22 février 1680

Exécution de la Voisin et « Affaire des Poisons »

Le 22 février 1680, une femme est brûlée en place de Grève, face à l'Hôtel de ville de Paris, sous l'accusation de sorcellerie et d'empoisonnement. Née Catherine Deshayes 40 ans plus tôt, elle est connue dans le quartier de Saint-Denis, lieu de tous les trafics, d'après le nom de son mari, la « Voisin ».

Il pourrait s'agir d'un fait divers parmi d'autres. Mais la Voisin, qui s'est enrichie dans la pratique des avortements et le commerce des poisons, a dénoncé avant de mourir nombre de ses clients et clientes, dont certains appartiennent à la haute aristocratie.

Madame de Montespan, la maîtresse du roi Louis XIV, est compromise ! C'est le point d'orgue d'une affaire à rebondissements...

Le « Siècle des extrêmes »

L'« affaire des Poisons » est une première ombre portée sur le règne du Roi-Soleil après deux décennies de succès. Elle survient entre le traité de Nimègue (1678), qui clôt la période des guerres « heureuses », et la révocation de l'Édit de Nantes (1685).
Cette affaire révèle une face méconnue du XVIIe siècle, le Grand Siècle de notre Histoire et celui de tous les paradoxes. C'est le « Siècle des Saints » et des mystiques (saint François de Salles, saint Vincent de Paul, Bossuet...) ; c'est aussi le siècle des libertins et des grandes inégalités sociales (les paysans vivent plus mal qu'à l'époque de saint Louis, les aristocrates infiniment mieux), plus gravement, de la « Grande chasse aux sorcières », des messes noires et des poisons.

La puce à l'oreille

L'« affaire des Poisons » trouve son origine dans l'arrestation et l'exécution d'une autre empoisonneuse - de haut rang celle-là -, la marquise de Brinvilliers (46 ans), le 17 juillet 1676.

Avant de mourir, au cours d'un ultime interrogatoire face au procureur général du Parlement de Paris, la marquise aurait selon ce dernier affirmé qu'« il y avait beaucoup de personnes engagées dans ce misérable commerce de poison, et des personnes de condition ». La condamnée à mort se retient de citer des noms, mais cela suffit à piquer la justice au vif.

Plus tard, certains enquêteurs se souviendront d'avoir vu des personnes de qualité sur le trajet de la condamnée vers le lieu de son supplice. Parmi ces personnes, Olympe Mancini, ancienne dulcinée de Louis XIV, veuve du comte de Soissons et un temps soupçonnée d'avoir empoisonné son mari.

La Voisin

L'année suivante, en 1677, Gabriel Nicolas de La Reynie, le « lieutenant de police de la ville de Paris », est chargé par le ministre Louvois de faire toute la lumière sur les affaires d'empoisonnement qui se multiplient. Dans la plus grande discrétion, il lance ses limiers dans les milieux interlopes de la rue Saint-Denis, où se pratique le commerce des poisons.

L'enquête est suivie avec la plus grande attention en hauts lieux, car certains affirment que Louis XIV lui-même est menacé...

Une tireuse de cartes, Marie Bosse, puis une certaine Vigouroux, enfin la fameuse Voisin, tombent dans les rêts de la police et se voient inculpées d'empoisonnement.

Vedette de la scène

Quelques mois après l'arrestation de la Voisin, alors que son procès bat son plein, et que le récit de ses crimes fait le tour de Paris, on donne dans la capitale une pièce, La Devineresse, due à Donneau de Visé et à Thomas Corneille. La Voisin en est le personnage principal, sous le nom de Mme Jobin. Fait exceptionnel à l'époque, la pièce reste à l'affiche plus de cinq mois.

Poisons et messes noires au Grand Siècle

En avril 1679, l'affaire prenant de l'ampleur et les inculpés se faisant toujours plus nombreux, le roi décide de mettre en place à l'Arsenal une cour extraordinaire de justice qui prendra le nom évocateur de « Chambre ardente » - ainsi nommée car elle siégeait dans une pièce tendue de draps noirs et éclairée par des flambeaux.

En son sein, La Reynie reste le principal responsable de l'instruction. La plus grande discrétion lui est toujours demandée, tant l'affaire est sensible. Mais cette précaution est inutile car une véritable hantise a déjà gagné la population parisienne, laquelle voit l'œuvre des empoisonneuses dans le moindre décès prématuré. « Donne-lui un bouillon de Saint-Denis ! » dit-on en manière de plaisanterie à une femme qui se plaint de son mari !

Or, rien n'effraie les empoisonneuses, qui se trouvent au cœur des pratiques les plus sordides de l'époque. On découvrira que certaines, comme la Voisin, se rendent complices de « messes noires », au cours desquelles de faux, voire de vrais prêtres, tel l'abbé Guibourg, posent un calice sur le ventre d'une femme nue et, au-dessus de celui-ci, sacrifient au diable un nouveau-né !

C'est dans cette atmosphère pour le moins sulfureuse que travaille la Chambre ardente. Elle siègera pendant trois ans, jusqu'en juillet 1682, date à laquelle elle aura au total prononcé 442 jugements, dont 36 condamnations à mort, 23 bannissements et 5 condamnations aux galères. Certains accusés sont cependant acquittés du fait de leurs liens avec des membres de la haute aristocratie.

La Voisin est exécutée après avoir mis en cause beaucoup de monde. Elle se refuse à livrer le nom de la Montespan mais le nom de la maîtresse royale ressurgit dans la suite des interrogatoires. La fille de la Voisin l'accuse d'avoir participé à une « messe noire » de l'abbé Guibourg, lequel admet avoir prononcé le nom de la favorite lors de l'une de ses « messes ».

Le roi est horrifié d'apprendre que sa maîtresse, alors en défaveur, lui aurait fait absorber des philtres d'amour et aurait aussi manigancé le renvoi de Mlle de La Vallière, voire la mort de Mme de Fontanges et la stérilité de la reine. D'autres accusations impliquent le poète Racine, soupçonné de s'être débarrassé d'une maîtresse.

Pressé d'en finir, le roi suspend les interrogatoires. Les principaux accusés non encore condamnés sont mis aux fers dans différentes forteresses, à raison de six par cachot, jusqu'à ce que la mort les délivre. Enfin, conséquence accessoire, un édit de 1682 réglemente pour la première fois le commerce des poisons.

Charles Giol
Publié ou mis à jour le : 2024-02-20 13:44:45
Philomène (11-03-2010 16:24:56)

Lorsque Louis XIV a fait fermer brusquement la Chambre ardente a-t-il craint d'en apprendre trop, ou avait-il acquis des certitudes quant à la culpabilité de Mme de Montespan?
Il est difficile de croire que la marquise qui était intelligente ait pu risquer de se compromettre avec les sinistres empoisonneuses et faiseuses d'anges. Et comment aurait-elle pu s'absenter de Versailles pendant de longues heures alors qu'elle était le point de mire de la cour?

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