La bataille des Dunes marque la fin de la guerre franco-espagnole dans laquelle, depuis 1635, les maisons de Bourbons et de Habsbourg se battaient pour la suprématie européenne.
Le 14 juin 1658, près de Dunkerque, dans les dunes de Leffrinckoucke, l’armée du comte de Turenne défait l’armée des Pays-Bas espagnols dirigée par Juan José d’Autriche et le duc d’Enghien, dit le Grand Condé. Ce dernier, passé au service de l’Espagne, avait dû fuir la France à cause de sa participation à la Fronde.
Les deux plus grands généraux français du XVIIème siècle s’affrontent dans une bataille décisive à l’issue de laquelle l’Espagne doit signer le traité des Pyrénées du 7 novembre 1659. Ce traité de paix marque le début du règne glorieux de Louis XIV et impose définitivement la France comme première puissance d’Europe.
La guerre franco-espagnole (1635-1659)
Depuis 1618, la guerre de Trente Ans faisait rage en Europe. Cette guerre civile au sein du Saint-Empire opposait les princes protestants, soutenus par les Provinces-Unies et le roi de Suède, aux troupes catholiques de l’empereur d’Autriche, appuyé par l’Espagne et la Papauté.
La France ne s’était pas encore engagée militairement dans le conflit mais elle soutenait financièrement et diplomatiquement les princes protestants pour réduire la puissance hégémonique des Habsbourg. C’est en 1635, à la consternation des catholiques, que le cardinal de Richelieu, alors premier ministre de Louis XIII, pousse le roi à déclarer la guerre à l’Espagne.
La France s’attaque alors aux forces espagnoles dans les Pays-Bas méridionaux mais aussi en Lorraine et en Alsace. Cette guerre est notamment marquée par la bataille de Rocroi (1643) où le duc d’Enghien met un terme à la réputation d’invincibilité de l’infanterie espagnole : les fameux tercios. Mais la guerre franco-espagnole dépasse le cadre de la guerre de Trente Ans (qui prend fin en 1648 avec la paix de Westphalie), puisque l’Espagne et la France continuent de se battre jusqu’en 1659.
La première partie de la guerre restait à l’avantage des Bourbons comme le montre la signature du traité de Westphalie qui a donné à la France des territoires stratégiques en Alsace. Mais avec les évènements de la Fronde, la France se retrouve dans une situation difficile et les Espagnols en profitent pour reprendre l’initiative.
La Fronde (1648-1653) : l’affrontement de Turenne et Condé
Le roi Louis XIII meurt en 1643 et durant la minorité du jeune Louis XIV, la régence est exercée par Anne d’Autriche et le premier ministre le cardinal Mazarin qui s’inscrit dans la continuité de la politique anti-espagnole de Richelieu.
A partir de 1648, les évènements de la Fronde voient successivement les parlementaires puis les princes menacer la reine, ainsi que Mazarin. Ces troubles intérieurs détériorent l’unité du royaume jusqu’à risquer de causer sa perte.
L’Espagne saisit cette opportunité et décide de soutenir la révolte dont l’un des principaux meneurs est le prince de Condé. En 1652, ce dernier assiège Paris à la tête de ses troupes espagnoles, avant d’être repoussé par le fidèle Turenne à la bataille du faubourg Saint-Antoine.
Cependant la Fronde échoue, et le duc d’Enghien, ce jeune général au service de la France qui avait été le grand vainqueur de la bataille de Rocroi, est déchu et condamné à mort. Il se réfugie aux Pays-Bas et passe au service de l’Espagne qui accueille les chefs de la Fronde à partir de 1653. Dès lors le Grand Condé prend la tête des armées espagnoles des Flandres et combat les armées françaises menées par le vicomte de Turenne.
Ce grand rival, Henri de La Tour d’Auvergne, dit Turenne (1611-1675) est maréchal de France depuis 1643. Il a lui aussi joué un rôle important durant la Guerre de Trente ans où il s’est illustré plusieurs fois en imposant un art de la guerre méthodique et dénué de pitié. Un temps passé du côté des Frondeurs, il se réconcilie finalement avec Mazarin et obtient le commandement des armées royales.
Ainsi les deux généraux français, chacun à la tête de leurs armées, s’affrontent à plusieurs reprises dans les Flandres entre 1653 et 1658. Turenne bat à nouveau l’armée espagnole du prince de Condé en 1654 à la bataille du « secours d’Arras », mais à son tour il est sévèrement battu au siège raté de Valenciennes en 1656.
L’alliance entre Mazarin et Olivier Cromwell
Pendant ce temps-là outre-manche, Olivier Cromwell est devenu « lord-protecteur » d’Angleterre depuis que la guerre civile anglaise (1642-1651) a pris fin et que les partisans de la Couronne ont été vaincus par les parlementaires. Au terme de cette révolution, le roi Charles Ier avait été jugé et exécuté, tandis que la monarchie avait été abolie pour que soit instaurée une « République », appelée Commonwealth d’Angleterre.
Le cardinal Mazarin s’avère fin diplomate en proposant à l’Angleterre du Commonwealth de s’allier à la France contre l’Espagne. Les deux parties avaient effectivement intérêt à prendre les places fortes en Flandres dont Gravelines, Mardyck et surtout Dunkerque. L’Angleterre notamment voulait se protéger de la menace permanente des corsaires dunkerquois qui s’attaquaient à leurs navires, en les privant de leur port d’attache.
Une fois n’est pas coutume, un traité d’alliance est signé à Paris le 23 mars 1657, en vertu duquel Cromwell envoie en France un corps d’infanterie de 6000 piquiers de la New Model Army, commandé par le Sir Lockhart. Fort de ce soutien, les armées de Mazarin repartent à l’assaut des places du Nord et se dirigent sur Dunkerque pour en faire le siège.
C’est près de ce port stratégique qu’eut lieu la bataille des Dunes, une bataille surprenante pour l’époque car on y vit l’alliance assez rare de la France et de l’Angleterre.
La bataille des Dunes – 14 juin 1658
Le siège de Dunkerque débute le 15 mai 1658, Turenne dispose alors de 20 000 hommes dont 6000 Anglais. Les alliés d’outre-manche forment aussi un blocus sur la mer avec une flotte commandée par Edouard Montagu, un ami intime de Cromwell.
De son côté Dunkerque est tenu par une garnison espagnole de 3000 hommes commandée par le marquis de Lede. Celui-ci, tente à plusieurs reprises des sorties qui sèment le désordre mais qui sont chaque fois repoussées.
Apprenant cette nouvelle avec surprise, le gouverneur des Pays-Bas espagnols Don Juan José d’Autriche prend la tête d’une armée d’environ 15 000 hommes soutenue par un corps de gardes suisses aux ordres du prince de Condé. Au sein de cette armée envoyée au secours de Dunkerque, on y trouve aussi bien des Français que des Anglais.
En effet, le prince de Condé est accompagné de ses lieutenants dont Guitaut, Boutteville ou encore Coligny, tandis que sont aussi présents les deux frères du prétendant à la Couronne d’Angleterre, le duc d’York et le jeune Henry Stuart, duc de Gloucester, accompagnés de 2000 anglais partisans des Stuarts. Aussi la bataille qui se prépare prend-elle des allures de combat fratricide.
En apprenant l’arrivée de l’armée espagnole, Turenne décide d’aller à leur rencontre en laissant derrière lui quelques bataillons pour tenir le siège dans des tranchées. Ensuite il dispose ses troupes sur une hauteur et fait bâtir quelques retranchements sur le haut des dunes. Il a alors à sa disposition environ 9000 fantassins en dix-huit bataillons dont six anglais, 6000 cavaliers en 58 escadrons, et cinq pièces d’artillerie.
Fatiguée, divisée, sans artillerie ni bagage, l’armée de secours espagnole arrive le 13 juin, dans les environs de Leffrinckoucke, au beau milieu des dunes, à une demie-lieue des lignes françaises. Elle est composée d’environ 7000 fantassins en quinze bataillons et 7000 cavaliers en 62 escadrons. L’armée espagnole se retrouve avec à sa droite la mer, à sa gauche le canal qui va de Furnes à Dunkerque et au centre, les dunes.
Dans la nuit, le prince de Condé à l’idée de faire construire un pont sur le canal qui longe son flanc gauche pour faire traverser une partie de ses troupes de l’autre côté. Turenne s’en rend compte et décide de prendre l’initiative du combat. Les troupes de Condé et de Juan José n’ont pas d’autre choix que de commencer l’affrontement alors que leur artillerie n’est pas encore arrivée.
A huit heures du matin, l’armée de Turenne se met en marche à petit pas, pendant que l’artillerie tire quelques coups de canons sur les troupes de Juan José qui sont également bombardées depuis la mer par des frégates légères détachées de la flotte anglaise. Puis, les deux armées se rejoignent lorsque deux bataillons de piquiers anglais de l’aile gauche française se lancent à l’assaut.
Ils gravissent une dune pour croiser la pique avec les tercios et enfoncent en un clin d’œil l’aile droite et le centre des Espagnols. Mais en voyant que la cavalerie de Juan José, placée en soutien de son infanterie, menaçait les Anglais, Turenne sonne la charge à son tour et sème la confusion.
Pendant ce temps-là, l’aile droite française composée d’une infanterie soutenue par quatre escadrons de cavalerie, attaque l’infanterie qui lui est opposée. La cavalerie française prend rapidement le dessus mais se retrouve confrontée à la cavalerie du prince de Condé que celui-ci dirige personnellement.
Ce dernier d’abord ébranlé, arrive à relever la situation, à faire avancer ses escadrons en bon ordre et à reprendre une brillante offensive. Mais les bataillons français tournant légèrement à droite l’accueillent par des décharges meurtrières, le cheval de Condé est alors blessé tandis que Boutteville et Coligny sont faits prisonniers.
Voyant ses deux ailes gravement affaiblies, l’armée espagnole tente de se replier en bon ordre, mais c’est encore grâce aux escadrons du prince de Condé qu’elle évite le pire. Ce dernier, à la tête de ses hommes, mène trois charges de cavalerie dans le but de couvrir la retraite inévitable des troupes de Juan José et ce malgré un rapport de force défavorable.
Nonobstant ces manœuvres osées, près de 1000 tués et blessés sont restés sur le champ de bataille et environ 4000 sont faits prisonniers. En tout la bataille n’a duré que deux heures et Turenne lui n’a perdu que 400 hommes, principalement des piquiers anglais. Il décide de ne pas poursuivre l’armée espagnole en retraite pour se concentrer sur le siège en cours.
Le 25 juin, le siège de Dunkerque prend fin et la Flandre tombe aux mains des Français. Les armées de Louis XIV sont alors en mesure de menacer Bruxelles et les Espagnols n’ont pas d’autre choix que de négocier un traité de paix. Dunkerque espagnole le matin, française à midi, est finalement anglaise le soir, puisque Louis XIV la remet le jour même aux Anglais à titre de compensation.
En effet, il était convenu dans le traité de Paris que Dunkerque et Mardyck seraient cédés à l’Angleterre et que Gravelines reviendrait à la France. Un peu plus tard, après la mort d’Olivier Cromwell en 1658, le retour des Stuart sur le trône d’Angleterre et la restauration de Charles II, ce dernier vendit Dunkerque à Louis XIV en 1662 pour 5 millions de livres.
Le traité des Pyrénées
Le 7 novembre 1659, peu après la victoire de Turenne aux Dunes, le traité des Pyrénées est signé sur l’île des Faisans au milieu du fleuve côtier Bidassoa qui marque la frontière entre les deux royaumes. Il scelle la paix et met fin à vingt-cinq ans de guerre entre l’Espagne et la France.
En application du traité des Pyrénées, Louis XIV est promis à une infante espagnole, la princesse Marie-Thérèse d’Autriche, fille du roi d’Espagne. Ainsi, en quelques années, la France du Roi-Soleil devient la première puissance d’Europe et les Bourbons prennent définitivement le dessus sur les Habsbourg.
En 1660, Turenne est récompensé par Louis XIV qui le fait « maréchal-général des camps et armées du roi ». Le cardinal Mazarin autorise également le prince de Condé à rentrer en France et à recouvrer ses biens. Le pardon royal lui est accordé peu avant le mariage du roi avec Marie-Thérèse d’Autriche. Désormais, les deux adversaires de la bataille des Dunes, ces deux grands généraux français, serviront ensemble le monarque et participeront à sa gloire pour le restant de son règne.
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Bernard Louis Quidoz (13-05-2023 13:40:18)
Bonjour
Magnifique, quel étincelant reportage que je viens de vivre.
Envoûtant comme lire un roman de mon cher Condé en devenir.
Merci
blqz