Le 11 mars 1649, à Rueil, à l'ouest de Paris, la régente Anne d'Autriche et son Premier ministre Jules Mazarin concluent la paix avec le président du Parlement de Paris, Mathieu Molé. C'est la fin de la Fronde parlementaire. Les magistrats renoncent à limiter en France le pouvoir royal. Les Princes et les grands seigneurs s'y essaient à leur tour mais sans plus de succès.
Les uns et les autres, représentants des classes privilégiées, ont été poussés à la révolte par l'augmentation des impôts et le besoin pour l'État d'accroître ses recettes fiscales. Ils ont cru pouvoir profiter de la jeunesse du roi et de la faiblesse de la régence. C'était sans compter sur Mazarin.
Sous la monarchie française, les magistrats exercent la justice. Ils ont aussi pour mission d'enregistrer les édits royaux. Issus de la bourgeoisie fortunée, ils achètent leur charge, ce qui les met normalement à l'abri des sanctions (le roi ne peut pas déposséder un magistrat de sa charge). Qui plus est, cette charge est héréditaire en vertu d'un édit du roi Henri IV, la « paulette » (1604), du nom de son inspirateur, le conseillet Paulet.
En 1648, la France est gouvernée par la régente Anne d'Autriche, mère du jeune roi Louis XIV (9 ans), qui bénéficie des utiles conseils de Mazarin.
Le pays doit mener des guerres extérieures contre les Habsbourg et elles pèsent sur les finances publiqueses. Au moins les victoires du duc d'Enghien, devenu le « Grand Condé » en héritant des titres paternels, ont-elles épargné au pays le spectre de l'invasion.
Dans le même temps, de mauvaises récoltes réduisent les rentrées d'impôts. Le gouvernement demande au Parlement de Paris, qui est une instance judiciaire et n'a rien à voir avec nos actuels parlements, d'enregistrer des édits sur de nouvelles taxes.
Comme beaucoup de bourgeois, les magistrats se considèrent lésés dans leurs intérêts et privilèges par ces édits. Ils se rebellent. Selon un procédé classique, ils montent le peuple contre le gouvernement et le Premier ministre en particulier en faisant valoir le luxe dans lequel se complaît la Cour.
Le 13 mai 1648, le Parlement de Paris convie ses collègues provinciaux à réformer ce qu'il estime être les abus de l'État. À l'initiative du conseiller Pierre Broussel et de Paul de Gondi, coadjuteur de l'archevêque de Paris, il publie un « arrêt d'union » par lequel il réunit les membres du Parlement, de la Cour des Comptes, du Grand Conseil et de la Cour des aides au sein d'une assemblée dite Chambre Saint-Louis, qui aura à décider de la réforme de l'État.
Sitôt dit, sitôt fait, et le 2 juillet 1648, la Chambre présente ou plutôt impose à Anne d'Autriche une charte de 27 articles qui donne au Parlement le droit de valider tout impôt nouveau. Elle supprime aussi les intendants (représentants du roi dans les provinces) et, d'une manière générale, renforce les privilèges des magistrats et des officiers royaux.
La régente Anne d'Autriche feint de se soumettre mais fait traîner les choses. Et voilà que le 24 août 1648, le Grand Condé (le vainqueur de Rocroi) remporte à Lens une nouvelle victoire sur les Espagnols.
La régente est rassurée quant à la situation extérieure et peut désormais compter sur le soutien de « Monsieur le Prince » (Condé).
À la faveur du Te Deum donné à Notre-Dame de Paris le 26 août 1648 en l'honneur de la victoire, elle fait arrêter plusieurs parlementaires, y compris le chef des frondeurs, le conseiller Pierre Broussel, auquel son intégrité (fait rarissime) vaut une immense popularité.
À cette annonce, le jour même, Paris se soulève. Il s'ensuit une deuxième « journée des Barricades » semblable à celle de 1588. Deux jours plus tard, la régente doit libérer ses prisonniers. Broussel est porté en triomphe.
À l'automne, le 22 octobre 1648, Anne d'Autriche doit signer les 27 articles au château de Saint-Germain-en-Laye, avant de pouvoir rentrer à Paris. Mais son humiliation est de courte durée.
Deux jours plus tard, le gouvernement a la satisfaction d'annoncer la publication des traités de Westphalie. Ils mettent fin à la guerre de Trente Ans et se traduisent par un grand succès diplomatique et militaire de la France.
Mazarin et la régente ont désormais les mains libres pour en finir avec les frondeurs parlementaires (alors que les Princes commencent à s'échauffer les esprits).
Le 5 janvier 1649, le cardinal et la régente s'enfuient à Saint-Germain-en-Laye avec le jeune roi Louis XIV et son frère, dans les conditions les plus précaires qui soient (personne pour les recevoir, des lits de fortune pour passer la nuit...). Pendant ce temps, l'armée royale commandée par Condé fait le siège de Paris.
Les parlementaires, qui détiennent beaucoup de privilèges grâce à la monarchie, n'ont pas vraiment envie d'une Révolution. Le président du parlement, Mathieu Molé, lance à ses collègues : « Vous faites le jeu des Princes, cette Fronde n'est pas la vôtre ». Ils rendent finalement les armes malgré la haine que leur inspire l'Italien Mazarin.
Par la paix signée à Rueil, les frondeurs sont généreusement amnistiés tandis que l'on promet le chapeau de cardinal à Jean-François Paul de Gondi. Le peuple et les Princes, qui espéraient le renvoi de Mazarin, sont déçus.
Le cardinal et la régente regagnent Paris en octobre sous les acclamations mais ils doivent désormais combattre la Fronde des Princes (ou « Jeune Fronde »), plus violente mais brouillonne et bagarreuse que la Fronde parlementaire (ou « Vieille Fronde »).
À Paris et dans les provinces se multiplient les « mazarinades », écrits et chansons satiriques qui traînent Mazarin dans la boue...
Après avoir pris le parti du roi contre les parlementaires, le Grand Condé, lui aussi mécontent du maintien au pouvoir de Mazarin, noue des complots avec quelques grands seigneurs dont son frère le prince de Conti.
Le duc de la Rochefoucauld (le futur auteur des Maximes morales) participe à la Fronde des Princes comme il a participé à celle des parlementaires, de même qu'un autre futur maître de la langue française, l'archevêque coadjuteur de Paris Jean François Paul de Gondi, qui restera dans la postérité sous le nom de cardinal de Retz.
On ne saurait oublier non plus le duc de Longueville et surtout sa femme, la belle duchesse de Longueville (30 ans), soeur du Grand Condé et maîtresse (entre autres) de La Rochefoucauld ! En janvier 1649, tandis que la Cour s'enfuyait à Saint-Germain, l'impétueuse duchesse s'établissait à l'Hôtel de Ville de Paris où elle donnait le jour à l'« enfant de la Fronde »... et de la Rochefoucauld.
Renouvelant la promesse d'un chapeau de cardinal, la régente obtient le ralliement du coadjuteur Paul de Gondi. Et le 18 janvier 1650, elle fait arrêter par surprise Condé ainsi que son frère, le prince de Conti, et son beau-frère, le duc de Longueville.
Monsieur le Prince est enfermé à Vincennes pendant treize mois. Mais Gaston d'Orléans, le frère du feu roi Louis XIII, se porte illico à la tête des conspirateurs !
Comme si cela ne suffisait pas, Mme de Longueville tente de soulever la Normandie, dont son mari était le gouverneur. Plus fort que tout, elle séduit le brave Turenne et le détourne de son devoir. Elle le convainc même de traiter avec les Espagnols, ses ennemis jurés !
La régente commet l'erreur de ne pas donner comme promis la barrette de cardinal au fourbe Gondi. Par dépit, celui-ci rejoint la Fronde.
Devant l'anarchie galopante, Mazarin, vers lequel convergent toutes les haines, se résigne à fuir une nouvelle fois Paris pour Saint-Germain-en-Laye dans la nuit du 6 au 7 février 1651.
Anne d'Autriche s'apprête à rejoindre le cardinal deux jours plus tard mais elle en est empêchée par les Parisiens qui ferment les portes de la ville. Et dans la nuit du 8 février 1651, la foule envahit même le palais du Louvre et pénètre dans la chambre du jeune roi Louis XIV pour s'assurer de sa présence ! Louis XIV en restera à jamais marqué.
Mazarin s'exile à Cologne après avoir fait libérer les Princes. Mais par l'intermédiaire d'un brillant commis promis à un grand avenir... Jean-Baptiste Colbert, il reste en relation avec la régente et guide celle-ci entre les multiples coteries.
Le 7 septembre 1651 est proclamée la majorité de Louis XIV (13 ans). Condé, devenu le chef des frondeurs, n'en a que faire. Il se retire en Guyenne (la région de Bordeaux) pour y lever une armée et marcher sur Paris avec... la complicité des Espagnols ! Le roi et la reine-mère le déclarent rebelle. La guerre civile, aggravée par l'intervention des Espagnols, met le pays à feu et à sang.
En mars 1652, à Saumur, Turenne abandonne la Fronde où l'a conduit l'amour de Mme de Longueville et prend le commandement de l'armée royale. Le 2 juillet 1652, il affronte à l'est de Paris, dans le faubourg Saint-Antoine son rival de toujours, Condé, sous les yeux du roi et de Mazarin, qui assistent au combat des hauteurs de Charonne.
Les troupes royales sont sur le point de l'emporter sur Condé et ses alliés espagnols mais la situation se retourne grâce à l'intervention inattendue d'une frondeuse, Mme de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans et cousine du roi. Installée à la Bastille, celle-ci fait ouvrir la porte Saint-Antoine aux troupes rebelles et dirige le canon sur les troupes de Turenne, obligées de battre en retraite. Ainsi Condé peut-il rentrer à Paris.
Mais les maladresses de Condé et son alliance avec les Espagnols conduisent à la défection de ses partisans. Les bourgeois le chassent de Paris et le 21 octobre, Anne d'Autriche peut enfin rentrer en triomphe dans la capitale avec le jeune roi. Celui-ci, qui a été déclaré majeur le 7 septembre 1651, tient un lit de justice et prononce une amnistie générale (ou presque).
Le prince de Condé est condamné à mort par contumace et ne rentrera en grâce que bien plus tard, à l'occasion d'une mémorable fête à Chantilly. Gaston d'Orléans est exilé à Blois. Anne d'Autriche, qui a la rancune tenace, feint de se rapprocher de Gondi, devenu enfin cardinal de Retz, avant de le faire emprisonner au château de Vincennes le 19 décembre 1652.
Deux mois plus tard, le 2 février 1653, Mazarin retrouve à son tour Paris. Surprenant ! Il est acclamé par les habitants qui espèrent le retour à la paix. La Fronde des Princes est finie. Mais en souvenir de ses frayeurs, Louis XIV gardera une rancune tenace envers les Parisiens. Il fait araser les fortifications de la ville (sauf la Bastille) et choisira plus tard de quitter le Louvre, résidence de la cour depuis quatre siècles, et de bâtir un nouveau palais à Versailles.
La monarchie française sortira renforcée des épreuves de la Fronde tandis qu'à la même époque, l'Angleterre fera l'expérience de la République après avoir exécuté son roi Charles Ier.
La France évoluera vers une monarchie absolue, l'Angleterre vers une monarchie parlementaire.
Quid de Mme de Longueville ? La sulfureuse amazone fait retour à la piété et devient jusqu'à sa mort, à 60 ans, en 1679, une fidèle assidue de l'abbaye de Port-Royal. Il est vrai qu'elle a beaucoup à se faire pardonner.
Même retournement pour un autre frondeur, Jean François Paul de Gondi, devenu le cardinal de Retz. Il est l'auteur de Mémoires qui restent le plus remarquable témoignage sur la Fronde. Poussé contre son gré dans la carrière ecclésiastique, il avouait être « l'âme la moins ecclésiastique de l'univers ». Oubliant ses débauches et sa rouerie, il tombe dans la dévotion extrême en 1675, à l'âge de 62 ans, après avoir mis son talent de conspirateur et de diplomate au service de Louis XIV, qui ne l'aimait pas pour autant.
Étrangement, les conflits violents qui ont opposé de 1648 à 1653 les élites françaises à la monarchie tirent leur nom d'un jouet hérité de la préhistoire. Le nom de frondeur a été donné aux insurgés par allusion aux enfants qui se lançaient des pierres dans les fossés de Paris et se dispersaient à l'arrivée du lieutenant de police, leur jeu ayant été interdit par le Parlement.
Vos réactions à cet article
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Héloïse B. (23-03-2016 21:39:24)
Excellent article, ça permet de mettre les idées au clair sur cette période qui a tellement influencée l'Histoire!
M.THIERS (19-01-2016 10:11:03)
Article remarquable, comme d'habitude.
Il aurait peut-être fallu préciser que la mort de Richelieu en 1642 a peut-être facilité la tâche des frondeurs.
Saels Jean-Pierre (17-03-2015 07:50:32)
J'adore vos magnifiques résumés. C'est une fenêtre sur notre passé qui nous ravit et nous permet encore aujourd'hui de mieux juger le déroulement des temps présents et futurs. Bien merci !
leon Toulemonde (13-03-2015 16:59:59)
Excellent résumé d'une courte période où l'autorité royale a été sérieusement mise en question.
Mayenzet Paul (30-07-2006 15:12:34)
Article bien conçu et fort bien résumé. Bravo et merci !