18 octobre 1685

Édit de Fontainebleau ; révocation de l'Édit de Nantes

Le 18 octobre 1685, en son château de Fontainebleau, le roi Louis XIV révoque totalement l'Édit de tolérance signé à Nantes par son grand-père Henri IV en 1598. Par ce nouvel édit, le Roi-Soleil signifie qu'il n'y a plus de religion autorisée en France en-dehors de la religion catholique. C'est un coup dur pour la minorité protestante, encore assez nombreuse malgré les brimades et les persécutions antérieures.

L'Édit de Fontainebleau, applicable à l'ensemble du royaume sauf à l'Alsace récemment annexée, sera à l'origine d'un traumatisme durable dans les consciences.

Le champion du catholicisme

Après un début de règne glorieux marqué par le traité de Nimègue, en 1678, le roi Louis XIV veut apparaître en France et en Europe comme le champion du catholicisme, pour faire pièce au pape et à l'empereur Léopold Ier qui se flatte d'avoir repoussé les Turcs devant Vienne.

Sur les conseils de son entourage, Louis XIV décide d'extirper l'hérésie protestante de son royaume. Il reproche aux « huguenots » leur sympathie pour l'Angleterre et les Provinces-Unies des Pays-Bas. Et surtout, comme la grande majorité des Français et des Européens de son temps, il admet mal que deux religions puissent cohabiter dans un même État.

Une Caisse des conversions tente de convaincre les calvinistes les plus pauvres de se convertir contre espèces sonnantes et trébuchantes. Mais les adeptes de Jean Calvin témoignent dans l'ensemble d'une grande rigueur morale et ne se laissent pas aisément manipuler.

Dans les provinces, les intendants recourent à des manières plus brutales comme d'enlever des enfants pour les baptiser en dépit de leurs parents.

En 1681, l'intendant de Poitiers, René de Marillac, imagine de loger des dragons de l'armée chez les adeptes de la RPR (« Religion Prétendue Réformée »). Ces « missionnaires bottés » se comportent comme en pays conquis, n'ayant pas scrupule à piller, violer et parfois tuer leurs hôtes. Leurs excès sont réprouvés par le roi. Il n'empêche que son ministre Louvois étend le procédé au Midi, au Béarn et au Languedoc. Par le fait des « dragonnades », les conversions forcées se multiplient.

Sur la foi de rapports optimistes, le Roi-Soleil en vient à croire que la religion réformée n'est plus pratiquée dans le royaume. Malgré une ultime requête des protestants pour l'assurer de leur loyauté, il considère que la tolérance instituée par Henri IV n'a plus lieu d'être. Il faut dire que l'Édit de Nantes avait déjà été sérieusement amendé par la paix d'Alès de 1631 et par des vexations successives (interdiction des enterrements de jour pour les protestants, destruction de temples, interdiction des mariages mixtes...).

Avec l'Édit de Fontainebleau, le roi supprime donc ce qui reste de la tolérance religieuse héritée de Henri IV. Il interdit la pratique du culte réformé, ordonne la démolition des temples et des écoles, oblige à baptiser dans la foi catholique tous les enfants à naître, ordonne aux pasteurs de quitter la France mais interdit cependant aux simples fidèles d'en faire autant, sous peine de galères.

L'opinion catholique, y compris les plus illustres écrivains de l'époque (La Fontaine, La Bruyère, Mme de Sévigné...) applaudit à la mesure.

Dans les mois et les années qui suivent, la répression s'accentue contre les derniers protestants, en particulier dans les Cévennes, au nord de Nîmes, où des communautés austères et déterminées vont maintenir leur foi envers et contre tout, jusqu'à prendre les armes contre le souverain. Ce sera la guerre des Camisards, soit la première guerilla du monde (dico), un siècle avant celle que mèneront en Espagne d'autres chrétiens, catholiques ceux-là, contre les troupes de Napoléon...

Protestants au service de Sa Majesté Très-Chrétienne

Abraham Duquesne (1610, Dieppe ; 2 février 1688, Paris), par Antoine Graincourt, Cercle militaire de VersaillesAu nom du roi Louis XIV, Abraham Duquesne, lieutenant général des armées navales (1610-1688), bombarde le port d'Alger à plusieurs reprises et ses galères mènent la chasse aux pirates barbaresques. Il fait libérer de nombreux esclaves chrétiens.
En reconnaissance de ses succès, Louis XIV veut lui octroyer la dignité d'amiral sous réserve qu'il abjure sa foi protestante, ce que refuse le glorieux marin.
Le maréchal de Turenne, protestant intègre qui descend par sa mère du héros de l'indépendance des Pays-Bas Guillaume le Taciturne, se laisse quant à lui convertir à la foi catholique par Bossuet en 1668.

Un désastre politique, moral et économique

Dans l'entourage du roi, il n'y a guère que Vauban qui manifeste une honnête et courageuse lucidité. S'en tenant aux aspects pratiques, il adresse dès 1689 au roi un Mémoire pour le rappel des huguenots dans lequel il expose les conséquences économiques de l'édit :

« Les dommages qu'il a causés :
1° entraîné la désertion de 80 à 100 000 personnes de toutes conditions...
2° appauvri nos arts et manufactures particulières, la plupart inconnus aux étrangers...
3° grossi les flottes ennemies de 8 à 9000 matelots...
4°grossi leurs armées de 5 à 600 officiers et de 10 à 12 000 soldats...
Les rois sont bien maîtres des vies, mais les biens intérieurs sont hors de leur puissance.
Il est évident que plus on les pressera sur la Religion plus ils s'obstineront ; que continuant de leur tenir rigueur il en sortira tous les jours du Royaume qui seront autant de sujets perdus et d'ennemis ajoutés, que d'envoyer aux galères... ne servira qu'à grossir leur martyrologe. [...] Après avoir recommandé la chose à Dieu, auquel seul appartient la conversion des coeurs, que sa Majesté rétablisse l'Édit de Nantes purement et simplement. »
 (note)

Très vite, le roi peut mesurer l'étendue de son erreur. L'hérésie est loin, en effet, d'avoir été éradiquée. Des foyers de résistance se forment. Les dragonnades doivent reprendre. Dans les Cévennes (Lozère et nord du Gard), la révolte des Camisards éclate en 1702.

Les convertis eux-mêmes se montrent rétifs à l'enseignement de l'Église et leurs descendants seront au XVIIIe siècle parmi les premiers à contester celle-ci et son clergé.

Dès avant la publication de l'édit de Fontainebleau et malgré l'interdiction qui leur est faite de s'enfuir, près de 300 000 « religionnaires » quittent la France pour des refuges tels que Berlin, Londres, Genève, Amsterdam ou même Le Cap, en Afrique du sud.

Ces exilés issus de la bourgeoisie laborieuse vont faire la fortune de leur pays d'accueil, en particulier le Brandebourg, noyau de la future Prusse. Leur départ va par contrecoup appauvrir la France en la privant de nombreux talents. Ils vont aussi nourrir à l'extérieur les ressentiments contre la France et son monarque. Beaucoup s'illustreront dans les armées ennemies.

Alban Dignat 

Jean Luycken, Révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV, XVIIe s., Paris, BnF.

Erreur fatale

La révocation de l'Édit de Nantes est considérée comme la plus lourde erreur de Louis XIV. Elle amorce une fin de règne difficile en appauvrissant le royaume et en suscitant à ses frontières des ennemis acharnés. Elle abaisse aussi la parole royale en signifiant qu'un souverain peut révoquer un édit que son bisaïeul avait déclaré « perpétuel et irrévocable » ! Au sommet de la puissance, Louis XIV sème ainsi les germes de la Révolution qui abattra sa dynastie un siècle plus tard.

À propos de la révocation, l'historien Jacques Marseille juge qu'« en amenant les protestants à pratiquer une religion de façade et à manifester leur indifférence en matière de foi catholique, elle a sans doute préparé la déchristianisation du siècle suivant  » (Nouvelle Histoire de France, Perrin, 2000). Cette observation est d'autant plus pertinente que la révocation s'inscrit dans une longue suite d'initiatives malheureuses et contradictoires en matière religieuse : l'expulsion des religieuses de Port-Royal de Paris, accusées de jansénisme, en 1664, l'ordonnance de 1673 sur la régale universelle (avec le soutien des jansénistes !), la Déclaration des Quatre Articles en 1682 et la renonciation à cette même déclaration en 1693.

Si la révocation de l’Édit de Nantes suscite en France une approbation quasi-unanime, il n’en est pas de même au-delà des frontières. Même la très catholique Autriche des Habsbourg reproche la méthode employée. Et si le pape Innocent IX donne sa bénédiction au Roi-Soleil, il ne peut que réprouver les conversions forcées. Sur le plan international, l’Édit de Fontainebleau a aussi des conséquences importantes pour la France. La rupture est ainsi consommée entre Louis XIV et le Grand Électeur de Brandebourg, Frédéric-Guillaume Ier, qui s’était engagé à donner son suffrage au roi de France en cas d'élection impériale. Mais c’est en Angleterre que la révocation aura le plus de retentissement. En effet, la crainte d’une entente secrète entre le catholique Jacques II et le roi de France visant à éradiquer le protestantisme favorisera la « Glorieuse Révolution  ». Quatre ans seulement après l’Édit de Fontainebleau, Guillaume d’Orange montera sur le trône d’Angleterre.

Publié ou mis à jour le : 2024-01-30 15:58:54

Voir les 5 commentaires sur cet article

Jacmé (07-10-2020 17:33:47)

On dit "Jamais deux sans trois" .....et on se trompe! Henri IV, Roi tolérant s'il en fut, promulgua l’Édit de Nantes qui "officialisait" la religion Protestante. Son fils, Louis XIII, bien qu'il... Lire la suite

Francis Chouville (07-10-2020 10:36:49)

Je trouve cet article tout à fait équilibré car il pointe bien les conséquences néfastes pour la France de l'exil forcé de ces milliers de Protestants pendant les années qui ont suivi et jusquâ... Lire la suite

georgespierre (16-10-2012 11:16:15)

cet article présente assez bien le désastre éconmique provoqué par l'absolutisme Bravo

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