Le 9 décembre 1718, la conspiration de Cellamare, ambassadeur d'Espagne à la cour de France, est éventée. Elle visait à renverser le Régent Philippe d'Orléans, neveu de Louis XIV, au profit du roi d'Espagne, Philippe V (petit-fils du même Louis XIV).
Dans l'ombre, le cardinal Giulio Alberoni, Premier ministre de Philippe V, tirait les ficelles. Sur place, à Versailles, son ambassadeur pouvait compter sur l'appui de nombreux opposants au Régent. Les chefs de file du complot étaient le couple du Maine, le duc (lui-même fils naturel de feu Louis XIV) et la duchesse, petite-fille du Grand Condé.
Mais cette nouvelle « Fronde » aux airs de mascarade et de farce eut tôt fait d'attirer l'attention de l'abbé Dubois, proche du Régent, et se termina dans le ridicule qui sied à l'époque...
La duchesse du Maine, petite mais dangereuse
Tout commence dans le magnifique domaine de Sceaux, au sud de Paris, aménagé par André Le Nôtre, pour le compte de Jean-Baptiste Colbert.
Ce domaine et son château ont été cédés en 1700 au duc du Maine, Louis Auguste de Bourbon (1670-1736). C'est le préféré des enfants que Louis XIV a eus avec sa maîtresse Madame de Montespan. Il a épousé à Versailles, le 19 mars 1692, Anne-Louise Bénédicte de Bourbon-Condé (1676-1753), petite-fille du Grand Condé, le vainqueur de Rocroi. Ils ont eu au total sept enfants, restés sans postérité.
De très petite taille, la duchesse du Maine n'en manifeste pas moins un énergique caractère. À Sceaux, elle tient une véritable cour. Dans cette « petite cour de Sceaux », elle donne sans trêve des divertissements et des fêtes de nuits costumées. Tout ceux qui comptent dans le royaume s'y retrouvent : Voltaire et Émilie du Châtelet, la marquise du Deffand, Fontenelle, Montesquieu, d’Alembert, Henri François d’Aguesseau, Jean-Baptiste Rousseau etc. La duchesse fonde également un ordre parodique de la Mouche à Miel [ancien nom de l'abeille en langue d'oïl] avec cette devise : Piccola si, ma fa pur gravi le ferite (« Elle est petite, mais elle cause de cruelles blessures ») !
Plus sérieusement, la duchesse est contrariée d'avoir dû épouser un homme inférieur à son rang, fut-il l'enfant préféré du Roi-Soleil ! Elle n'a de cesse de pousser son mari de l'avant.
Elle en veut au Régent, d'avoir fait casser le testament par lequel le Roi-Soleil confiait à son mari l'éducation du jeune roi Louis XV et nourrit le projet de le renverser. Rien moins que cela.
À soixante-dix ans d'écart, une nouvelle Fronde s'ébauche donc dans les bals costumés de Sceaux. Pour ce faire, la duchesse du Maine obtient la participation du cardinal Melchior de Polignac, qui avait négocié les traités d'Utrecht, et du duc de Richelieu, arrière-petit-neveu du grand cardinal. Le duc est un libertin, amateur de duels et de jolies femmes. Il multiplie les conquêtes féminines, jusqu'à séduire la très licencieuse fille du Régent.
Le trio rallie à lui les mécontents du régime. Il recrute dans la moyenne noblesse outrée contre les pairs, les Bretons nostalgiques de leur indépendance, les parlementaires, les jésuites, l'armée. Les poètes et les écrivains ne se font pas faute quant à eux de diffuser des diatribes contre le Régent.
Il s'agit de lancer un début de rébellion qui donnerait à Philippe V, premier prince du sang, motif de lancer un appel aux états généraux, aux parlements et à Louis XV lui-même, contre le Régent. La Bretagne ouvrirait ses ports à la flotte espagnole cependant que, par Bayonne, une armée espagnole entrerait dans le royaume.
Cellamare, cheville ouvrière du complot, recrute autant de monde qu'il peut, sans regarder à la dépense.
Un secret mal gardé
Mais le secret arrive en septembre 1718 à l'oreille de l'abbé Guillaume Dubois, ministre des Affaires étrangères du Régent, par l'intermédiaire d'un modeste copiste de la Bibliothèque du roi, Jean Buvat. Cellamare lui avait confié le soin de calligraphier ses messages et les mettre en bon français. Mis au courant des échanges entre les comploteurs, le ministre les laisse faire, attendant son heure.
Le 18 novembre 1718, on donne au Théâtre Français la première d'Œdipe, une tragédie écrite par un protégé de la duchesse du Maine, pendant un séjour à la prison de la Bastille ! On entendra encore longtemps parler de cet auteur qui s'est donné le pseudonyme de Voltaire ! Sa pièce, qui traite de l'inceste, nourrit les rumeurs médisantes à l'égard du Régent et de ses rapports avec sa fille préférée, Élisabeth.
Le Régent n'en a cure et assiste à la représentation avec sa fille, enceinte des œuvres de son mari, le duc de Berry. Il applaudit à tout rompre la pièce, malgré la présence dans les loges de ses ennemis. À la fin, il réclame l'auteur, le félicite et le gratifie d'une pension de deux mille livres.
Voltaire, qui gardait le souvenir de son passage à la Bastille, lui exprima sa gratitude en ces termes : « Je remercie Votre Altesse Royale de continuer à se charger de ma nourriture, mais je la supplie de ne plus se charger de mon logement ». Tout finit dans un éclat de rire...
Le 2 décembre au soir, enfin, le complot se précise. Dubois est informé par la tenancière d'un bordel que l'un de ses habitués, le secrétaire de l'ambassadeur espagnol, est arrivé en retard et s'est justifié en évoquant l'envoi d'un courrier urgent à Madrid. Dubois connaissait déjà, par son espion copiste, le contenu de ce courrier : un appel de la noblesse française à Philippe V.
Une semaine plus tard, Dubois et Le Blanc, ministre de la Guerre, investissent à l'improviste l'ambassade d'Espagne. Cellamare s'enfuit sous un déguisement cependant que ses complices sont arrêtés. Le duc du Maine lui-même, terrorisé, est envoyé à la citadelle de Doullens, en Picardie, tandis que son épouse, incrédule, est conduite au château de Dijon.
Le duc de Richelieu rejoint la Bastille. « Si M. de Richelieu avait quatre têtes, j'aurais dans ma poche de quoi les faire couper toutes les quatre... Si seulement il en avait une ! » observe le Régent à propos de cet écervelé.
Les simples comparses sont exécutés, les plus élevés en titre sont pardonnés par le Régent, fidèle à sa réputation de débonnaire. Parmi eux le duc et la duchesse du Maine, le prince de Conti, le cardinal de Polignac, les habitués de « la petite cour de Sceaux » et les Chevaliers de la Mouche à Miel ! Le Régent, avide de revanche, ne se prive pas toutefois du plaisir de les ridiculiser en faisant connaître au public les vilaines manies des uns et des autres.
À Madrid, le 14 décembre, « Alberoni, persuadé que la révolution brûlait déjà la France, chassa le duc de Saint-Aignan [l'ambassadeur de France à Madrid], puis, se ravisant, voulut l'arrêter, mais ne prit qu'un laquais couvert des vêtements de son maître. » (Philippe Erlanger, Le Régent, Gallimard, 1938). Comble de malchance, le Premier ministre espagnol apprit que le roi de Suède Charles XII, sur lequel il comptait dans son offensive contre la France, venait de se faire tuer devant la forteresse de Fredrikshal, en Norvège, le 11 décembre 1718.
De la farce à la guerre
Entre-temps, faisant fi de la Triple-Alliance qui réunit l'Angleterre, les Provinces-Unies et la France contre lui (traité de La Haye du 4 janvier 1717), le roi d'Espagne a tenté de s'approprier la Sardaigne, promise par le traité d'Utrecht à l'Autriche, puis la Sicile, possession de la Savoie ! Mauvais calcul. L'Autriche, ulcérée par ce coup de force, rejoint la Triple-Alliance par le traité de Londres du 2 août 1718.
Le 28 décembre 1718, l'Angleterre, membre de cette Quadruple-Alliance, déclare la guerre à l'Espagne ! Le Régent lui apporte son soutien après avoir lu devant le Conseil de Régence deux lettres qui témoignent du complot contre la France d'Albenoni et Cellamare. Les courtisans et l'opinion oublient derechef l'alliance par laquelle Français et Espagnols avaient résisté à l'Europe entière dans la décennie précédente, lors de l'effroyable guerre de la Succession d'Espagne.
La France déclare à son tour la guerre à son ancienne alliée le 9 janvier 1719. Une armée franchit la Bidassoa au printemps sous le commandement du maréchal Jacques de Berwick, fils naturel du roi Jacques II Stuart. Elle met le siège devant Fontarabie, en face d'Hendaye, et emporte la ville le 17 juin. À l'automne, les Anglais débarquent en Galice cependant que les Provinces-Unies déclarent à leur tour la guerre à l'Espagne.
Philippe V se résout à négocier. Dubois et ses alliés exigent au préalable l'éviction d'Alberoni. C'est chose faite le 9 décembre 1719. Philippe V congédie son Premier ministre, lequel doit s'enfuir en Italie. La paix est signée à La Haye le 20 février 1720. Le roi d'Espagne renonce formellement à la couronne de France.
Dubois en sera récompensé en 1721 par la barrette de cardinal puis en 1722 par la fonction de principal ministre. Ainsi se comparera-t-il à ses prédécesseurs illustres Richelieu et Mazarin !
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