Louis XIV, que ses contemporains surnommèrent non sans raison Louis le Grand ou le Roi-Soleil, eut un très long règne – plus long qu’aucun autre - ponctué de succès, d’échecs et aussi de tourments privés. Parmi ceux-ci figurent ses ennuis de santé, malgré un appétit et une vitalité hors du commun.
L’un d’eux, l’opération de la fistule du 18 novembre 1686, a acquis une dimension politique non négligeable, d’autant qu’elle se situe au tournant du règne...
Quitte ou double
Quand s’ouvre l’année 1686, le roi Louis XIV, qui approche de la cinquantaine, a motif d’être satisfait.
En trente ans de gouvernement personnel, il a fait de la France le plus puissant État européen. En 1682, il a transporté toute la Cour dans le palais de Versailles, objet d’admiration de ses sujets comme de tous les autres souverains. Ses premières guerres lui ont permis de « faire son pré carré », autrement dit de consolider ses frontières, selon le mot de Vauban.
L’année précédente, dans la Galerie des Glaces, pour la première fois transformée en salle d’audience, il a reçu de plates excuses du doge de Gênes, coupable d’avoir voulu résister à ses entreprises.
Mais sans que le Roi-Soleil en ait sans doute conscience, les nuages commencent à s’accumuler sur son trop long règne. En 1683, il a perdu son fidèle ministre Colbert et aussi son épouse Marie-Thérèse ; renonçant dès lors au péché d’adultère, il a épousé secrètement sa maîtresse Françoise de Maintenon.
Plus gravement, en 1685, il s’est laissé convaincre de révoquer le traité de tolérance signé à Nantes par son aïeul Henri IV. Plusieurs centaines de milliers de protestants se voient traqués et obligés de fuir le royaume, causant de grandes pertes à celui-ci. La même année, le fils de Colbert publie un code de lois destiné à mettre fin à l’arbitraire des planteurs aux colonies des Antilles et de l’océan Indien. Il a le tort de légaliser l’esclavage et sera plus tard appelé Code Noir.
L’année commence mal. Soit que le roi ait été piqué à la fesse par une plume de ses coussins, dans un carrosse, soit qu’il ait été infecté par de trop nombreux lavements effectués sans précautions, voilà qu’il commence à ressentir une douleur.
Le premier médecin du roi, Antoine d’Aquin, diagnostique une tumeur qui, au fil des mois, va évoluer en fistule. C’est un abcès dur et douloureux à l’intérieur de l’anus. Ignare, le médecin applique sur le postérieur royal différentes décoctions qui n’arrangent rien à l’affaire. Le roi ne peut bientôt plus monter à cheval et finalement doit garder la chambre, n’en sortant que pour la messe et le conseil des ministres.
Tout est fait pour garder le secret sur la maladie du roi, d’autant qu’au mois de juillet 1686, les rivaux européens de la France échafaudent une nouvelle coalition, la Ligue d’Augsbourg, pour contrecarrer les prétentions de Louis XIV sur le Palatinat, en déshérence depuis la mort de son prince. Les rumeurs sur la maladie du roi pourraient renforcer leur détermination ! Il faut dire qu’à 46 ans, Louis XIV souffre de maux récurrents, la goutte… et la perte de presque toutes ses dents !
En définitive, c’est le premier chirurgien du roi, Charles-François Félix qui va prendre l’affaire en main. La chirurgie ne servait guère jusque-là qu’aux amputations et d’Aquin, comme tous les Diafoirus savants, cultive un profond mépris pour les chirurgiens-barbiers. Mais sa médecine ayant échoué, le voilà bien obligé de s’en remettre à son subordonné.
Félix, qui a la cinquantaine et déjà une solide expérience, propose d’inciser mécaniquement l’abcès. Il conçoit pour cela un bistouri spécial, à lame recourbée, « à la royale » ! Le monarque lui ayant donné son accord, il procède avec plus ou moins de succès à quelques dizaines d’essais sur des fistuleux extraits des prisons et des hospices. Tout cela prend du temps.
Enfin arrive le jour de la « grande opération ». Elle se tient le 18 novembre 1686, au petit matin, dans la chambre du roi, en présence de seulement le Grand Dauphin, Mme de Maintenon, le ministre de la Guerre Louvois, le père La Chaise, confesseur du roi, et Antoine d’Aquin, sans compter quelques valets.
L’intervention ne dure pas moins de trois heures, bien évidemment sans anesthésie. Le roi, couché en travers de son lit, souffre le martyre en silence, avec un stoïcisme que souligneront les assistants.
Le soir, le roi peut présider un conseil mais chacun voit bien qu’il n’est pas au mieux de sa forme. Au final, il faudra encore deux nouvelles opérations avant qu’à la Noël 1686, on puisse le considérer sorti d’affaire !
Trop beau pour être vrai ?
En bon communicant, le roi lève le secret sur sa maladie et son entourage rapporte partout son stoïcisme et son courage face à la douleur et à la mort. Ce qui pouvait être interprété avant l’opération comme une marque de faiblesse devient une démonstration de force. Que ses ennemis se le tiennent pour dit !
On chante des Te Deum dans les églises du royaume pour la guérison du roi. Le musicien de la Cour, Jean-Baptiste Lully, en compose lui-même un. Il ne lui portera pas chance. Pendant une répétition avec ses musiciens, au début de l’année 1687, il se blesse au pied avec son bâton de musique. La plaie s’infecte. Mais Lully, qui aime plus que tout danser, refuse l’amputation qui le sauverait. Il meurt de la gangrène au bout de quelques semaines.
Le plus beau reste à venir, si l’on en croit un souvenir de la marquise de Créquy (XVIIIe siècle). Mme de Brinon, première supérieure de la Maison royale de Saint-Cyr, écrit aussi, sur une musique de Lully, un cantique qu’elle invite les demoiselles de l’école à chanter pour la guérison du roi :
Grand Dieu, sauvez le Roy !
Grand Dieu, vengez le Roy !
Vive le Roy !
Qu'à jamais glorieux,
Louis victorieux,
Voie ses ennemis
Toujours soumis.
Grand Dieu, sauvez le Roy !
Grand Dieu, vengez le Roy !
Vive le Roy !
Beaucoup plus tard, en 1714, le compositeur allemand Georg Friedrich Haendel, de passage à Versailles, entendit ce cantique et en nota les paroles et la musique. De retour en Angleterre, où il officiait comme premier musicien du roi Georges Ier, il fit traduire le cantique et le montra au souverain qui, enchanté, décida qu’il accompagnerait les cérémonies officielles :
God save our gracious King,
Long life our noble King,
God save the King!
Send him victorious
Happy and glorious
Long to reign over us,
God save the King !
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