Quel destin plus romanesque que celui de Madame de Maintenon ?
Née dans la prison de Niort, la jeune Françoise d'Aubigné épouse le vieux Scarron, poète paralytique et libertin.
Devenue veuve, elle assure l'éducation des enfants adultérins de Louis XIV, avant de devenir la dernière maîtresse du roi sous le nom de marquise de Maintenon.
Enfin, dans la nuit du 9 au 10 octobre 1683, dans l'ancienne chapelle du château de Versailles, le Roi-Soleil, veuf de Marie-Thérèse d'Autriche, l'épouse en grand secret. C'est le couronnement d'un parcours proprement exceptionnel...
De la prison de Niort aux salons parisiens
Petite-fille d'Agrippa d'Aubigné, huguenot rebelle et poète, Françoise naît le 27 novembre 1635 dans la prison royale de Niort où son père, voyou notoire, est incarcéré pour inconduite. Sa mère, fervente catholique, à peine âgée de seize ans, n'est autre que la fille du gouverneur de la prison !
L'enfant, issue d'une noble lignée, a pour parrain François de la Rochefoucault, l'un des plus grands seigneurs du royaume. Elle jouit d'une petite enfance heureuse au château de Mursay, près de Niort, chez la soeur de son père, une huguenote pieuse et maternelle. Il lui arrive alors de participer aux travaux de la ferme.
Mais son père ayant été libéré, il a l'idée saugrenue d'emmener sa famille tenter l'aventure en Martinique. De retour en France après ces six années d'exil, ayant perdu sa mère, Françoise est sévèrement reprise en main par sa marraine catholique, Mme de Neuillant, qui la met au couvent avant de la présenter dans la haute société parisienne.
Dans les salons, son joli minois mais aussi sa candeur et son esprit ne tardent pas à faire leur effet. Le chevalier de Méré, séduit, lui attribue le surnom de « Belle Indienne » en référence à son escapade antillaise et parfait son éducation.
Jeune fille sans dot, Françoise épouse à seize ans le poète Paul Scarron, de vingt-cinq ans son aîné, paralysé et laid à faire peur. L'avantage à ce « mariage gris », selon le mot de sa biographe Françoise Chandernagor (L'Allée du roi, Julliard, 1981), c'est qu'il permet à la jeune femme de se faire connaître et apprécier des courtisans qui entourent le roi aux Tuileries.
En effet, le poète, paralysé mais spirituel en diable, tient dans la rue de Turenne un salon couru par tous les libertins de l'aristocratie, ainsi que par des femmes d'esprit comme Mme de La Fayette, Mme de Sévigné ou encore la courtisane Ninon de Lenclos.
Le marquis de Villarceaux, amant de Ninon, tente de séduire Françoise et il n'est pas exclu qu'il soit parvenu à ses fins, sans pour autant entâcher sa réputation de vertu. Dans son manoir de Villarceaux, il a l'audace d'accrocher un portrait imaginaire de Françoise dévêtue et câline.
En 1660, Françoise d'Aubigné assiste avec Marie Mancini, nièce du cardinal Mazarin, à l'entrée solennelle à Paris du jeune Louis XIV et de son épouse Marie-Thérèse. C'est la première fois qu'elle voit le roi.
Trois mois plus tard, le 6 octobre 1660, son mari décède au terme d'interminables souffrances, ne lui laissant que des dettes. Il fait inscrire sur sa tombe, dans l'église Saint-Gervais :
Celui qui cy maintenant dort
Fit plus de pitié que d'envie,
Et souffrit mille fois la mort
Avant que de perdre la vie.
Passant, ne fais ici de bruit
Garde bien que tu ne l'éveilles :
Car voici la première nuit
Que le pauvre Scarron sommeille.
Mère et amante de substitution
Forte de son éducation, de sa réputation de vertu et de son carnet de relations, nantie d'une petite pension, Françoise est toujours bien accueillie dans les salons où elle se lie d'amitié avec François Athénaïs de Montespan.
En 1669, celle-ci, étant devenue la maîtresse du roi, pense à elle pour l'éducation de ses enfants à venir.
Françoise s'établit avec eux dans le village de Vaugirard, non loin de Versailles. Louis XIV, très attaché à ses enfants, y passe à l'occasion et apprécie la tendresse maternelle de Mme Scarron pour ses chers petits : « Comme elle sait bien aimer, il y aurait du plaisir à être aimé d'elle », confie-t-il.
En 1675, le roi a le coup de foudre pour cette femme discrète.
Il écrit dans son journal : « Il y a quelques jours, un gentilhomme de gris vêtu, peut-être un prince errant incognito, entreprit durant la nuit une nymphe égarée dans le parc de Saint-Germain. Il savoit le nom de cette nymphe, qu’elle étoit belle, bonne, pleine d’esprit mais sage. La nymphe cependant se laissa faire et ne lui refusa aucune faveur. Cette nymphe ressemblait à s’y méprendre à Mme Sc. ; et je crois deviner qui étoit le prince vêtu de gris. Ce prince est comme moi, il déteste les femmes légères, il honnit les prudes, il aime les sages. »
C'est alors que l'heureuse élue se fait appeler Madame de Maintenon par le roi, devant les courtisans éberlués. C'en est fini de la « veuve Scarron » et des sarcasmes qui accompagnent ce nom à la Cour.
Son nouveau nom lui vient du domaine qu'elle a acquis l'année précédente, à quelques lieues au sud de Versailles, avec un délicieux château construit par Jules-Hardouin Mansart. C'est grâce à une dotation du roi de cent mille livres qu'elle a pu en faire l'achat.
Madame de Maintenon ne deviendra néanmoins marquise qu'en 1688, cinq ans après son mariage secret !
À partir de 1678, le roi se détache de la marquise de Montespan et se console avec différentes maîtresses d'occasion. Il est improbable que Madame de Maintenon ait dès ce moment-là cédé à ses avances.
Louis XIV rompt définitivement avec sa maîtresse officielle en 1681, après qu'elle se sera compromise dans l'« affaire des Poisons ». Dans le même temps, sur les instances de Mme de Maintenon, il se rapproche de son épouse, la reine Marie-Thérèse. Celle-ci, qui a souffert pendant des années du dédain des maîtresses successives de son royal époux, en marque une vive reconnaissance à la nouvelle élue. Ses trois dernières années seront parmi les plus heureuses de sa vie.
Considérant que le roi a rarement communié de 1664 à 1680, l'historien Jean-Christian Petitfils pense qu'il devait dans ces années-là s'en trouver indigne à cause de ses multiples infidélités. Le retour à des communions régulières à partir de 1681 laisse penser que Madame de Maintenon l'avait ramené à une conduite plus convenable, elle-même se gardant de lui céder !
C'est aussi en décembre 1680 que Madame de Maintenon, de plus en plus confite en dévotion, fait enlever sa propre nièce, la future Madame de Caylus, pour l'arracher à ses parents protestants et lui faire donner une éducation catholique. Six mois plus tard, elle fera légaliser ce genre d'enlèvement. On peut penser en conséquence que, cinq ans plus tard, elle ne se plaindra pas de la malheureuse révocation de l'Édit de Nantes mais rien n'indique qu'elle y ait encouragé le roi...
Après la mort de la reine, le 30 juillet 1683, Louis XIV (45 ans), lassé des écarts et peu soucieux d'épouser une nouvelle princesse européenne, régularise sa liaison avec sa maîtresse de cœur, de deux ans plus âgée que lui.
Et c'est au cours d'une cérémonie sobre, à son image, que celle qui était surnommée la Belle Indienne s'unit au Roi-Soleil. Ce mariage morganatique (ne donnant pas droit au titre de reine), avec l'évêque de Paris et le confesseur du roi pour seuls témoins, n'a laissé aucune trace écrite.
Françoise d'Aubigné mène dès lors une existence discrète, dans une cour vieillie et ennuyeuse, avec le souci de ramener le roi aux vertus chrétiennes d'austérité et de tempérance. Il n'est pas rare que le roi reçoive des conseillers dans la chambre de la marquise, celle-ci se tenant dans un recoin de la pièce et suivant la conversation en se gardant d'intervenir.
Sensible à ses conseils et son bon sens, le vieux roi Louis XIV appelle affectueusement son épouse secrète « Votre Solidité » (comme on dit Votre Majesté)... Les courtisans, quant à eux, la surnomment avec ironie « Madame de Maintenant ». Beaucoup parmi les plus titrés la jalousent et la détestent. Au premier rang d'entre eux figurent le duc de Saint-Simon et la princesse Palatine, belle-soeur du roi, qui ne se priveront pas de la salir dans leurs mémoires.
À la fin du règne, Madame de Maintenon use elle-même de tous les moyens pour barrer la route au possible successeur du roi, son neveur Philippe d'Orléans, le futur Régent. Quand celui-ci intrigue à la cour d'Espagne dans l'espoir de recueillir la succession de Philippe V, la marquise place auprès de la reine d'Espagne l'une de ses dames de confiance, Madame des Ursins. Enfin, pendant la longue agonie du roi, elle obtient que celui-ci institue par testament un Conseil de Régence dans lequel l'autorité de Philippe d'Orléans sera contrebalancée par la présence du duc du Maine, fils de Louis XIV et Madame de Montespan. Dès le lendemain de la mort de Louis XIV, Philippe d'Orléans n'aura rien de plus pressé que de faire casser le testament.
La marquise de Maintenon, résignée, quitte la cour sans se faire prier. Avec une fière humilité, elle prend soin de brûler tous les documents qui pourraient trahir sa proximité d'avec le roi. Elle meurt dans l'oubli le 15 avril 1719, dans sa chère Maison royale de Saint-Louis, à Saint-Cyr.
Éducatrice d'avant-garde
Dès 1681, la marquise, éducatrice et pédagogue dans l'âme, s'est intéressée à l'initiative d'une amie, Mme de Brinon. Celle-ci a créé à Montmorency, au nord de Paris, une école pour les jeunes filles pauvres de la noblesse. Madame de Maintenon leur offre un hébergement plus accueillant à Rueil puis à Noisy-le-Roi. Enfin, en 1684, elle convainc son royal époux de l'utilité d'une maison d'éducation à Saint-Cyr, derrière le parc du château de Versailles, en un lieu au demeurant peu propice, marécageux et pestilentiel. Les travaux sont confiés à l'architecte de Versailles lui-même, Jules Hardouin-Mansart.
C'est ainsi qu'est fondée la Maison royale de Saint-Louis. Elle accueille gratuitement les jeunes filles de sept à douze ans qui ont au moins quatre quartiers de noblesse et une famille trop pauvre pour leur assurer une bonne éducation.
Sont privilégiées les jeunes filles dont le père a combattu ou donné sa vie au service du roi. Ces « demoiselles de Saint-Cyr », au nombre de 200 à 250, sont destinées à faire un « beau mariage » et devenir des dames de la Cour.
Leurs éducatrices, sous la tutelle de Madame de Maintenon, ne sont pas des religieuses comme dans les écoles habituelles de l'époque. Elles sont seulement astreintes à des voeux temporaires de pauvreté, de chasteté et d'obéissance.
Madame de Maintenon accueille le dramaturge Jean Racine à Saint-Cyr et lui demande de créer une pièce sur mesure pour ses élèves. Ce sera Esther, représentée devant le roi et la Cour. Ensuite vient Athalie, dans un genre plus austère. C'est dans cette maison, sur laquelle se concentre toute son énergie, qu'elle se retire par décence trois jours avant la mort du roi. C'est aussi là qu'elle s'éteint le 15 avril 1719, oubliée de tous.
Abandonnée sous la Révolution, en mars 1793, la maison d'éducation accueillera, quinze ans plus tard, en 1808, l'École spéciale impériale militaire, créée le 28 janvier 1803 par Napoléon Bonaparte en vue de former ses futurs officiers.
Vos réactions à cet article
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Leroux (08-10-2023 17:10:49)
Il me semble que Colbert avait été témoin egalement de ce mariage?
GVD (10-10-2017 07:04:36)
La marquise ne faisait pas l'unanimité. La Princesse Palatine, belle-sÅ“ur du roi qui avait la langue bien pendue, s'écria à l'annonce de la mort de son épouse : "La vieille garce est crevée Ã... Lire la suite
pcordel (08-09-2014 11:21:21)
Excellent article (comme toujours)
Un correctif : à la fin du premier paragraphe du chapitre "Mère et amante de substitution" remplacer François par Françoise
Jean Louis Taxil (18-08-2014 10:55:50)
Le chateau et le titre de Maintenon ont été achetés à Charles François d'Angennes en 1674 par Françoise d'Aubigné. Corsaire du roi, puis planteur à la Jamaïque, gouverneur de Marie-Galante, ... Lire la suite
Fargier (16-08-2014 09:49:25)
Aimer l'HISTOIRE ,c'est vivre au présent.