Le roi Louis XIV s'éteint à Versailles le 1er septembre 1715, quatre jours avant son soixante-dix-septième anniversaire. Nul, dans le monde, n'aura régné aussi longtemps que lui (72 ans).
Le Roi-Soleil laisse une France au sommet de sa puissance mais épuisée par les guerres, en particulier la dernière : la guerre de la Succession d'Espagne. Aussi la Cour et la plupart des contemporains accueillent-ils sa disparition avec un discret soulagement...
Son arrière-petit-fils lui succède sous le nom de Louis XV.
Un roi jusqu'au bout respectueux de son devoir
Le 10 août précédent, à son retour de promenade dans les jardins de Marly, le vieux souverain éprouve une vive douleur à la jambe. Son médecin Guy-Crescent Fagon diagnostique une simple sciatique. Mais des tâches noires apparaissent bientôt et révèlent une gangrène sénile. Stoïque, le roi supporte la douleur sans broncher et poursuit ses activités comme si de rien n'était. Le 13 août, il s'offre même le luxe de renouveler les féeries de Versailles pour accueillir un prétendu ambassadeur du chah de Perse.
Le 25 août, à la Saint-Louis, il doit toutefois se résigner à s'aliter et, en bon chrétien, reçoit l'extrême-onction des mains du Grand aumônier, le cardinal de Rohan, et se résigne à sa mort prochaine. On l'entendra dire à ses garçons de chambre, le 28 août, selon le récit de Saint-Simon : « Pourquoi pleurez-vous ? M'avez-vous cru immortel ? »
Le 26 août, il reçoit son arrière-petit-fils, qui n'a encore que cinq ans. L'enfant est son héritier légitime du fait des deuils qui ont massivement frappé la famille royale (on ne peut s'en étonner quand on connaît les faiblesse de la médecine au temps de Louis XIV).
« Mon cher enfant, lui dit son bisaïeul, vous allez être le plus grand roi du monde. N'oubliez jamais les obligations que vous avez à Dieu. Ne m'imitez pas dans le goût que j'ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager votre peuple autant que vous pourrez, ce que j'ai eu le malheur de ne pouvoir faire par les nécessités de l'État. Songez toujours à rapporter à Dieu vos actions. Je vous donne le père Tellier pour confesseur : suivez ses avis et ressouvenez-vous toujours des obligations que vous avez à Mme de Ventadour ».
Après avoir renouvelé ses adieux à la Cour et à son épouse Madame de Maintenon, il rend le dernier soupir au petit matin sur ces derniers mots : « Je m'en vais, mais l'État demeurera toujours » (tout le contraire de la formule apocryphe, qu'il n'a jamais prononcé : « L'État, c'est moi »).
Là-dessus, selon un rituel bien établi, le duc de Bouillon, Grand chambellan du roi, paraît au balcon de la cour de Marbre (côté ville), coiffé d'un chapeau à plumes noires, et lance aux courtisans : « Le roi est mort », puis il réapparaît avec un chapeau à plumes blanches : « Vive le roi ! ».
« Le roi est mort ce matin à huit heures un quart et demi et il a rendu l'âme sans aucun effort, comme une chandelle qui s'éteint » (baron de Breteuil).
Funèbre rituel
La dépouille royale est alors autopsiée et l'on peut constater que la gangrène a gagné la moitié du corps. Elle subit ensuite une « tripartition » rituelle sous la supervision du Premier médecin Fagon et du Premier chirurgien Mareschal : le coeur et les entrailles sont extraits en vue d'être inhumés qui à l'église Saint-Louis des Jésuites, dans le quartier parisien du Marais, qui à Notre-Dame de Paris.
Tant bien que mal embaumée, la dépouille est exposée le restant de la journée dans son lit de trépas. Le lendemain, elle est mise en bière et c'est devant celle-ci que viennent se recueillir les courtisans la semaine durant, dans le salon Mercure, contiguë de la chambre à coucher du roi.
Dans la nuit du 9 septembre 1715, le cercueil est déposé sur un char drapé de velours noir et tiré par huit chevaux. Et c'est à la lumière des torches que le cortège funèbre, fort d'un millier de personnes, gagne à pas lents la nécropole royale de Saint-Denis, en contournant Paris, selon un rituel austère inauguré par Louis XIII, en rupture avec la somptuosité des funérailles royales antérieures. Les trente kilomètres du parcours sont effectués en une dizaine d'heures.
Dans le haut choeur de la basilique, transformé en chapelle ardente, le cercueil va être exposé pendant quarante jours à l'hommage des fidèles. Les obsèques solennelles ont lieu le 23 octobre à Saint-Denis et le 28 novembre à Notre-Dame de Paris.
Selon le rituel de la cour, le petit roi Louis XV portera le deuil de son aïeul pendant un an, en violet, couleur réservée au souverain. Les courtisans, quant à eux, s'en tiendront au noir, qui a remplacé le blanc comme couleur habituelle du deuil à la fin du XVIe siècle.
Un testament piégé
Les courtisans et conseillers n'ont pas attendu toutefois la mise au tombeau pour accommoder à leur manière les dernières volontés du monarque...
Le Roi-Soleil n'avait plus de fils ou petit-fils légitime en âge de lui succéder, à part le roi d'Espagne Philippe V, qui a officiellement renoncé à ses droits de succession.
Aussi a-t-il tôt songé à une alternative hors-norme : le 29 juillet 1714, brusquant toutes les règles en vigueur, il élève solennement ses enfants naturels au rang de princes du sang aptes à ceindre la couronne en cas d'extinction de la descendance légitime, ce qui revient à faire du duc du Maine (45 ans), son préféré, qu'il a eu de Mme de Montespan, un successeur potentiel.
Le 28 août 1714, il remet au Procureur du Parlement une liasse qui contient son testament. Il institue un Conseil de régence présidé par le duc Philippe d'Orléans (41 ans), premier prince du sang. Mais comme il se méfie de ce neveu qui a la réputation d'un débauché et lorgne sur le trône, il prévoit de confier l'éducation du petit roi au duc du Maine.
Un an plus tard, faisant ses adieux à la Cour, Louis XIV avertit chacun : « Suivez les ordres que mon neveu vous donnera, il va gouverner le royaume. J'espère qu'il le fera bien ». Et pour éviter toute contestation de la part de son petit-fils Philippe V d'Espagne, il ordonne au lieutenant de police d'Argenson d'arrêter les courriers jusqu'à l'issue fatale. Ainsi le roi d'Espagne sera-t-il informé trop tard de la succession pour pouvoir la remettre en cause.
Dès le lendemain de son décès, le 2 septembre 1715, Philippe d'Orléans, mécontent de ces dispositions, demande au Parlement de Paris de casser le testament dans un lit de justice solennel. Le duc du Maine doit ainsi abandonner au Régent le commandement de la maison militaire du roi. En échange de ce service, les parlementaires obtiennent que leur soit restitué le droit de remontrance : « À quelque titre que j'ai droit à la régence, j'ose vous assurer, Messieurs, que je la mériterai par mon zèle pour le service du Roi et par mon amour pour le bien public, et surtout aidé par vos conseils et vos sages remontrances ; je vous les demande par avance ». Fatale concession qui va altérer le pouvoir royal jusqu'à la Révolution !
Le Régent, qui préfère la vie trépidante des salons parisiens à l'atmosphère empesée de Versailles, aggrave son cas en choisissant de demeurer à Paris, dans sa magnifique résidence du Palais-Royal, au milieu des coteries de toutes sortes. Il invite le petit Louis XV et sa famille à s'établir en face, au palais des Tuileries. La Cour ne se fait pas prier pour s'établir aussi dans la capitale.
Le 15 juin 1722, las d'être exposé aux huées des badauds et aux remontrances des parlementaires, le Régent décide de regagner Versailles avec le jeune roi et la Cour. Tout à la joie de retrouver le palais de son arrière-grand-père, Louis XV court dans les bosquets et les grands appartements et finit par s'étendre de tout son long sur le parquet de la Galerie des Glaces pour admirer la voûte peinte de Le Brun. Ainsi le palais retrouve-t-il son prestige avec la majorité du roi et la fin de la Régence.
Vos réactions à cet article
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Erik (28-01-2016 16:56:58)
J'apprends donc que la couleur du deuil était le blanc jusqu'à la fin du XVIème, à l'instar de nos amis chinois.
Philippe Boucher (24-01-2016 15:57:11)
Certes, le régent avait de grands défauts, mais il a sauvé la vie de Louis XV en le mettant à l'abri des "médecins" de l'époque. Or, si Louis XV avait succombé, le régent montait sur le trône.