochable la conduite du duc. Là-dessus, le Parlement de Paris vient au secours de son confrère. Il publie un arrêt de remontrance au roi. Mais cet arrêt est aussitôt cassé par le Conseil d'État.
Le 7 décembre 1770, le roi fait enregistrer solennellement en lit de justice un édit de discipline. En représailles, les parlementaires suspendent leurs travaux et présentent une nouvelle fois des remontrances, imités par leurs collègues de province.
Le 18 janvier 1771, le Parlement de Paris ayant réitéré son refus de siéger pour entériner les décisions royales, le garde des sceaux Maupeou convainc le roi de briser son opposition systématique. Il s'exclame avec clairvoyance : « Y a-t-il un seul souverain ? Ou la France est-elle soumise à douze aristocraties ? »
Louis XV envoie ses mousquetaires au domicile des récalcitrants et les fait exiler en province, sans tenir compte des protestations de l'opinion éclairée, des bourgeois et même des princes du sang (sa propre famille).
Le chancelier abolit les Parlements coupables de vénalité, forme un nouveau Parlement avec des magistrats dociles et par un édit révolutionnaire, il supprime la vénalité des offices et introduit l'égalité de tous les sujets devant la justice... Mais ces mesures tardives ne font qu'aggraver l'impopularité du roi vieillissant, entouré de ses maîtresses et impuissant tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Les « parlements Maupeou » sont tournés en dérision par Beaumarchais. Malmené en 1773 dans un procès l'opoosant à un magistrat, l'écrivain déploie toute sa verve ironique dans quatre Mémoires judiciaires que l'on s'arrache dans les salons. Voltaire lui-même, à l'origine favorable à la disparition des anciens parlements, en vient à changer d'avis en lisant son jeune émule. Mais peu à peu, en dépit des reproches quant à leur supposée corruption, les nouveaux magistrats trouvent leur place au sein du système judiciaire cependant que le gouvernement, n'ayant plus à craindre de « remontrances », multiplie les réformes toutes plus hardies les unes que les autres.
Retour à la case départ
Dès son avènement, le 10 mai 1774, le nouveau roi Louis XVI (20 ans), veut à tout prix se défaire du « triumvirat » en dépit d'un travail remarquable. Il lui reproche son impopularité, qui est la marque de fabrique des réformateurs, et plus encore sa proximité avec l'ancienne favorite de son grand-père, la Du Barry. Il ne veut pas davantage renouer avec les « choiseulistes », proches des encyclopédistes et ennemis des dévots, qui reprochent à Choiseul l'expulsion des Jésuites. Faute de mieux, on lui souffle l'idée saugrenue de rappeler en mai 1774 le comte de Maurepas, un ancien ministre de la Marine de son grand-père. Celui-ci a été écarté des affaires depuis 25 ans pour avoir écrit une épigramme contre Mme de Pompadour (c'est en souvenir de cette « poissonnade » que les filles du défunt Louis XV, qui n'aimaient pas la marquise, l'ont recommandé à leur neveu !).
Le vieux débauché (73 ans) devient conseiller occulte du roi et occupe l'appartement de la Du Barry, relié par un escalier secret à celui du roi. Le 24 août 1774, enfin, à l'occasion d'une « saint Barthélemy des ministres », le ministère Maupeou est congédié et Maurepas devient ministre d'État et chef du Conseil royal des finances, avec le bon Turgot au contrôle général des Finances. Miromesnil, ancien président du Parlement de Rouen, devient garde des sceaux.
Au duc de la Vrillière qui vient lui réclamer les sceaux pour les remettre à son successeur, Maupeau déclare, amer : « Monsieur, le roi ne peut avoir d'autre reproche à me faire que mon trop de zèle pour le maintien de son autorité. Je lui avais fait gagner un procès qui durait depuis trois cents ans. Il veut le reprendre ; il en est le maître ».
Maurepas, triomphal, prépare sans attendre le rétablissement des anciens Parlements, avec le soutien de la haute noblesse et de la reine, et sous les applaudissements de la plèbe.
Après beaucoup d'hésitations et de reniements, le jeune roi (20 ans) l'approuve et signe le 27 septembre 1774 le rappel de l'ancien Parlement de Paris, croyant de bonne foi retrouver la faveur du public éclairé.
Le 12 novembre 1774, au cours d'un lit de justice, il réintègre les magistrats exilés dans leurs anciennes fonctions tout en leur adressant cette vaine admonestation : « Je veux ensevelir dans l'oubli tout ce qui s'est passé, et je verrais avec le plus grand mécontentement des divisions intestines troubler le bon ordre et la tranquillité de notre Parlement ».
Fatale décision. « On peut sans exagération dire que la Révolution date de 1774 », écrit l'historien Jean Tulard (note).
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Munierj (20-01-2021 06:56:06)
Le bon Turgot abolira les droits perçus sur le blé afin d'en assurer la libre circulation d'une région à une autre en France. Ce ne sera pas suffisant pour écarter la famine qui finira par emporter ce pouvoir monarchique corrompu, qui ne pouvait plu se relever de ses droits et privilèges. Si tout à débuté en 1774 tout est joué lors de l'abolition des privilèges en Août 1789 qui permet aux paysans de s'affranchir du droit du clergé et de la noblesse à lever indéfiniment des impôts sur l'activité agricole. 1789 à 1799 n'est qu'une lente et douloureuse mise à mort de ce vieux pouvoir pas assez précis sur le volet économique de la France d'alors. Turgot était bon certes, mais aussi clairvoyant car apte à mettre l'economie au service des besoins immédiats, et non à la restreindre par les prérogatives et droits ineptes. Necker, ministre des Finances ne pourra pas plus relever l'économie car arrivé trop tard. La France est en pleine sclérose liée à ces restrictions et privileges économiques de la monarchie et du clergé