Le samedi 1er novembre 1755, Lisbonne (235 000 habitants) est frappée par trois violentes secousses telluriques et plusieurs raz de marée. La très belle capitale du Portugal, qui doit sa prospérité à un immense empire colonial, est presque entièrement détruite par le séisme et l'incendie qui lui fait suite.
On dénombre 60 000 victimes. Beaucoup périssent dans l'effondrement des églises où elles assistaient à l'office de la Toussaint.
Le tremblement de terre est ressenti dans toute l'Europe, entraînant des oscillations jusque dans les lochsécossais et les lacs suisses. Les religieux et les philosophes de tout le continent y voient l'occasion de débattre de la miséricorde divine et des mérites de la civilisation urbaine.
Voltaire se fend d'un conte brillant, Candide, où il tourne en dérision les espoirs que plaçait le savant Leibniz dans la science et la connaissance comme moyens de faire progresser l'humanité. Il moque tout autant les religieux qui invoquent la soumission à la volonté divine.
Mais ses contemporains se montrent dans l'ensemble plus pragmatiques, à l'image du Premier ministre du Portugal : José de Carvalho e Melo, futur marquis de Pombal, lance une enquête dans tout le pays sur les indices avant-coureurs du séisme.
C'est la première fois que l'on tente une explication scientifique des tremblements de terre.
Le Premier ministre reconstruit par ailleurs les quartiers sinistrés avec des rues à angles droits et des constructions sobres. Sur les bords du Tage, le palais royal, détruit, est remplacé par la monumentale place du Commerce, coeur de la Lisbonne actuelle.
Le philosophe Michel Serres voit dans le tremblement de terre de Lisbonne la naissance du «scientisme», un mouvement de pensée qui culminera au XIXe siècle et s'étiolera à la fin du XXe siècle avec la montée des craintes face aux excès de la technologie.
En 1842, après l' accident de chemin de ferde Meudon, les élites renouvellent leur confiance dans le progrès, en dignes héritières des «Lumières». Aujourd'hui, les élites européennes invoquent à tout propos cette «philosophie des Lumières»... mais ellestournent le dos à la foi dans le progrès qui en est la caractéristique dominante.
Effrayées par l'emballement des innovations technologiques et les désastres causés à l'environnement par une croissance économique éperdue, elles doutent de l'avenir comme du passé, dans lequel elles ne voient que motifs de repentance et de contrition. Elles s'en tiennent à la gestion du présent et cultivent un individualisme désabusé. Elles sacralisent la consommation et le bien-être immédiats au détriment des efforts indispensables pour notamment prévenir les dangers liés au réchauffement climatique (autrement plus redoutable que le séisme de Lisbonne).
Vos réactions à cet article
Sylvie Lachaume (03-08-2013 23:09:11)
Vous oubliez de mentionner l'émouvant poème qu'écrivit Voltaire, à la suite de ce drame :
Poème sur le désastre de Lisbonne
de François-Marie Arouet, dit Voltaire
Ô malheureux mortels ! ô terre déplorable !
Ô de tous les mortels assemblage effroyable !
D'inutiles douteurs éternel entretien !
Philosophes trompés, qui criez : Tout est bien ;
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants, l’un sur l’autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans recours
Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours !
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous: « C'est l’effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix» ?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
« Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes »?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices?
Lisbonne est abîmée, et l’on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages :
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.
Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes,
Ma plainte est innocente et mes cris légitimes.