Le 15 mai 1685, à Versailles, devant toute la Cour, le doge de Gênes, Francesco Maria Imperiale Lercaro en personne, s'incline devant Louis XIV en lui exprimant son « extrême regret de lui avoir déplu ». C'est la première grande cérémonie dans la Galerie des Glaces, qui ne fut d'abord qu'une salle des pas perdus avant de devenir une salle d'audience...
Avec cette humiliation du doge, le « Roi-Soleil » peut s'estimer au sommet de sa puissance. Les déconvenues ne vont pas tarder...
Les « Réunions »
Cet acte de contrition peu anodin trouve son origine dans la politique des « Réunions », menée avec un rare cynisme par Louis XIV. Le roi de France avait entrepris la politique dite des Réunions à la suite des traités signés à Nimègue en 1678 et 1679. S'appuyant sur le flou juridique des textes qui précisaient que les territoires étaient cédés avec leurs dépendances, il avait aussitôt cherché à étendre sa domination territoriale.
Les secrétaires d'État aux affaires étrangères, Simon Arnauld, marquis de Pomponne puis Charles Colbert, marquis de Croissy (frère du grand Jean-Baptiste), s'étaient chargés de fournir les justifications juridiques à ces réunions sur la base de vieux liens vassaliques réels ou supposés qui liaient ces dépendances aux territoires annexés. Dès que ces liens étaient établis, les princes étrangers concernés devaient comparaître et prêter hommage au roi de France pour ces territoires. En cas de refus, les militaires prenaient la place par la menace ou la force.
Louis XIV fut aidé dans sa tâche par la dentelle que formaient les territoires frontaliers. Nombre de villes et comtés de Flandre, de Hainaut, du Luxembourg, d'Alsace et de Lorraine tombèrent ainsi dans son escarcelle.
Le 30 octobre 1681, ce fut au tour de Strasbourg. La capitale de l'Alsace capitula devant l'ultimatum de Louvois et se trouva occupée par les dragons d'Asfeld. Elle conserva ses privilèges et la liberté de culte fut garantie, mais la cathédrale fut rendue aux catholiques. Le même jour les troupes françaises entrèrent sans combattre dans Casal.
Le Roi-Soleil était alors au sommet de sa gloire et profitait de la faiblesse ou des difficultés des puissances étrangères (par exemple le siège de Vienne par les Turcs). « Si on n'y met pas bon ordre, Louis XIV sera le tueur de toute la chrétienté », écrira l'électeur Palatin. En effet, sa politique agressive ne cessait d'inquiéter toute l'Europe, si bien que l'Espagne entra à nouveau en guerre contre la France le 26 octobre 1683.
La punition des Génois
Parmi les alliés de l'Espagne, la petite république de Gênes affiche une attitude insolente envers le royaume de France. Elle fournit des galères à l'Espagne et malmène même avec désinvolture l'ambassadeur français François Pidou, chevalier de Saint-Olon. Décidément, ces « Hollandais d'Italie » font, si l'on ose cette expression, beaucoup d'ombre au Roi-Soleil... Il est temps de faire un exemple qui servira à l'édification des États.
Le marquis de Seignelay, fils du grand ministre Colbert, intendant de la marine, organise une expédition punitive. En mai 1684, accompagné du lieutenant général des armées navales Abraham Duquesne, il embarque sur une flotte de guerre.
Le 17 mai, il se présente devant Gênes et exige la livraison de quatre galères. Il exige aussi que les ambassadeurs génois aillent à Versailles faire des excuses au roi.
La réponse n'est pas encore revenue que les premiers boulets et bombes incendiaires tombent sur la ville. Le bombardement dure six jours et rase les trois quarts de la ville, n'épargnant pas le Palais des doges. Les troupes font un débarquement éclair, pillent et incendient le quartier Saint Pier d'Arena puis rembarquent.
Les vaisseaux de Seignelay et Duquesne ont tiré plus de 10 000 bombes et boulets. On remarque les galiotes à fond plat de forme hexagonale qui portent les bombardes (Anonyme, Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de France)
Les excuses de la République
Mais Gênes ne cède pas et Louvois se prépare à une nouvelle expédition. Louis XIV fait savoir au nonce du pape qui cherche à calmer ses ardeurs, qu'il veut « laisser un exemple mémorable de sa vengeance à tous ceux qui oseraient l'offenser ».
Le 15 août 1684, à Ratisbonne, une trêve de vingt ans est signée entre l'empereur Léopold Ier, Charles II d'Espagne et le roi de France, qui conserve les « réunions ».
Finalement, l'expédition de Louvois n'aura pas lieu, mais en janvier 1685, le Sénat de Gênes s'inclinera et cinq mois plus tard, le doge s'en ira à Versailles présenter ses « excuses » au Roi-Soleil.
Pour accomplir cette démarche, le Sénat avait dû autoriser le doge à quitter le territoire, ce qui lui était formellement interdit par la Constitution de la République. Aussi quand le roi lui demanda :
- Que trouvez-vous de plus étonnant à Versailles ?
Le doge répondit en dialecte génois :
- Mi chi (autrement dit : C'est de m'y voir !)
Ce moment de gloire du Roi-Soleil sera représenté sous différentes formes par les artistes de la Cour, notamment comme ci-dessous sous la forme d'un médaillon, sur la statue du roi, sur la place des Victoires, Paris.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible